Ce nouvel incident illustre les défis auxquels fait face le projet européen de former et équiper les gardes-côtes libyens pour lutter contre le trafic qui a fait de cette partie de la Méditerranée l'une des frontières les plus mortelles au monde.
Dans la nuit, un navire de l'ONG allemande Sea-Watch a été envoyé par les gardes-côtes italiens, qui coordonnent les opérations dans la zone, au secours d'un canot pneumatique surchargé, a raconté à l'AFP Ruben Neugebauer, un porte-parole de Sea-Watch.
Le canot se trouvait à 14 milles nautiques au large de Sabrata, soit près de la limite des 12 milles des eaux libyennes, dans les eaux internationales. Un pétrolier également dérouté par les gardes-côtes était sur place et s'était positionné pour abriter le canot.
Les secouristes de Sea-Watch ont alors mis leurs deux embarcations à l'eau pour commencer à distribuer des gilets de sauvetage aux migrants, estimés à environ 150.
Mais des hommes apparemment armés sont alors arrivés sur un bateau portant l'insigne des gardes-côtes libyens. Très nerveux, ne parlant qu'arabe, ils s'en sont pris aux migrants et ont essayé de voler le moteur de leur canot.
Frappant les migrants à coups de bâtons, certains ont sauté à bord, provoquant un mouvement de panique. Le canot s'est percé et rapidement dégonflé, et la plupart des migrants se sont retrouvés à l'eau.
Les équipes de Sea-Watch ont réussi à secourir 120 personnes et à récupérer quatre corps. Mais les secouristes ont aussi vu flotter des corps qu'ils n'ont pas pu récupérer et estiment qu'entre 15 et 25 personnes ont disparu.
Les gardes-côtes italiens, interrogés par l'AFP, ont indiqué dans la soirée qu'environ 3.000 personnes avaient été secourues au cours d'une vingtaine d'opération et que sept corps sans vie ont été récupérés.
Ces chiffres portent le total des personnes secourues dans la semaine à environ 5.400.
Former les gardes-côtes libyens?
Interrogés par l'AFP, les gardes-côtes libyens ont déclaré n'avoir aucune information dans l'immédiat sur l'incident.
Pour les navires humanitaires privés qui œuvrent au côté des bâtiments militaires d'Italie et du reste de l'Europe au secours des migrants, les interactions avec les gardes-côtes libyens ne sont pas toujours simples.
Plusieurs ont essuyé des tirs ou subi des "contrôles", tandis que deux humanitaires de l'ONG allemande Sea-Eye ont été arrêtés en septembre. Et en juin, des gardes-côtes libyens étaient intervenus pendant une opération de secours de Sea-Watch dans les eaux internationales pour ramener en Libye un canot chargé de migrants.
Il arrive aussi que les gardes-côtes libyens participent aux opérations de secours ou même, dans des cas très isolés, tolèrent que des navires humanitaires pénètrent dans les eaux libyennes pour porter secours à un navire en perdition.
Malgré cette ambivalence, l'Union européenne prévoit de former et équiper les gardes-côtes libyens pour qu'ils puissent empêcher les bateaux de partir, dans le cadre de son opération navale anti-passeurs Sophia lancée au printemps 2015 après une série de naufrages.
Le début de cette formation est prévu fin octobre, le temps de contrôler que les quelques 80 candidats sont loyaux au gouvernement d'union et pas mêlés à des affaires de corruption.
"En Libye, il est très difficile de savoir qui fait quoi. L'incident de cette nuit montre encore une fois que ce n'est pas une bonne idée de construire une politique européenne sur ces types (les gardes-côtes libyens, ndlr)", a insisté Neuegebauer.
Selon le ministère de l'Intérieur, plus de 146.500 migrants, partis pour la plupart de Libye, sont arrivés cette année en Italie. Mais le voyage a coûté la vie à plus de 3.656 autres, selon un décompte de l'ONU.