Derrière le bâtiment de l'évêché catholique, au milieu d'un champ de terre brûlée, entre les murets d'un mètre de haut désormais à ciel ouvert, la jeune femme retrouve un peigne sur la terre battue à côté d'un panier en osier éventré.
C'est la première fois qu'elle revient sur les lieux. Le 12 octobre, au moins 37 personnes ont été massacrées dans ce camp majoritairement chrétien, qui abritait plusieurs milliers de déplacés.
Les rescapés parlent d'un bilan plus lourd que celui de la Mission des Nations unies (Minusca). "Des gens ont été brûlés sur place, comme là bas, deux petits et une grand-mère", raconte le gardien du site, Michel Kenzé, autour d'une pompe où des enfants tirent de l'eau. Des cadavres ont été abandonnés aux porcs et aux sangliers, d'après Sylvie et Michel.
Les responsables? Des miliciens séléka musulmans, qui ont lancé une opération de représailles après la mort d'un des leurs.
Comme Sylvie, les 8.000 déplacés ont fui pour improviser un autre camp entre la base de la Minusca et la piste de l'aéroport, un kilomètre plus loin.
Face à la Minusca, Sylvie vend des fritures et des arachides sous plastique sur deux petites tables, au milieu d'un marché reconstitué depuis un mois autour d'une pure économie de subsistance.
Des fillettes improvisent des rondes et des chants au bord de la piste d'atterrissage. Elles ne vont plus à l'école. "On venait de lancer la rentrée scolaire le 19 septembre. Le 12 octobre, un inspecteur de l'éducation a été tué. Du coup l'inspection a fermé", se désole un responsable humanitaire de la Minusca.
"Il y avait eu un retour des fonctionnaires mais ils sont rentrés sur Bangui après ce qui s'est passé", ajoute le sous-préfet Paul Fradjala, qui ne s'aventure lui-même plus guère hors la base de la Minusca. Au-delà de la capitale, l'Etat (armée, police, administration) est quasi-absent sur tout le territoire d'un pays grand comme la France et la Belgique.
"On veut la paix, on veut le désarmement des groupes armés", s'énerve Sylvie sous sa nouvelle cabane en plastique où elle a rangé le peu d'affaires qu'il lui reste, un cahier, un bidon, une vieille moustiquaire.
Ce n'est pas gagné. Sylvie elle-même n'ose pas s'aventurer chez les commerçants du quartier musulman, de l'autre côté de la ville et d'un pont gardé par quelques Casques bleus pakistanais - ce même contingent accusé de passivité lors des événements du 12 octobre.
Commerces de vivres et de vêtements, motel "Nuit blanche", garage de réparation pour moto-taxi, la vie bat son plein dans ce quartier musulman. Des "séléka", voire des combattants soudanais ou tchadiens se glissent tranquillement parmi les civils, de l'avis général.
"Dans le camps de déplacés, il y a aussi des hommes en armes parmi les civils, au su et au vu de la Minusca", rétorque Idriss Al Bachar. Ce jeune chef politique d'une faction séléka (MPC) condamne les tueries du 12 mais refuse encore le désarmement, estimant que les droits et la sécurité de la minorité musulmane (15 à 20% des 4,5 millions de Centrafricains) ne sont pas encore garantis.
Derrière ce discours se cache aussi l'enjeu du contrôle du bétail. "Je verse une taxe à la séléka, 11.000 francs CFA par bête" (16,50 euros), reconnaît Azrak Mahmat, le délégué du marché au bétail. Et il ajoute : "Quand je charge mon véhicule pour aller à Bangui, les anti-balaka (ndr: milices anti-séléka majoritairement chrétiennes) me menacent" aussi.
Au quartier musulman, le soir venu, deux voisins, Abdelkarim musulman de 56 ans, et Isakho Ndenga, chrétien de 71 ans, célèbrent des décennies d'une amitié qui a résisté à quatre ans de guerre civile. Un exemple pour la Centrafrique? "Inch allah", répond le musulman. Le chrétien: "Il y a un proverbe français qui dit: +patience et longueur de temps+".