Agnès (prénom d’emprunt) ose aujourd’hui parler du viol dont elle a été victime dans son enfance. «J’avais 6 ans. J’habitais chez mes grands-parents à Yaoundé (la capitale du Cameroun, Ndlr). C’était le gardien de la maison. Il est venue me chercher une fois à l’école et il a abusé de moi», confie la jeune femme rencontrée à Douala, la métropole économique du pays, dans le cadre de ce reportage réalisé avec l’appui de l’International Center for Journalists (ICFJ). Après avoir trainé ce traumatisme pendant des années, elle a décidé de ne plus être «prisonnière du silence». C’est d’ailleurs le titre du film documentaire réalisé par la jeune Camerounaise Laetitia Loe, projeté en mars dernier à Douala. Ce film met en lumière le témoignage de trois jeunes Camerounaises victimes d’agression sexuelle.
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Une manière pour la réalisatrice d’amener les victimes à briser la loi de l’omerta qui règne autour de ce sujet. «J’ai réalisé ce film parce qu’il fallait le faire. Il n’y a pas de débat public sur la question, pourtant, c’est un problème de santé publique», justifie la cinéaste, également victime. C’est que, le viol reste encore tabou dans le pays. Ce, alors que 1,5 millions de Camerounaises sont concernées par les violences sexuelles, d’après des statistiques officielles. A l’heure où un vent de dénonciations balaie le monde avec des mouvements comme #BalanceTonPorc ou #MeToo, au Cameroun, nombreuses sont les victimes qui sortent désormais de leur mutisme.
Tribunal
«Il y a de plus en plus de familles aujourd’hui qui portent plainte parce que leur fille a été victime de viol. Les jugements sont rendus, et nous pensons qu’il y a une évolution», affirme Clarisse Otele, assistante sociale à l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF), pionnière dans la défense des droits de la femme au Cameroun. Impossible toutefois d’avoir des statistiques concrètes. Cette libération de la parole est notamment due aux associations de lutte contre les violences basées sur le genre, qui s’activent depuis des années pour que les victimes soient entendues et les agresseurs, traduits en justice.
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«Le viol est difficile à prouver. La plupart du temps, les femmes ne portent pas ces affaires au tribunal à cause de cela. Ce sont souvent les associations de défense des femmes qui les y encouragent», indique une avocate qui a requis l’anonymat. «Celles qui osent généralement en parler sont celles qui sont bien entourées, qui ont confiance en leur entourage, mais aussi qui ont une forte personnalité», affirme Mireille Ndje Ndje, psychologue clinicienne. Si la plupart des victimes optent souvent pour le silence, c’est parce qu’elles ont honte, culpabilisent ou par crainte de jeter l’opprobre sur la famille. Mais aussi parce que dans le passé, très peu de cas de viol portés devant la justice ont abouti.
De quoi conforter l’agresseur dans son sentiment d’impunité, surtout que celui-ci est souvent un proche ou une figure d’autorité. Mais les lignes commencent à bouger, même si du côté des associations, on indique que le combat est encore loin d’être gagné. Preuve que l’action menée par les associations porte ses fruits, le premier «Prix Simone Veil de la République française pour l’égalité femmes-hommes» remis le 8 mars dernier à Aissa Doumara Ngatansou, la coordinatrice de la section locale de l’ALVF à Maroua, capitale régionale due l’Extrême-Nord. Un prix en reconnaissance pour son engagement au service des femmes depuis 20 ans.