Cameroun: dans l'effervescence du «pagne du 8 mars»

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Le 23/02/2020 à 13h25, mis à jour le 23/02/2020 à 15h57

Spécificité du pays lors de la célébration de la Journée internationale de la femme, l'étoffe qui a été instaurée par les autorités a du succès auprès de la gent féminine et des commerçants. Cette année pourtant, la pénurie du produit fait craindre quelques ratés.

L'effervescence monte progressivement du côté des femmes camerounaises, à quelques jours de la célébration de la Journée internationale de la femme (JIF) le 8 mars prochain. Pas particulièrement pour les débats et autres réflexions autour de la condition de la femme qui ont traditionnellement lieu dans le pays ce jour-là. Mais plutôt autour d'un des produits dérivés de l’événement, une des spécificités de la célébration dans le pays: le pagne du 8 mars.

Chaque année, la présentation de la maquette officielle de la version de cette étoffe qui sera mise sur le marché est un moment attendu par les femmes, mais pas que.

En effet, le produit, très prisé, fait également le bonheur des commerçants. Quatre à cinq millions de mètres de ce pagne sont vendus chaque année par la Cotonnière Industrielle du Cameroun (CICAM), en charge de la fabrication et de la distribution.

La vente de l'étoffe du 8 mars contribue notamment à maintenir cette entreprise publique à flot, en proie à des difficultés économiques.

La CICAM peine en effet à faire son trou, dans marché dominé à 88% par le pagne d’origine chinoise et à 6% par le pagne d’origine ouest-africaine. Il s'agit là d'un best-seller, initié par le ministère de la Promotion de la femme et de la famille. C'est ce tissu que les femmes arborent lors des défilés organisés pour l'occasion sur les places des fêtes des différentes municipalités.

«Avoir le pagne du 8 mars est une fierté. Et pour cela, les femmes se préparent souvent longtemps à l'avance pour l'acheter et le donner au couturier assez tôt m, afin que la tenue soit livrée à temps, les maisons de couture étant surchargées à ce moment de l'année. Les hommes ne sont pas en reste. Ceux qui en ont les moyens en offrent aux femmes de leur entourage, conjointe, mères, sœurs, etc.», déclare Sara Hassan, revendeuse.

Idem dans les entreprises, où le top management le fait distribuer gratuitement aux employés de sexe féminin, et parfois même aux hommes pour qu'ils le donnent à leurs épouses.

Pourtant, cette année, la traditionnelle effervescence est teintée de relents de tension. Posséder son pagne relève du parcours du combattant à cause de la pénurie du produit sur le marché. Il est en effet peu visible dans les différents réseaux de vente, comme traditionnellement à cette période de l'année.

Ce que la CICAM explique notamment par le renouvellement de certains outils de production, le retard de la livraison du coton par son principal fournisseur local et des écrus importés en Asie, du fait de l'épidémie du Coronavirus qui sévit en Chine. «On a presque un million de mètres (de tissu) bloqués (en Asie). En raison de difficultés au port de Douala, sur les 1,6 million de mètres en provenance de l’Afrique de l’Ouest, nous n’avons pu recevoir que 400.000 mètres (…) On avait prévu trois millions de mètres et à date, nous sommes, en termes de production, à 700.000 mètres», explique Ibrahim Pitti, administrateur des ventes à la CICAL.

«Il sera donc difficile d’atteindre les objectifs de départ, et nous avons fixé un nouveau seuil à 2,1 millions de mètres, qui pourront satisfaire nos grossistes, nos institutions et quelques clients de passage», ajoute l'intéressé.

Aussi, devant les rares points de vente qui possèdent ce produit, les rangs s'allongent. La tension monte chez les clientes et les prix flambent au marché noir en passant du simple à plus du double (de 7.000 FCFA environ à 15.000 FCFA parfois pour un pagne de six yards). «Cette année, contrairement à mon habitude, je pense que je vais me contenter du pagne de l'année dernière. Là, c'est trop cher et même introuvable. Je possède déjà les pagnes des cinq dernières années pour me consoler», confié Marthe Aloma, employée de bureau.

Victime de son succès, le pagne du 8 mars au Cameroun a ses détracteurs. Des associations et personnes estimant en effet qu'il détournent l'esprit des femmes de leurs réels problèmes à aborder lors de la JIF, appellent régulièrement à son boycott.

Par Patricia Ngo Ngouem (Yaounde, correspondance)
Le 23/02/2020 à 13h25, mis à jour le 23/02/2020 à 15h57