A l'instar de ce chauffeur de kai-kai (tricycle motorisé), les quelque 5.000 habitants de la ville de Noé sont vent débout contre cette fermeture qui "n'a que trop duré".
Magasins fermés, rues désertes, cars de transport et camions de marchandise immobilisés: un silence de cathédrale plane sur le poste-frontière de cette ville à 170 km à l'est d'Abidjan.
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Le portail gris, point d'accès au pont qui enjambe la rivière Tanoé marquant la frontière naturelle entre les deux pays, est hermétiquement fermé à la circulation des biens et des personnes.
"Noé ressemble à une ville morte. Rien ne bouge. Tout est arrêté", s'agace Eloukou Yapo, président des jeunes de Noé, interrogé par l'AFP.
"On vous dit de ne pas traverser les frontières, alors que les avions décollent. Pour moi cela n'a pas de sens", se plaint Nanan Assi Atchan II, le chef du village, soulignant que "le quotidien des familles a beaucoup changé".
"La population souffre énormément de cette fermeture. Il ya des Ivoiriens qui ont des plantations en territoire ghanéen et vice versa (...) ils ne peuvent accéder à leur plantation qui pourraient tomber en ruines" poursuit ce septuagénaire, ancien officier de police devenu chef traditionnel.
- Pirogues -
Le 2 septembre dernier, plusieurs centaines de commerçants ghanéens ont manifesté à Elubo, de l'autre côté de la frontière, pour réclamer en vain sa réouverture.
En face, les habitants se sont organisés pour passer malgré l'interdiction. De nombreuses pistes artificielles ont été créées, à travers les broussailles pour traverser le fleuve avec des pirogues de fortune et "faire tourner le business".
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"Mes trois enfants qui fréquentent l'école anglophone sont obligés, à leurs risques et périls, de payer 2.000 FCFA (3 euros) par jour pour traverser la rivière" constate Valérie Botché, commerçante à Noé.
"La jeunesse est livrée à elle-même. Elle demande tout simplement la réouverture de la frontière. Si rien n'est fait (...) cette jeunesse est prête, de façon légale, à se faire entendre" avertit de son côté Eloukou Yapo.
En remontant vers Abidjan, à Adiaké, importante ville dans le trafic lagunaire avec le Ghana, le constat est identique. La fermeture y est aussi vécue comme "un enfer pour la population et du pain béni" pour les trafiquants de tout acabit.
"Les plus grosses saisies de drogues ont été réalisées dans cette zone, la fermeture ne fera qu'accroître le trafic, parce que tout s'est arrêté", estime Anvoh Bié, un habitant d'Adiaké.
En mars 2020, les autorités ivoiriennes avaient pris des mesures drastiques pour stopper la propagation de la maladie dès l'apparition des premiers cas: fermeture des frontières, état d'urgence, couvre-feu, fermeture des lieux de culte et des écoles et isolement d'Abidjan, épicentre de l'épidémie.
Certaines des mesures ont été progressivement levées mais les frontières terrestres et maritimes restent fermées.
- Pays "jumeaux" -
Et si la Côte d'Ivoire partage une frontière avec cinq voisins (Mali, Burkina, Guinée, Liberia et Ghana), ses liens économiques, sociaux et culturels avec le Ghana sont partculièrement forts.
Le Ghana et la Côte d'Ivoire sont deux pays "jumeaux" par la géographie, le peuplement, l'agriculture et tout récemment le pétrole. Ils sont en outre les deux plus gros producteurs de cacao de la planète, avec deux tiers de la production mondiale.
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La Côte d'Ivoire, pays d'environ 25 millions d'habitants, est relativement peu touchée par le virus, mais l'épidémie s'est aggravée ces deux derniers mois avec 224 morts depuis début août sur un total de 600.
Selon un responsable local qui souhaite rester anonyme, la fermeture de la frontière fait plus de mal que de bien, y compris sur le plan sanitaire. "On devrait ouvrir la frontière, imposer le vaccin et un test PCR, il y aura moins de cas", peste t-il.
"Tant qu'il y aura une augmentation des cas, ce ne serait pas responsable pour l'Etat de rouvrir les frontières" estime de son côté le sous-préfet de Noé, Losseny Dosso, qui assure que l'Etat "s'apprête à prendre des dispositions".