CEDEAO. Monnaie unique: voici pourquoi l’Eco en 2027 risque d'être encore une illusion

DR

Le 29/06/2021 à 14h36, mis à jour le 29/06/2021 à 14h41

Prévu en 2020, le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO a été reporté pour 2027. Toutefois, certains paramètres risquent de faire capoter l’avènement de l'Eco pour cette nouvelle échéance, après celle de 2018, puis de 2020.

La monnaie unique de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) verra-t-elle finalement le jour en 2027 comme l’ont annoncé, le 19 juin 2021 à Accra, au Ghana, les chefs d’Etats et de gouvernement de la région lors de leur 59e sommet ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la région?

A première vue, le délai paraît largement suffisant pour permettre aux pays de se préparer à l’avènement de l’Eco d’ici 5 ans et demi. Toutefois, la situation ne sera pas aussi facile et des inquiétudes pèsent déjà très fortement sur le possible lancement de la monnaie unique de la CEDEAO en janvier 2027 et ce, pour plusieurs raisons.

D’abord, la feuille de route adoptée ne semble pas favoriser la mise en place de la monnaie unique dans ce délai. En effet, la création de la monnaie unique devra se faire en deux phases. La première se matérialisera par le lancement d’une monnaie unique des pays de la région qui disposent de leurs propres monnaies. Autrement dit, les pays de la Zone monétaire ouest-africaine (Zmoa) -Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigéria et Sierra Leone- vont procéder au lancement d’une monnaie commune. Et dans une seconde phase, les 8 autres pays de la CEDEAO, membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et qui ont en commun l’usage du franc CFA, vont venir se greffer à cette nouvelle monnaie. Le Cap-Vert pouvant les rejoindre à tout moment de ce processus.

Seulement, si la zone Uemoa est globalement prête à se greffer à l’Eco, une fois mis en place, l’abandon des pays de la Zmoa de leurs monnaies locales pour une monnaie régionale risque de prendre du temps. Outre le volet technique, il faudra aussi traiter les volets règlementaires et les effets de la nouvelle monnaie sur chaque pays.

Ensuite, il y a l’épineux problème des critères de convergence, obstacle qui risque d'être infranchissable pour certains pays.

Il faut rappeler qu'à cause de l’impact du Covid-19, les chefs d’Etat avaient décidé de suspendre la mise en œuvre du pacte de convergence 2020-2021. Et en place, «nous avons une nouvelle feuille de route et un nouveau pacte de convergence qui couvrira la période 2022-2026, et 2027 étant le lancement de l’Eco», avait expliqué le 19 juin Jean-Claude Kassi Brou, président de la commission de la CEDEAO.

Les principaux critères de convergences sont un déficit budgétaire limité à 3% du PIB, une inflation à 10% maximum et une dette inférieure à 70% du PIB. Hormis les déficits budgétaires qui se sont creusés à cause de la pandémie, on peut dire que les pays de l’UEMOA respectent le pacte qui était en vigueur. Toutefois, au niveau des autres pays de la ZMAO, ceux-ci sont loin d’être respectés, notamment en ce qui concerne le niveau d’inflation qui est un indicateur de base et le déficit budgétaire. A ce titre, le Nigéria affiche un taux d’inflation à deux chiffres, contre moins de 2% pour les pays de l’UEMOA. Et selon les prévisions, le taux d’inflation devrait s’établir à 15,97% en 2021 au Nigéria, avant d’entamer sa décrue pour s’établir à 10,49% en 2026.

Or, si on se réfère aux critères édictés par la CEDEAO, chaque pays doit respecter au moins trois ans de convergence avant que le projet de monnaie unique ne puisse voir le jour. En d’autres termes, tous les pays de la région doivent respecter tous les critères de convergence à partir de fin 2023 et ce, jusqu’en fin 2026. Les pays ont donc deux années et demi pour se conformer à tous ces critères. 

Outre le respect du critère d’inflation qui risque de poser un sérieux problème au Nigéria, le seuil de 3% du déficit budgétaire peut aussi constituer un handicap, surtout si la conjoncture actuelle ne s’améliore pas. Sur les 5 dernières années, celui-ci est passé de 3,79% du PIB en 2019 à 4,79% du PIB en 2019. Depuis, il a été aggravé par les effets de la pandémie du Covid-19 sur les finances publiques du pays.

Idem pour la Ghana qui a le second taux d’inflation le plus élevé de la région avec un déficit budgétaire de -11,4% du PIB en 2020 et qui devrait descendre à hauteur de 5% à l’horizon 2024. De même, le pays s’est fortement endetté faisant passer son taux d’endettement à 77,5% de son PIB en 2020, contre 62,4% en 2019. Une situation qui risque de s’aggraver encore cette année et qui pourrait empêcher le Ghana, seconde puissance économique de la CEDEAO, de remplir certains des critères de convergence à fin 2023.

En clair, il y a de forts risques à ce que certains pays de la ZMOA, et pas des moindres, ne puissent respecter les critères de convergence macroéconomique nécessaires pour intégrer la nouvelle monnaie unique.

C’est dire que le nouveau délai risque d’être court pour certains pays quand il faut respecter les critères de convergence édictés pour pouvoir être "Eco-in", c'est-à-dire faire partie de la zone monétaire. Or, avec le Nigéria et la Ghana qui pèsent 80% du PIB de la CEDEAO, il est inconcevable de lancer une monnaie unique régionale sans ces deux pays. 

En outre, le principal obstacle à la monnaie unique est le fait que certains pays ne sont pas vraiment favorables à son avènement. Et malheureusement, parmi ces pays figure le géant de la région, le Nigéria. Première puissance économique africaine, le Nigéria représente plus de 70% du PIB de la région et environ 54% de la population de la région avec 215 millions d’habitants sur une population globale de 402 millions d’habitants, selon les estimations de la Banque africaine de développement. Le seul pays exportateur majeur de pétrole de la région, n’a jusqu’à présent pas décidé de jouer son rôle de locomotive de l’intégration régionale. Au contraire, il tend même à saper le processus de mise en œuvre d’une monnaie unique. Et rien ne sera possible sans cette puissance régionale du fait de son poids économique.

Enfin, pour certains, le calendrier paraît un peu serré du fait du manque de visibilité par rapport à la pandémie du Covid-19 qui impacte négativement les économies de la région. Et la situation pourrait se dégrader si jamais le variant indien qui sévit un peu partout ralentit le mouvement de réouverture des économies mondiales.

Tous ces facteurs montrent que l’avènement de l’Eco en 2027 n’est pas un acquis. Il faudra beaucoup de bonnes volontés de la part de certains pays de la région, particulièrement du Nigéria.

Par Moussa Diop
Le 29/06/2021 à 14h36, mis à jour le 29/06/2021 à 14h41