Dans son communiqué final, publié à l’issue du 57e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao, qui s'est tenu à Niamey au Niger, l’organisation a annoncé le report du lancement de la monnaie unique régionale dénommée Eco.
Cette décision était prévisible. En effet, ce ne sont pas uniquement le Covid-19 et de ses effets dévastateurs sur les économies qui ont poussé les chefs d’Etat des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à repousser la mise en place de la monnaie unique.
La réforme du Franc CFA annoncée le 23 décembre 2019 à Abidjan, par les présidents ivoirien Alassane Ouattara et français Emmanuel Macron, puis le projet de mettre en oeuvre le lancement de l’Eco portaient déjà en eux les germes de ce report.
Ces déclarations visaient surtout à apaiser une société civile de plus en plus opposée au Franc CFA et à atténuer l’hostilité envers la françafrique.
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Le 10 février 2020, soit six semaines après ces annonces en grande pompe, le président nigérian Muhammadu Buhari tweetait que «la position du Nigeria concernant la monnaie Eco est que les critères de convergence ne sont pas encore atteints par la majorité des pays. Par conséquent, il est nécessaire de retarder la date du lancement de la monnaie unique».
Peu de temps après, les pays de la Zone monétaire ouest-africaine (Zmao) -zone regroupant le Nigeria, Ghana, Sierra-Leone, Liberia, Guinée et Gambie- (pays de la Cedeao n'utilisant pas le Franc CFA comme monnaie) publient un communiqué au sortir de la réunion de leurs ministres des Finances et des gouverneurs de la région. Ils soulignent «noter avec préoccupation la déclaration visant à renommer unilatéralement le Franc CFA en Eco d’ici 2020», ajoutant que «cette action n’est pas conforme aux décisions» de la Cédéao en vue de «l’adoption de l’Eco comme nom de la monnaie unique» pour toute la région.
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Les dirigeants des pays de la Zmao avaient décidé de se rencontrer pour décider de la conduite à suivre face à la réforme du Franc CFA par les pays de l’Uémoa, et surtout du changement de l’appellation de la monnaie, du Franc CFA en Eco.
Depuis, le Covid-19 s’est invité et toutes les réunions ont été suspendues pour faire face à la crise de la pandémie devenue la priorité des priorités. Mais, il n’en demeure pas moins que pour les pays de la Zmao, l’Eco est le nom choisi pour la future monnaie unique des 15 pays de la Cédéao, et, qu'en conséquence, elle ne peut faire l’objet d’une appropriation d'une partie des pays qui composent cet ensemble, c'est-à-dire les pays de l'Uémoa (pays de l'Afrique de l'Ouest ayant le franc CFA comme monnaie: Sénégal, Mali, Guinée Bissau, Niger, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Togo et Bénin). C’est la position que ces pays ont expliquée clairement aux dirigeants de l’Uémoa entraînant de facto, l’annonce du report du lancement de l’Eco aux calendes grecques.
Ensuite, les règles régissant l’avènement de l’Eco suggèrent que ceux qui veulent adopter cette monnaie doivent préalablement remplir les critères de convergence: un taux d’inflation de 5% à partir de 2020, un déficit budgétaire de 3% du PIB, un taux d’endettement de moins de 70% du PIB, etc. Ces critères devant être remplis durant 3 années successives au moment de l’adhésion à la nouvelle monnaie unique. Or, des 15 pays de la Cédéao, selon les experts, seul le Togo remplissait tous les critères en 2018 pour adhérer à l’Eco. En clair, si on devait lancer la monnaie unique, elle ne devrait avoir qu’un seul adhérent: le Togo.
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Et cette année, Covid-19 oblige, de nombreux pays de la région risquent de s’écarter des critères de convergence. En effet, à cause de la crise sanitaire, les Etats de la région ont fait face à des dépenses budgétaires imprévues pour soutenir les populations vulnérables affectées par le confinement et le ralentissement de plusieurs secteurs d’activité.
Ces dépenses vont creuser les déficits budgétaires des pays de la région. Et dans ce sillage, face à la chute des recettes fiscales, les Etats ont été obligés de recourir massivement à la dette extérieure, ce qui va augmenter le taux d’endettement de nombreux pays.
C’est dire que les pays de la région risquent de s’éloigner fortement des critères de convergence au moment du lancement de cette monnaie. Les pays de la Cédéao ont «décidé d’exempter les Etats membres du respect des critères de convergence macroéconomique en 2020».
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En outre, il faut souligner que de nombreux pays hors zone FCFA de la région ne souhaitent pas disposer d’une monnaie forte, comme c’est le cas avec le Franc CFA qui est adossé à l’euro. Le Nigeria et le Ghana, qui sont les deux puissances économiques de la région, parient sur une monnaie à taux de change relativement flexible qui permettrait de mener une politique monétaire donnant la priorité à la croissance économique et à la création d’emplois, plutôt que sur une monnaie adossée à l’euro sachant que la Banque centrale européenne a pour mission principale la stabilité des prix et donc de lutter contre l’inflation.
Par conséquent, plusieurs économistes africains de la région pensent qu’il faudrait indexer l’Eco sur un panier de devises comprenant l’euro, le dollar la livre sterling et le yuan chinois afin d’épouser la géographie des devises des partenaires économiques de la Cédéao. Or, ce débat n’est pas encore tranché et les pays de l’Uémoa continuent de faire des louanges de la stabilité monétaire qu’offre le Franc CFA et le niveau bas de l’inflation au niveau de la région.
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Enfin, la Cedeao était loin d’être prête techniquement pour lancer l’Eco. En effet, pour lancer une monnaie régionale et asseoir sa réussite, il faut au préalable disposer d’une banque centrale fédérale, un institut d’émission pour fabriquer les pièces et imprimer les billets Eco, préciser le régime de change à suivre et mettre en place tout le système informatique nécessaire pour faire fonctionner dans de bonnes conditions un système monétaire régional. Actuellement, les billets en Francs CFA sont fabriqués en France au niveau de l’imprimerie de Chamalières dont elles représentent plus de 50% de l’activité.
En clair, avant l’annonce des chefs d’Etat, tout le monde savait que le lancement de l’Eco en 2020 était plus une fiction qu’une réalité.
Reste que les opposants du Franc CFA peuvent se consoler avec au moins deux avantages offerts par la réforme de cette monnaie héritée du colonialisme. D’abord, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (Bcéao) n’aura plus l’obligation de déposer 50% de ses réserves sur un compte du Trésor français.
Ainsi, les Etats de l’Uémoa vont désormais centraliser leurs propres dépôts auprès de la Bcéao, en l’absence d’un système décentralisé à l’instar du système européen de banques centrales. Ensuite, les administrateurs français ne siègent plus au sein des institutions monétaires de la région, même s’il faut souligner que le Conseil des ministres de l’Uémoa va nommer au Comité de politique monétaire de la Bcéao un expert qualifié en concertation avec la République française et qui est censé apporter une expertise sur la politique monétaire de la zone euro.
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Bref, deux symboles de l’héritage colonial sautent avec la réforme du Franc CFA. Toutefois, pour les pays de l’Uémoa, ce report du lancement de l’Eco est synonyme du statu quo avec quelques avantages, dont la garantie de convertibilité au taux de change fixe (1 euro = 655,96 FCFA) et la stabilité monétaire qui découle directement du fait que la politique monétaire de la Bcéao est calquée sur celle de la zone euro.
Les opposants continueront à souligner que cette parité fixe est loin d’être adaptée aux besoins de développement des faibles économies d’Afrique de l’Ouest. La garantie de la parité euro-FCFA bénéficie davantage aux investisseurs étrangers déjà implantés dans les pays de l’Uémoa.
Bref, 60 ans après les indépendances et 75 ans après la création de cette monnaie unique adossée au départ sur le franc, qui est appelé aujourd’hui FCFA, celle-ci a encore de beaux jours devant elle.
Et en ce qui concerne l’avènement de l’Eco, il faut encore attendre au moins 5 ans, surtout quand on ne connait pas encore les conséquences de la pandémie du Covid-19 sur l’économie mondiale et ses répercussions sur les économies extraverties de la région.
Ce qui est certain, c’est que les pays de la Cédéao connaîtront, à quelques exceptions près, des récessions en 2020. Et la reprise forte n’est prévue qu’à partir de 2022. Donc, l’enjeu pour les deux prochaines années sera de faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19.
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En outre, les chefs d’Etat réunis à Niamey ont annoncé la mise en place d’une nouvelle feuille de route pour la monnaie unique. Sachant que le projet de la monnaie unique de la Cédéao date de la création de l’organisation, on comprend alors que le lancement de l’Eco, en remplissant toutes les conditions de sa réussite, risque au minimum d'être reporté à l’horizon 2025.
D’ailleurs, les termes vagues du communiqué des chefs d’Etat soulignant «l’approche graduelle pour le lancement de l’Eco», montre que le chemin pour lancer l’Eco risque d’être long quand on sait que la première puissance économique de la région et de l’Afrique traîne des pieds.
C’est à juste titre que l’agence Standard & Poor’s soulignait que le projet de monnaie unique est «peu probable à moyen terme». Et pour cause, le géant nigérian qui pèse un PIB de 670 milliards de dollars, contre 130 milliards de dollars pour les 8 pays de l’Uémoa, n’est pas vraiment emballé par la monnaie unique. Et la feuille de route dont le contenu n’a pas été précisé renvoie sine die le lancement de la monnaie unique de la Cédéao.
In fine, symbole hérité du colonialisme et de plus en plus décrié, le Franc CFA semble encore promu à de vieux jours dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine.