Encadrés par un important dispositif policier, deux bulldozers ont pris place à l'aube devant le quartier de 60.000 habitants, majoritairement des musulmans avec peu de moyens. La menace d'expulsion, retardée depuis mai et annoncée depuis jeudi, prend corps: l'opération "déguerpissement" va avoir lieu.
Aussitôt, la cité se transforme en fourmilière avec des queues de centaines de personnes sillonnant les petites ruelles boueuses ou en béton en transportant des paquets.
Sur sa tête, une bassine remplie de casseroles, au dos son bébé, dans les mains un tiroir duquel déborde un sac de linge. La jeune femme en sueur grimpe vers la route. Derrière elle, un enfant porte trois ou quatre robinets. A quatre, des hommes soulèvent un énorme réfrigérateur. Une autre femme en pagne porte sur la tête une télévision emballée dans une couverture et dans ses mains un miroir auquel sont collées de photos de famille.
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Régulièrement, on entend des grands bruits métalliques. Les hommes démontent les milliers de toits en tôle attachés aux maisons pour les rouler et les emporter. Sur les murs, on démonte les câbles électriques et de télé. "C'est à nous, on l'a payé. On va pas les laisser" crie un homme tirant sur un noeud de câbles.
Fédé Diakité est arrivé dans le quartier en 1986. Son kiosque à nourriture et sa maison, qu'il a déjà vidée, sont dans le quartier. Sa femme, neuf enfants et deux petits frères vivaient chez lui. Son kiosque employait trois personnes. "Je n'ai plus de travail, plus de maison. Tout est dans la main de Dieu. Je n'ai pas touché d'indemnisation", conclut-il dépité, emportant une sorte de plan de travail.
"Pas le choix"
Son voisin démonte des machines à coudre manuelles pour les déposer sur la route. Lui aussi affirme n'avoir reçu aucune indemnisation.
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"Les bâtis détruits aujourd'hui sont ceux pour lesquels les propriétaires ont reçu effectivement leur indemnité d'éviction", promet Coulibaly Salimata Tiegbala, coordinateur adjoint du projet de transport urbain d'Abidjan
"Les études ont commencé en 2016. Les locataires ont été recensés Il peut y avoir des omissions. Il y a des bureaux qui sont ouverts pour qu'ils soient pris en charge", a-t-elle précisé.
Quelque 34 milliards de FCFA (51 millions d'euros) du projet sont destinés à indemniser ou reloger les populations de ces zones très denses, selon le gouvernement. La plupart des habitants ne savent pourtant pas où ils vont aller.
Les autorités ont lancé en juillet 2018 les travaux du quatrième pont d'Abidjan qui va relier le quartier populaire de Yopougon à celui du Plateau, la zone des affaires, soulageant un des principaux axes de la capitale économique.
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Le pont au-dessus de la lagune Ebrié, autour de laquelle s'est constituée Abidjan, mesurera 1,4 km. Il s'inscrit dans un projet de 7,2 km d'autoroutes urbaines et d'échangeur d'un coût total de 142 milliards de francs CFA (216 millions d'euros), qui doit permettre de désengorger le nord d'Abidjan peuplée de 5 millions d'habitants, en proie à des embouteillages permanents.
Le pont a déjà commencé à émerger de l'eau et des travailleurs chinois, casques de chantier sur la tête observent l'avancée des bulldozers qui détruisent maison après maison, faisant s'effondrer les murs de bétons parfois à côté d'habitants des maison voisines qui fuient au dernier moment, histoire de récupérer un dernier souvenir ou objet précieux.
"On n'a pas le choix. On sort ce qu'on peut", affirme Sanogo Salia, marié et père de deux enfants qui vit en filmant des cérémonies. "On n'a pas d'argent pour aller ailleurs", explique ce locataire qui assure n'avoir touché aucune indemnisation.
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Même situation pour Sako Kadiatou, veuve de 38 ans, qui réside à Boribana depuis 1998. "Je ne sais pas où aller. On attend", se lamente-t-elle en assurant que 35 personnes vivaient dans sa cour et que personne n'a d'argent.
"Pour se reloger, il faut payer des cautions de 300.000. 400.000 (450-600 euros). On n'a pas ce genre d'argent", s'insurge Ibrahim Diakité, couturier. "Il y a trois ans, ils sont venus nous recenser mais depuis rien. On est resté et maintenant on nous fait partir sans rien".
Moussa Koné est débout devant sa mère âgée de plus de 80 ans qui ne peut se déplacer. "Je ne sais où l’emmener", s'inquiète-t-il. Il avait un petit commerce où il stockait verres ou tapis qu'il vendait sur la route. "Le pont, on comprend que c'est bon mais si on avait eu de l'argent on serait parti ailleurs. Je suis né ici, j'ai grandi ici et je n'ai nulle part où aller".