Leurs œuvres constituent le cœur du premier festival de street art de la ville de 20 millions d’habitants qui démarre mercredi, pour une durée de cinq jours, dans un pays où la discipline demeure confidentielle.
Malgré sa dynamique scène artistique, ses nombreuses galeries et musées qui en font l’un des centres de l’art contemporain africain, Lagos n’a pas encore vraiment intégré le street art à son paysage urbain comme c’est le cas dans d’autres métropoles africaines telles que Le Cap, Dakar ou Cotonou.
«Lagos, ville légendaire, ville des rêves»: le thème imposé aux 16 artistes ignore volontairement les défis du pays, écartelé entre crise économique et crise sécuritaire. Il célèbre l’effervescence de la ville et la résilience de ses habitants, que le musicien Fela Kuti avait résumé dans son titre «Shuffering and shmiling» («souffrir et sourire»), une expression devenue devise du pays le plus peuplé du continent mais aussi l’un des plus inégalitaires.
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«A Lagos, il y a de la joie, il y a des difficultés, mais même dans les moments difficiles, vous devez rester joyeux. Vous devez être heureux tout le temps», assure Ashaolu Oluwafemi, artiste de 34 ans, devant son pan de mur représentant une femme en train de danser, yeux fermés et bras levés.
Même discours chez Babalola Oluwafemi, 32 ans, artiste d’origine nigériane installé à Manchester convié à participer au festival: «les habitants de Lagos aiment faire la fête, aller à des soirées, manger, ils adorent tout simplement être hauts en couleur», explique-t-il devant le visage géant d’une femme accompagnée d’un paon, un oiseau symbolisant la beauté et la fierté souvent représenté dans la tradition picturale nigériane.
Depuis longtemps confronté à des problèmes d’insécurité, le Nigeria connaît depuis quelques semaines une recrudescence des kidnappings de masse dans sa moitié nord, ce qui a poussé le chef de l’Etat nigérian à proclamer l’état d’urgence dans le pays.
Mais il en faut plus pour entamer le moral de Lagos la bouillonnante qui entame les festivités de son «Detty December», pour «Dirty December» en anglais (littéralement «décembre sale» en français), ce dernier mois de l’année où les Nigérians de la diaspora rentrent au pays et célèbrent les fêtes avec faste.
Tout est différent
«Je n’ai jamais peint comme ça auparavant. Tout est différent à Lagos. Il y a beaucoup de voitures, beaucoup de circulation. Les passants font beaucoup de commentaires et crient +Beau travail !+», décrit avec enthousiasme l’artiste mancunien perché sur son échafaudage.
Sur plusieurs dizaines de mètres, les murs noircis de pollution et surmontés de barbelés séparant la voie rapide des résidences 1004- quatre barres d’immeubles construites dans les années 1970 éprouvées par le temps et le manque d’entretien- se parent désormais de couleurs chatoyantes.
Ernest Ibe, artiste de 35 ans, regrette que le street art au Nigeria «ne bénéficie pas de beaucoup de visibilité par rapport à d’autres pays d’Afrique» même s’il reconnaît que «le pays évolue»: «Nous commençons à comprendre l’impact des fresques murales sociales et leur influence sur notre vie sociale et notre environnement en général», estime-t-il.
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Un espoir dont son œuvre, baptisée « Illumination », se veut le reflet. «Ma peinture représente une jeune adolescente qui regarde vers l’avenir et à qui on a confié le flambeau (…) Derrière elle il y a les gens qui ont lutté, qui ont ouvert la voie», explique-t-il en assurant que «l’avenir est prometteur pour le street art en général, pour la prochaine génération d’artistes de rue nigérians, en particulier à Lagos».
C’est d’ailleurs l’objectif de Osa Okunkpolor, Osa Seven de son nom d’artiste, graffeur nigérian à la notoriété installée qui a porté l’organisation du festival: «créer des opportunités et une plateforme» pour les artistes et «faire connaître Lagos dans le monde du street art».
«L’art ne doit pas être confiné ou limité aux espaces des galeries, c’est quelque chose que tout le monde devrait pouvoir découvrir», professe le graffeur de 42 ans.




