Cléopâtre avait ses crocodiles sacrés, Yamoussoukro s’en remet à ses quelques 300 sauriens que collectionnait l’ancien président Félix Houphouët-Boigny (1905-1993).
Ils sont la principale attraction de la ville avec la monumentale basilique Notre-Dame de la Paix, réplique - en plus grand - de Saint-Pierre de Rome.
Venu pour supporter les Lions du Sénégal, Ousmane Kâ, chemise à carreau rose et casquette noire, en «profite pour faire un peu de tourisme, particulièrement venir visiter le fameux lac aux caïmans», qui jouxte l’ancien palais du président.
«Ca a été l’occasion pour moi de les voir sortir, être nourris avec des poulets que leur jetait le public», ajoute t-il à l’AFP.
Chaque jour avec l’affluence de visiteurs pour la CAN, des volailles sont lancées aux caïmans. On tape avec une pièce sur la rambarde de fer pour attirer les monstres, qui s’avancent sur la berge et les croquent sans merci.
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«C’est toute une histoire», raconte Guy Michel Goumezo, un Ivoirien en visite dans la capitale. La maison natale du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire (1960), «est là derrière. C’était son village et en même temps sa maison, où il a bâti son palais présidentiel».
Les épaules larges dans un tee-shirt kaki, il étend le bras vers le domaine du «Vieux», comme on l’appelle affectueusement en Côte d’Ivoire, caché derrière l’imposant mur d’enceinte et gardé par le lacs aux caïmans. C’est là qu’était le village d’Houphouët, N’Gokro, devenue la capitale politique du pays.
Les anciens se souviennent aussi qu’il arrivait parfois au président en personne de les nourrir.
Gardien dévoré
Pour Marie Akou, une habitante de Yamoussoukro, grandes lunettes et cheveux courts, le lac aux caïmans «signifie beaucoup».
«D’après nos coutumes baoulé (une des principales ethnies de Côte d’Ivoire, NDLR), tu peux venir t’arrêter expliquer ton problème, tes vœux, et le lac peut les régler pour toi», explique-t-elle.
Augustin Thiam, petit-neveu d’Houphouët-Boigny, confirme le côté «mystique» du lieu.
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«Il m’arrive de leur sacrifier des animaux, des poulets, des bœufs, des moutons, d’autres membres de la famille le font aussi», affirme celui qui est désormais le gouverneur de Yamoussoukro.
Les crocodiles «ont baigné dans cette eau qui, pour les Baoulé de Yamoussoukro est sacrée», rappelle t-il, et quand l’un d’eux meurt «on lui fait un enterrement humain», poursuit-il.
Depuis le grand hall en marbre de la Fondation Houphouët, il retrace l’histoire du lieu.
Les premiers crocodiles ont été offerts par le président du Mali Modibo Keïta en 1961, d’autres ont suivi, dons de son homologue malgache Philibert Tsiranana ou camerounais Ahmadou Ahidjo.
Mais Augustin Thiam prévient: «les lacs de la ville communiquent entre eux, les crocodiles passent quand ils sont petits et il y en a dans tous les lacs».
Personne ne se risque donc à se baigner dans les plans d’eau de Yamoussoukro.
Et depuis la mort tragique du «vieux Diko», qui s’occupait de nourrir les crocodiles - dévoré par l’un d’eux en 2012 -, «les autres gardiens ne viennent plus», concède le gouverneur.