Inculturation religieuse au Cameroun: l’Essani s’invite dans la célébration de la Pâque

Le rite essani au menu de la célébration de la Pâque à Yaoundé.

Le 31/03/2024 à 16h11

Les fidèles chrétiens catholiques romains célèbrent avec faste et solennité la plus grande fête chrétienne. Un moment de communion, d’exaltation et surtout de préservation d’une culture ancestrale.

L’Essani est un rite funéraire ancestral de la communauté Ekang, présente au Cameroun, au Gabon, au Congo et en Guinée Équatoriale. Cette danse vise à glorifier le défunt et à annoncer son passage dans l’au-delà aux ancêtres afin qu’ils l’accueillent chaleureusement. Selon la tradition, le défunt doit être âgé d’au moins 18 ans et avoir procréé.

Au Cameroun, certains fidèles catholiques de la communauté Ekang ont adopté ce rituel traditionnel dans leurs célébrations de la Passion du Christ chaque Vendredi saint, dans une démarche d’inculturation.

L’Essani se danse en file indienne en suivant le rythme émis par les sons des tam-tams et des tambours. Les cérémonies du Vendredi saint étaient donc riches en sons et en images dans presque tous les lieux de culte au Cameroun, notamment dans les paroisses catholiques.

À la paroisse Sacré-Cœur de Jésus de Mokolo située dans la commune d’arrondissement de Yaoundé II par exemple, aucun fidèle n’a voulu manquer ce rendez-vous.

«En venant prendre part à l’Essani de Jésus, cela me permet d’être en phase avec les saintes Écritures. Je suis venu lui manifester mon amour et lui rendre un vibrant hommage, même s’il est clair qu’il vit toujours parmi nous», témoigne un fidèle.

Cette intégration de l’Essani dans la liturgie catholique illustre une forme d’inculturation, c’est-à-dire l’adaptation du christianisme aux cultures locales. Un rite funéraire traditionnel est réinterprété dans le cadre de la Passion du Christ, événement central du christianisme.

D’un point de vue anthropologique, cela témoigne d’une volonté d’ancrer le message chrétien dans le vécu culturel des communautés, facilitant son appropriation. Cependant, cette démarche soulève des questionnements sur les limites de l’inculturation et les risques de syncrétisme religieux.

Sur le plan sociologique, cette pratique reflète les dynamiques identitaires à l’œuvre, entre adhésion à la foi chrétienne et attachement aux traditions ancestrales. Elle révèle une quête de sens et d’enracinement culturel, dans un monde en mutation rapide.

D’un point de vue ethnolinguistique, l’utilisation d’un rite dansé comme vecteur rituel questionne les modalités de transmission des référents culturels et religieux.

Enfin, d’un point de vue historique, cette inculturation s’inscrit dans une longue tradition d’adaptation du christianisme aux cultures locales, remontant aux premiers siècles de son expansion.

Au-delà des réactions primaires d’acceptation ou de rejet, cette intégration de l’Essani dans la liturgie catholique souligne la complexité des enjeux liés à l’inculturation religieuse et la nécessité d’une approche nuancée.

Par Jean-Paul Mbia (Yaounde, correspondance)
Le 31/03/2024 à 16h11