Musée des arts et traditions de Libreville: dans l’univers des masques rituels, aux secrets jamais percés

Un masque rituel au Musée National des Arts et Traditions (MNAT) de Libreville.

Le 04/10/2025 à 11h06

VidéoPlongée au cœur d’un patrimoine culturel vivant où les masques, bien plus que de simples objets d’art, sont les gardiens actifs de la cohésion sociale et des savoirs ancestraux.

Dans la pénombre de la grotte du Musée National des Arts et Traditions (MNAT) de Libreville, les masques semblent chuchoter des secrets millénaires. Romane, 31 ans, une Gabono-canadienne, les écoute, fascinée.

Après plus d’une décennie passée au Canada, cette visite était un pèlerinage nécessaire. «Une des raisons pour lesquelles je voulais vraiment visiter ce musée c’est parce qu’il porte la marque des rites et traditions du Gabon et apprendre davantage de ma culture. Le fait qu’on ait 54 ethnies au Gabon est une richesse culturelle… Là j’ai vu les masques Punu, Fang, etc.», témoigne-t-elle.

Pour elle, comme pour de nombreux Gabonais, ces masques sont une clé essentielle pour comprendre une identité nationale complexe.

La visite guidée sous la grotte du musée révèle alors une dimension plus profonde. La transition entre l’émerveillement de la découverte et la compréhension des fonctions sacrées s’opère naturellement.

Lucienne Elvire Imouessé, chef de service public et médiation au musée national, apporte un éclairage précieux: «Avant l’avènement de la société policée, le masque jouait le rôle d’intermédiaire entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Il avait des rôles sociaux, religieux, fondamentalement de cohésion sociale et aussi de divertissement. Dans nos sociétés on les produisait pour les admirer. Ce sont eux qui faisaient en sorte que nous n’ayons pas de problèmes dans nos villages… Mais encore ils apportaient la connaissance sur la cosmogonie», explique-t-elle.

Les masques gabonais ne sont pas de simples spectacles, ils incarnent une autorité morale et judiciaire essentielle au fonctionnement des communautés.

Selon les anthropologues, l’une de leurs fonctions premières est de prévenir et résoudre les disputes. Le masque Ngil des Fang, par exemple, était une institution de cohésion sociale qui officiait lors d’ordalies (procès par épreuve) et prévenait les conflits au sein des villages.

De même, le masque Okukwe des peuples Myéné intervenait publiquement pour réguler la vie sociale en dévoilant les palabres et les secrets du village, agissant comme une forme de tribunal itinérant. Ils sont indispensables lors des moments charnières de la vie.

Le masque Kota ou Emboli apparaît lors de l’initiation des jeunes garçons et des cérémonies de circoncision, jouant un rôle protecteur contre les mauvais esprits. Ils marquent ainsi le passage à l’âge adulte et la transmission des valeurs communautaires.

Chaque masque est une fenêtre ouverte sur la cosmogonie et les croyances des peuples du Gabon. Les masques permettent d’établir une connexion directe avec les esprits des ancêtres, invoqués pour apporter sagesse et protection.

Le masque Ngon’Tang, avec ses multiples visages peints en blanc, représente un esprit du monde des défunts, réputé pour son don de clairvoyance et sa capacité à accéder au monde des ancêtres.

La forme et les couleurs des masques sont lourdes de sens. La couleur blanche, obtenue à partir de kaolin, que l’on retrouve sur les célèbres masques Punu, incarne la pureté, la clarté et la connexion aux esprits bienveillants.

Les motifs géométriques, comme sur les masques Téké (Kidumu), représentent des éléments cosmiques comme les phases de la lune ou l’arc-en-ciel, véritables leçons d’astronomie et de philosophie naturelle.

Aujourd’hui, les masques gabonais naviguent entre la préservation de leur sens sacré et les enjeux du monde moderne. Ils continuent d’inspirer les artistes et de faire l’objet de cérémonies, notamment dans les zones rurales, prouvant qu’ils ne sont pas figés dans le passé.

Le Musée National des Arts et Traditions s’efforce justement de les replacer dans leur contexte, luttant contre leur réduction à de simples objets décoratifs.

Cependant, ce patrimoine est au cœur de vifs débats sur la restitution des œuvres d’art. L’affaire récente d’un masque Fang Ngil, vendu 4,2 millions d’euros aux enchères en France après avoir été acheté 150 euros à un couple de retraités, a provoqué la colère du Gabon.

L’État gabonais s’est joint à la procédure judiciaire pour réclamer la restitution de ce bien culturel, affirmant qu’il «ne devrait pas être disputé des millions d’euros mais retourner à la maison». Cette affaire souligne le douloureux héritage colonial et la quête de réappropriation culturelle qui anime la jeune nation.

Des masques qui dansent lors des cérémonies à ceux qui trônent dans les musées ou s’échangent à prix d’or sur le marché de l’art international, ces objets résument toute la complexité de la culture gabonaise.

Ils sont à la fois sacrés et politiques, traditionnels et incroyablement modernes dans les questions qu’ils soulèvent. Ils restent, plus que jamais, les gardiens visibles et invisibles d’une culture en mouvement.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 04/10/2025 à 11h06