Si la monnaie doit refléter la santé d’une économie, la succession de dépréciations et de dévaluations du naira nigérian et de la livre égyptienne illustrent parfaitement le mauvais état dans lequel se trouvent actuellement les deux premières économies africaines en termes de produits intérieur bruts (PIB).
Inflation élevée, rareté des devises fortes dans le sillage de la chute des réserves de change, développement du marché parallèle de devises, chute des monnaies… autant de facteurs qui caractérisent les deux grandes économies africaines impactées par une conjoncture internationale des plus difficile et auxquelles les dirigeants ont du mal à trouver de solutions.
Et comme souvent, en pareille cas, c’est le Fonds monétaire international (FMI) qui est appelé à la rescousse pour apporter des devises, mais aussi et surtout sa caution devant permettre aux autres prêteurs de s’engager auprès du pays en difficulté.
Egypte: on ne compte plus les dévaluations de la livre
Cela est particulièrement valable pour l’Egypte, un pays engagé dans des projets pharaoniques, très coûteux en devises, dont la «nouvelle capitale administrative» baptisée Sissi-City, méga-complexes touristiques, nouveaux aéroports, développement du désert du Sinaï…
Rien que pour la nouvelle capitale administrative, un investissement de plus de 45 milliards de dollars est nécessaire, siphonnant les finances publiques sans créer de nouvelles sources de revenus. Preuve, s’il en fallait, que ce sont des projets trop capitalistiques, alors que le pays n’en a pas les moyens, et ont été de véritables gouffres financiers. Pire, la conjoncture de ces dernières années -Covid-19, guerre Russie-Ukraine, guerre Gaza-Israël…- a accentué la crise en affectant des secteurs stratégiques dont celui du tourisme.
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Le pays est aujourd’hui très endetté vis-à-vis de l’extérieur avec un montant pharaonique de 165 milliards de dollars. A cause de cet endettement, le service de la dette, au titre de 2024, s’élève à 29,23 milliards de dollars, impactant négativement les réserves en devises. C’est presque l’équivalent du montant en devises transférés annuellement par la forte diaspora égyptienne.
L’agence Bloomberg avance que l’Egypte est le pays le plus exposé au risque de crise de la dette, après l’Ukraine. A 40%, l’inflation est à des niveaux jamais atteints auparavant, contribuant à appauvrir la population. Plusieurs produits, y compris le pain non subventionné, ont vu leur prix tripler. Le kilo de sucre était monté à 60 livres en décembre dernier, contre seulement 12 en mai de la même année. A la faveur cette nouvelle dévaluation, il est à craindre que mettre du sucre dans sa tasse thé ne soit désormais un luxe.
Autre conséquence de la rareté de devises, la quasi paralysie de l’économie égyptienne. Des industries sont à l’arrêt faut de pièces de rechange, des produits importés bloqués aux ports faute de dollars pour régler les factures...
L’économie égyptienne est bien malade. Outre les impacts du Covid-19 et des effets de la guerre Russie-Ukraine, la situation s’aggrave aujourd’hui avec la guerre sur Gaza qui impacte sur les recettes en devises du pays. Ainsi, les recettes tirées du canal de Suez ont chuté de 40 à 50% à cause des attaques des houthis du Yémen en mer Rouge et dans le golfe d’Aden.
De même, cette guerre impact le tourisme qui avait affiché une nette reprise en 2023. Autre inquiétude, l’Egypte voit les transferts de sa diaspora, deuxième source de devises après les exportations, fortement reculer durant le premier trimestre 2023-2024.
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Tant de faiblesses et d’incertitudes ne pouvaient que se refléter sur la monnaie locale, la livre égyptienne, qui n’a cessé de perdre de sa valeur vis-à-vis du dollar américain et des devises étrangères depuis quelques années. Si bien que le 6 mars 2024, la Banque centrale d’Egypte a augmenté ses taux directeurs de 600 points de base à un record de 27,25% tout en décidant de laisser la livre s’échanger librement.
Conséquence, la livre égyptienne a perdu près du tiers de sa valeur après cette décision qui n’est autre chose qu’une «dévaluation déguisée» sur recommandation du FMI qui avait conditionné son nouveau prêt à un train de réformes douloureuses dont le flottement de la monnaie locale comme condition sine qua none.
D’ailleurs, la banque centrale égyptienne a reconnu que ces réformes étaient soutenues par des partenaires multilatéraux et bilatéraux, ajoutant qu’«un financement suffisant a été obtenu pour disposer de liquidités en devises».
Ainsi, l’institution monétaire qui bloquait le taux de la livre égyptienne depuis plus d’un an, a donné le feu vert aux banques pour acheter et vendre au prix que leur convenait. Suite à cette décision, le taux de change est passé de 31 livres égyptiennes pour 1 dollar à 50 livres pour le même dollar lors de la journée du mercredi 6 mars. Le taux de change de la livre sur le marché officiel rejoint ainsi celui du marché parallèle.
Avant cette décision, le marché parallèle était devenu le «véritable marché des changes» en Egypte et le taux de change y a atteint un record à 70 livres pour 1 dollar. Et pour cause, les banques commerciales n’arrivaient pas à se procurer de devises, sauf par le biais de dépôts bloqués en dollar rémunérés à 7%. Ainsi, l’un des objectifs visés est l’unification du taux de change.
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«L’unification du taux de change est cruciale car elle aide à éliminer les arriérés en devises en réduisant l’écart entre le taux de change officiel et le marché noir», a expliqué la Banque centrale égyptienne. En tout cas, le marché noir des devises a longtemps constitué un défi majeur pour l’économie égyptienne, offrant des taux de change parallèles qui ont, au cours de ces derniers mois, significativement dépassé les taux officiels. Un gap né d’un écart entre l’offre et la demande de devises étrangères, exacerbée par des restrictions sur les changes et une perte de confiance à la monnaie locale et d’incertitude sur l’économie du pays.
Seulement, si cette opération a permis de résorber, plus ou moins, le gap des taux entre le marché officiel et le marché parallèle, les observateurs se demandent jusqu’à quand? Cette énième dévaluation, en l’espace d’une année, a été entreprise sans parvenir à stabiliser la livre face au dollar et à faire rentrer davantage de devises en stimulant les investissements étrangers et le tourisme.
Et au cours de cette décennie, la dégringolade de la livre ne s’est pas estompée. En 10 ans, elle a perdu 602,52% de sa valeur vis-à-vis du billet vert. Au cours de ces trois dernières années, la perte était de 211,53%. Et depuis une année, elle est de 58,13%. En tout, on est passé d’un taux de change de 6,94 livres pour 1 dollar il y a de cela 10 ans à 50,71 livres pour le même dollar aujourd’hui.
Reste à savoir si le nouveau taux de change livre égyptienne-dollar se stabilisera ou non? Une chose est sure, en absence de confiance des acteurs économiques dans la capacité des banques à fournir des devises étrangères à des taux compétitifs, le marché noir continuera à être attractif pour tous ceux qui cherchent à contourner les restrictions financières.
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Paradoxalement, les besoins en devises du pays sont conséquents au moment où les réserves de change s’effritent. Le pays affiche un déficit en dollars estimé à 29 milliards auxquels il faut ajouter les 7 milliards de dollars par mois nécessaires aux importations.
Mais vu son poids économique, démographique et stratégique, des institutions multilatérales, des organisations internationales sans oublier les Etats du Golfe,…viennent à la rescousse des autorités cairotes.
Le première bouée de sauvetage est venue du FMI, avec un soutien bien évidemment conditionné. Dans la foulée des mesures prises par la Banque centrale égyptienne, un accord de prêt a été dévoilé. Alors qu’un prêt de 5 milliards de dollars était en discussion, c’est finalement un accord de 8 milliards de dollars qui a été conclu. Cet accord était nécessaire afin que d’autres bailleurs de fonds puissent également apporter leurs concours financiers à l’Egypte dans de meilleures conditions.
Parmi les importants investissements annoncés figurent en bonne place l’accord de 35 milliards de dollars signé par le Caire avec les Emirats Arabes Unis, fin février. Cette manne sera investie par le fonds souverain émirati ADQ sur une période de deux mois après l’annonce faite le 23 février dernier. Une partie de ce montant sera déposée au niveau de la Banque centrale d’Egypte.
L’essentiel de cette manne servira à financer la réalisation d’une nouvelle ville sur la côte nord du pays et d’autres projets devant atténuer la pression sur la livre égyptienne. Un montant de 10 milliards de dollars a déjà été transféré en Egypte et va renforcer les réserves en devises de la Banque centrale.
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De même, selon le ministre des Finances d’Egypte, Mohamed Maait, l’Union européenne va accorder un financement de 5 à 6 milliards de dollars à l’Egypte. Il a aussi annoncé que le Banque mondiale va débloquer 3 milliards de dollars supplémentaires au profit de l’Egypte.
A ces apports extérieurs, il faut aussi ajouter les impacts attendus du vaste programme de privatisations d’entreprises publiques et semi-publiques. Ces opérations devraient concerner plus d’une trentaine d’entreprises et générer sur la période 2022-2025 un total de 40 milliards de dollars.
Ces différents fonds devraient contribuer à résoudre la crise des devises étrangères en Egypte et soutenir la monnaie égyptienne durement affectée par la crise financière et économique que traverse le pays. Reste à savoir si les mesures chocs prises vont bavoir des impacts durables. En attendant, le taux de change semble se stabiliser légèrement sous les 50 livres pour 1 dollar à 48,80 livres pour 1 dollar ce matin du mardi 12 mars.
Nigeria: le naira se déprécie de manière inquiétante : des multinationales quyittent le pays
A l’instar de l’Egypte, la monnaie de la première puissance économique africaine aussi ne cesse de s’effriter face aux devises internationales et aux monnaies de la région ouest-africaine, notamment le franc CFA ancré à l’euro avec une parité fixe. Il faut dire que la première économie africaine souffre de nombreux maux: dépendance vis-à-vis des hydrocarbures (90% des recettes d’exportation), corruption, baisse des investissements directs étrangers, rareté des devises, effets des crises sécuritaires, effets de la guerre Russie-Ukraine… Il faut noter que le Nigeria est empêtré depuis le milieu des années 2010 dans une crise économique dont elle a du mal à s’en sortir. Le PIB du pays était à fin 2023 à un niveau inférieur de 16% à son niveau de 2015.
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Autant de facteurs qui ont plombé la première puissance économique du continent et miné sa monnaie qui ne cesse de s’effriter au cours de ces dernières années. Et depuis quelques temps, c’est la rareté des devises inquiète. Le 16 février dernier, il fallait 1645 nairas pour 1 dollar américain, suite à la décision des autorités de laisser le naira chuter de 33% dans le but de résorber un arriéré de devises handicapant. Il s’agit au fait d’une énième «dévaluation déguisée».
En juin 2023, quelques semaines après l’arrivée au pouvoir du président Bola Tinubu, les autorités avaient décidé une dévaluation du naira de 40% en supprimant le contrôle des devises étrangères, afin de relancer les transactions sur le marché officiel et d’unifier les taux de change du naira.
On est passé de 465,50 nairas pour 1 dollar à fin juin 2023, sous l’effet de multiples «dévaluations». En l’espace de 8 mois, on est passé de 465,50 nairas pour 1 dollar à un pic de 1645 nairas pour le même dollar le 29 février dernier, soit une perte de 254% en 8 mois, avant de baisser légèrement à 1575,25 nairas pour ce dollar, le 12 mars.
Ces dévaluations sont justifiées par la rareté du dollar au niveau du marché officiel et la volonté des autorités à réduire le gap entre les marchés officiel et parallèle. Un marché parallèle entretenu par les demandes en devises des opérateurs économiques.
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A travers ces mesures, les autorités espéraient qu’un taux de change unifié faciliterait l’accès aux devises étrangères. Ce ne fut pas le cas, le niveau des réserves en devises étant faible. Ces dernières, qui étaient estimées à 33,5 milliards de dollars en septembre 2023, ont atteint 37 milliards en début de la même année. Mais des comptes audités ont révélé que ses réserves comprenaient un engagement de 19 milliards de dollars en produits dérivés, signifiant pas là que la partie liquide des réserves est faible. Pire, JP Morgan a estimé les réserves de change nettes du pays à 3,7 milliards de dollars à fin 2022. Un niveau très largement inférieur aux estimations précédentes.
Cette rareté de devises fait que les autorités peinent à respecter certains de leurs engagements. En 2023, les fonds des compagnies aériennes étrangères bloqués au Nigeria avait atteint 744 millions de dollars, selon l’Association du transport aérien international (IATA). Une situation qui avait fait planer le spectre d’un boycott du ciel nigérian par les compagnies aériennes internationales.
De même, cette rareté des devises a, à l’instar de l’Egypte, fait prospérer le marché parallèle de change qui est plus attractif: les devises y sont disponibles ce qui en fait le véritable baromètre de change.
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La situation étant de plus en plus difficile, les autorités ont été obligées de prendre un certain nombre de mesures radicales pour retenir les devises au niveau du pays. En février dernier, elles ont décidé de limiter le rapatriement du dollar par les compagnies pétrolières afin de freiner l’érosion des réserves de change et soutenir le naira.
Ainsi, les compagnies du secteur pétrolier ne peuvent plus reverser à leurs maisons mères que 50% de leurs recettes d’exportations, le reste ne pouvant être rapatriés que 90 jours à compter de la date d’entrée de ces recettes. L’objectif à travers cette décision est d’augmenter la liquidité du marché en devises et contribuer à stabiliser un naira en chute libre.
Toutefois, les effets de cette mesure étant limités et les conséquences néfastes, la banque centrale du Nigeria a opté pour une nouvelle dévaluation
L’une des conséquences de cette forte dépréciation du naira est l’accélération de l’inflation. Celle-ci a atteint fin janvier son plus haut niveau depuis 28 ans, s’établissant à 29,9%.
L’effondrement de la monnaie nigériane, le rationnement de l’offre de dollars par la Banque centrale et un régime de change reposant sur des taux multiples ont découragé les entreprises étrangères. Les investissements directs étrangers sont tombés à 468 millions de dollars en 2022.
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Les entreprises nigériennes et les filiales des multinationales implantées dans le pays sont dans des situations délicates. L’impact de cette dépréciation sur les entreprises du pays et les filiales des multinationales est significatif.
L’exemple de Dangote Sugar Refinery (DSR) est illustratif à plus d’un titre. Cette compagnie sucrière détenue à hauteur de 72% par le milliardaire Aliko Dangote, qui contrôle 50% du marché du sucre au Nigeria, a enregistré une perte nette de 74 milliards de nairas, soit environ 48 millions de dollars en 2023, après avoir engrangé 55 milliards de nairas, soit 35,6 millions de dollars, une année auparavant.
Pourtant, les ventes de l’entreprise ont augmenté de 9,5% en 2023 à 441,45 milliards de nairas. Toutefois, le sucre produit par DSR étant importé pour être conditionné au Nigeria en sacs, le coût des importations du sucre a explosé sous l’effet de la dévaluation du naira générant des pertes financières évaluées à 172,2 milliards de nairas en 2023.
Ce fut le cas également du géant sud-africain des télécoms MTN Group Limited qui a vu sa filiale accuser une chute de son bénéficie de plus de 80% à cause de la forte dévaluation du naira avec une perte avant impôts de 178 milliards de nairas au titre de l’exercice 2023.
Idem pour Nestlé, la filiale de la multinationale suisse, présente au Nigeria depuis l’indépendance, qui a subi une perte de change de 70 millions de dollars en 2023.
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Face à cette situation et à l’absence de certitude quant à l’évolution favorable de la situation, les investisseurs étrangers se rebiffent. Même les pays du Golfe qui s’étaient engagés à investir massivement tardent à matérialiser leurs engagements.
Le pire est que la chute continue du naira et les obstacles aux transferts des devises poussent les firmes multinationales à l’exode. Ainsi, l’Américain Procter & Gamble a annoncé fin décembre 2023 son départ du Nigeria, après une présence de seulement cinq ans, créant une onde de choc dans le pays. Cette entreprise va rejoindre de nombreuses autres multinationales, notamment du secteur pharmaceutique qui ont quitté le pays dont le britannique GSK, l’Allemand Bayer et le Français Sanofi. Même le secteur stratégique des hydrocarbures n’est pas épargné par cette hécatombe. Equinor (Norvège) et Eni (Italie) se sont retirés et d’autres acteurs du secteur devraient suivre.