Dans un contexte mondial marqué par les tensions géopolitiques et les défis énergétiques, les accords gouvernement à gouvernement (G-to-G) pour l’importation de carburant avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, gagnent du terrain en Afrique. Face aux pénuries récurrentes et à la flambée des prix, des pays comme le Malawi et la Zambie envisagent de suivre l’exemple du Kenya, devenu un pionnier de ce modèle.
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Ces deux nations sont actuellement aux prises avec une grave crise de l’approvisionnement en carburant, largement attribuée à un manque de devises pour payer les importations et à des inefficacités dans la logistique et le fret.
Le Malawi, la Zambie et le Burundi sont confrontés à des pénuries de carburant persistantes, provoquant une envolée des prix à la pompe qui met à rude épreuve les économies nationales. L’absence ou l’insuffisance de dollars américains, monnaie utilisée pour régler les importations de carburant, perturbe gravement les chaînes d’approvisionnement et paralyse des pans entiers de l’activité économique.
Les accords gouvernement à gouvernement (G-to-G) entre le Kenya et les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, pour l'importation de carburant ont été lancés en avril 2023 dans le but de stabiliser le shilling kényan face aux devises étrangères.. DR.
Une situation précaire qui souligne l’urgence pour ces pays de trouver des solutions viables et durables pour sécuriser leurs approvisionnements en carburant. Les accords G-to-G représentent une option prometteuse, leur permettant de contourner certains des obstacles actuels en établissant des relations directes avec des producteurs fiables comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Ainsi, dans le cadre du partage d’expertise kenyan, le secrétaire du Cabinet de l’énergie, Opiyo Wandayi, a présenté la semaine dernière une équipe technique pour guider ses homologues des deux pays sur la manière de structurer un accord d’importation de carburant soutenu par le gouvernement, rapporte The East African, un média régional qui couvre l’actualité en Afrique de l’Est. «Les pays ont exprimé leur intérêt pour notre accord G-to-G, et nous avons accueilli des responsables la semaine dernière. Ils apprennent de nous la manière avec laquelle nous avons structuré notre accord», a confié le responsable du ministère kényan de l’Énergie, illustrant la volonté de partage d’expertise.
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Le fonctionnaire du ministère de l’énergie kenyan mentionne également que l’équipe technique kenyane a expliqué les défis rencontrés et les mesures d’atténuation mises en place pour y faire face.
Les principaux atouts des accords G-to-G
Ces accords offrent de multiples avantages pour les pays africains en quête de sécurité énergétique, un aspect essentiel dans un contexte de pénurie chronique. Premièrement, ils permettent un accès direct aux grands producteurs de pétrole du Golfe comme l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Ce qui réduit considérablement le nombre d’intermédiaires impliqués dans la chaîne d’approvisionnement, éliminant ainsi des coûts superflus et des risques de surfacturation. En traitant directement avec les pays producteurs, le Malawi et la Zambie peuvent négocier des prix plus avantageux.
D’autre part, l’établissement de relations bilatérales directes G-to-G avec ces fournisseurs clés offre une stabilité accrue dans les approvisionnements en carburant. Contrairement aux contrats à court terme sur les marchés spot internationaux, les accords G-to-G prévoient généralement des livraisons régulières sur le long terme. De quoi permettre aux pays importateurs de mieux planifier leur approvisionnement énergétique et d’éviter les ruptures de stock récurrentes qui paralysent leur économie.
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De plus, ces accords renforcés par la diplomatie étatique bénéficient souvent de conditions préférentielles en termes de modalités de paiement et de facilités de crédit de la part des fournisseurs. Cela représente un avantage non négligeable pour le Malawi et la Zambie, qui peinent à trouver les devises nécessaires pour régler comptant leurs importations pétrolières.
Enfin, au-delà de l’aspect purement commercial, ces partenariats G-to-G contribuent à approfondir les liens diplomatiques, économiques et stratégiques entre les pays africains et les nations du Golfe. Ce qui peut ouvrir la voie à d’autres coopérations mutuellement bénéfiques dans divers secteurs clés.
Cependant, pour un souci de résolution durable des problèmes d’inefficacité qui exacerbent les pénuries, il serait essentiel que la mise en place de tels accords s’accompagne de réformes structurelles et d’investissements dans les infrastructures logistiques et de stockage.
Risques de perturbations et de fluctuations des prix
Un autre avantage majeur des accords G-to-G réside dans la réduction potentielle des coûts de transaction liés à l’importation de carburant. En simplifiant les procédures administratives et en éliminant le besoin de systèmes d’appel d’offres complexes, ces accords peuvent permettre des économies substantielles pour les pays importateurs.
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De plus, en établissant des relations directes avec des acteurs clés comme Saudi Aramco, Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) et Emirates National Oil Company (ENOC), les pays africains peuvent bénéficier d’une plus grande transparence et d’un contrôle accru sur la chaîne d’approvisionnement.
Cependant, cette dépendance envers un nombre limité de fournisseurs soulève des interrogations quant aux risques potentiels de perturbations et de fluctuations des prix. En effet, en se liant contractuellement avec seulement quelques pays producteurs du Golfe, ces nations africaines s’exposent à un risque accru de perturbations ponctuelles de leur approvisionnement énergétique. Tout conflit géopolitique majeur, instabilité politique interne ou catastrophe naturelle affectant ces fournisseurs pourrait gravement compromettre les livraisons de pétrole promises au Malawi et à la Zambie.
De plus, cette relation de quasi-monopole pour leurs importations pétrolières pourrait également réduire leur pouvoir de négociation à long terme sur les prix. Avec un nombre limité d’alternatives, ces pays pourraient se retrouver captifs de conditions tarifaires moins avantageuses dictées par leurs fournisseurs principaux.
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De plus, toute décision unilatérale de hausses de prix par ces derniers, motivée par exemple par des tensions géopolitiques ou la volonté d’accroître leurs revenus, pourrait avoir un impact dévastateur sur les économies du Malawi et de la Zambie, déjà fragilisées.
Un autre risque potentiel est celui de l’éventuelle conditionnalité politique attachée à ces accords G-to-G. Les pays fournisseurs pourraient être tentés d’utiliser cette dépendance énergétique comme un levier d’influence, en liant la poursuite des livraisons à des concessions diplomatiques ou idéologiques de la part du Malawi et de la Zambie.
Enfin, cette concentration des sources d’approvisionnement fait peser une épée de Damoclès sur l’approvisionnement futur de ces pays en cas de rupture ou de non-renouvellement de ces accords à long terme avec leurs partenaires actuels.
Autant d’aspects et non des moindres à prendre en compte dans la mise en œuvre de ces accords G-to-G et qui doivent accompagner les réflexions approfondies sur les risques et les opportunités à long terme, tant sur le plan économique que géopolitique.
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Au-delà des considérations économiques, ces accords G-to-G représentent une opportunité de renforcer la coopération et l’intégration régionale en Afrique. En partageant leurs expériences et en coordonnant leurs efforts, les pays peuvent optimiser leurs stratégies énergétiques et réduire leur vulnérabilité aux chocs extérieurs. «Le Malawi a également demandé s’il pouvait obtenir un point d’amarrage dans un port kenyan pour le carburant», a indiqué le secrétaire du Cabinet de l’énergie kényan, illustrant les potentialités de synergies logistiques et commerciales.