Afrique de l’Ouest. Multinationales et clandestins s’y pressent: l’or de toutes les convoitises

Le cours de l'or a augmenté de 27,40% depuis le début de l'année à 2627,60 dollars l'once. Les principaux producteurs africains sont le Ghana, l'Afrique du Sud et le Mali.

Le 30/11/2024 à 16h38

L’Afrique de l’Ouest, qui produit plus de la moitié de l’or extrait en Afrique, recèle les plus importantes réserves du monde de ce précieux métal. Dans cette région du continent, les filons sont exceptionnellement généreux et font saliver aussi bien les multinationales que les orpailleurs clandestins.

L’Afrique de l’Ouest fait partie des régions, avec l’Australie et le Canada, ayant le plus grand potentiel aurifère du monde. Et l’histoire semble le confirmer. La légende raconte même que le roi Kankan Moussa du Mali (XIV siècle), est l’homme le plus riche du monde... de tous les temps. Plus près de notre époque, l’ancien nom donné par le colon britannique au Ghana, est Gold Cost (Côte-de-l’Or), une dénomination qui se passe de tout commentaire. Légendes et réalité s’entremêlent pour illustrer la richesse aurifère de la région qui compte de très nombreux sites dont certains sont connus depuis le Moyen-Âge.

Selon les données du World Gold Council de 2023, quinze pays africains figurent parmi les 45 plus grands producteurs d’or du monde, un classement dominé par la Chine (328,2 tonnes), la Russie (321,8 tonnes), l’Australie (293,8 tonnes), le Canada (191,9 tonnes) et les États-Unis (166,7 tonnes). La première nation africaine, 6e rang mondial, est justement le Ghana avec une production de 135,10 tonnes.

Dans ce classement, sur les 15 pays africains, huit sont de l’Afrique de l’Ouest: Ghana, Mali, Burkina Faso, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Libéria et Sénégal. Et dans cette région, le Ghana, le Mali et la Guinée constituent le quatuor doré.

En 2023, les quatre pays ont produit un total 404 tonnes d’or. Et la production des huit pays de la région a atteint un total de 525,5 tonnes, contre 884 pour les 15 plus grands producteurs du continent. Et sachant que les statistiques de la région sont loin d’être exhaustives, à cause de l’importance de l’orpaillage et de l’insécurité dans certaines régions contrôlées par des groupes terroristes, on peut avancer sans risque de se tromper que la région pèse à elle seule plus de la moitié de la production aurifère du continent africain.

Les 15 principaux producteurs d’or d’Afrique en 2023

PaysRang AfriqueRang mondialQuantités (tonnes)
Ghana1er6e135,1
Mali2e11e105
Afrique du Sud3e12e104,3
Burkina Faso4e13e98,6
Soudan5e16e72,5
Guinée6e18e64,9
Tanzanie7e19e52,0
Côte d’Ivoire8e20e51,5
Zimbabwe9e22e46,6
RD Congo10e23e45,4
Niger11e29e33,4
Mauritanie12e34e21,8
Liberia13e35e19,9
Sénégal14e38e17,1
Madagascar15e39e15,9

Source: World Gold Council

Malgré ce poids, le potentiel ouest-africaine demeure encore très sous-exploité. Alors que les mines d’Afrique du Sud, longtemps leader mondial de la production d’or, s’épuisent, celles d’Afrique de l’Ouest sont en pleine croissance. Ce qui justifie que le Ghana a ravi, depuis quelques années, la première place de producteur africain du métal jaune à l’Afrique du Sud.

Actuellement, c’est autour du Mali de dépasser le géant sud-africain qui recule à la troisième place des producteurs du continent. Un 3e rang menacé par le Burkina Faso dont la production est passée d’environ 50 tonnes en 2020 à 98,3 en 2023, doublant sa production en l’espace de seulement de trois ans avec une quinzaine de mines d’or en exploitation. Cette avancée a été réalisée malgré les impacts négatifs de la crise sécuritaire du Covoid-19.

Un pays comme le Mali, 11e producteur mondial en 2023 avec 105 tonnes d’or, et qui recèle des réserves estimées à 7.000 tonnes, peut améliorer davantage son rang parmi les plus grands producteurs d’or du monde. Le classement des producteurs de la région devrait ainsi évoluer dans les toutes prochaines années.

Outre le Mali et le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, qui a mis l’accent sur son potentiel minier dans le cadre de la diversification de son économie, est en train de monter en puissance. Avec 51 tonnes produites en 2023, le pays a découvert plusieurs gisements aurifères de «classe mondiale». Dans le nord du pays, la société canadienne Montage Gold a découvert un gisement dont les réserves sont évaluées à 5 millions d’onces, soit 155,5 tonnes d’or exploitables sur 20 ans. Cette mine, qui entrera en production en 2027, augmentera de manière conséquente la production du pays.

La production d’un autre gisement aurifère nommé Tanda-Iguéla, découvert en 2022 par le Canadien Endeavour Mining, débutera en 2028, avec un production totale de 150 tonnes d’or sur une durée de 15 ans. Cette compagnie a inauguré, en octobre 2024, la mine de Lafigué avec une production prévisionnelle de 5,6 tonnes par an dès 2025.

Au total, une dizaine de mines d’or sont en cours d’exploitation en Côte d’Ivoire tandis que d’autres devraient suivre les prochaines années pour propulser le pays parmi plus grands producteurs africains d’or.

La région est loin de dévoiler tout son potentiel aurifère du fait qu’elle est jusqu’à présent sous-explorée. Nonobstant, la région attire de plus en plus de multinationales. Ce qui augure de bonnes perspectives pour les pays de la région au moment où le cours du métal atteint des niveaux historiquement élevés. L’or s’échange actuellement à 2.650 dollars l’once, après le pic historique de 2.790 dollars.

Seulement, cet or, qui devrait constituer un stimulant à leur développement, ne profite que de manière marginale aux pays ouest-africains. Pour le Ghana, le métal jaune est le premier produit d’exportation avec une recette de 7,6 milliards de dollars en 2023, représentant 45% des revenus d’exportations du pays, loin devant les revenus du pétrole et du cacao.

L’or est également le premier produit d’exportation du Mali et du Burkina Faso, les recettes fiscales tirées de l’exploitation de l’or étant conséquentes. Cette situation s’explique essentiellement par le fait que les sites miniers sont globalement exploités par des multinationales, notamment canadiennes (Barrick Gold, Iamgold, Endeavour Mining Asante Gold, Galiano Gold, Golden Star...), australiennes (Perseus Mining, Resolute Mining...),...

Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce paradoxe. En premier lieu, les pays n’ont que des participations négligeables dans le capital des sociétés en charge de l’exploitation des mines d’or. Ces participations tournent autour de 10%, ce qui fait que les États ne tirent profit que faiblement des bénéfices générés par les entreprises aurifères.

Ensuite vient la faiblesse des redevances, taxes et impôts, en raison de codes d’investissement qui profitent davantage aux multinationales. Cette lacune fait que les Etats tirent peu de bénéfices de l’exploitation de leurs mines. En plus, une partie non négligeable de l’or extraite au niveau de la région est commercialisée à l’état brut, sans valeur ajoutée.

Enfin, une partie non négligeable de l’or est extraite par des unités informelles dont la commercialisation se fait via des circuits parallèles qui alimentent les raffineries occidentales, des Émirats arabes unis, de l’Inde… et qui profite aussi à des réseaux extrarégionaux et aux organisations terroristes. Selon Suissaid, «entre 32% et 41% de l’or total produit en Afrique n’a pas été déclaré à la production en 2022».

Une situation qui s’explique aussi par l’absence, jusqu’à une période très récente, de raffineries d’or en Afrique, hormis en Afrique du Sud. D’ailleurs, la Rand Raffinerie d’Afrique du Sud, qui existe depuis plus d’un siècle, raffine actuellement une partie importante de l’or produit en Afrique de l’Ouest, notamment celles du Ghana, du Mali, de la Guinée…

Face à cette situation, les pays de la région essayent, tant bien que mal, de changer la donne. D’abord en révisant les contrats passés avec les multinationales qui exploitent ces ressources dans des conditions qui ne laissent que des miettes aux pays de la sous-région.

Au Mali, par exemple, l’État et le privé local détiennent désormais jusqu’à 35% du capital des entreprises qui exploitent l’or dans le pays. Selon le nouveau code minier, après deux an d’exploitation, les entreprises qui exploitent les mines d’or doivent céder 20% du capital à l’État malien et 5% aux privés locaux, en plus des 10% qui revenaient de droit au pays dès le démarrage du projet en tant que propriétaire de la ressource. Le Mali et le Burkina Faso ont engagés des bras de fer avec certaines multinationales afin de modifier les règles d’exploitation.

Par ailleurs, conscients que l’exportation de l’or brut ne profite pas aux pays de la région mais uniquement aux étrangers disposant de raffineries d’or (Suisse, Royaume-Uni, Émirats arabes unis…), de nombreux pays de la région sont aujourd’hui engagés dans des projets de raffinage pour créer plus de valeur ajoutée en raffinant localement l’or extrait des mines industrielles contrôlées par les multinationales et celles informelles entre les mains des orpailleurs.

Ainsi, après le Ghana qui a inauguré en août 2024 sa première raffinerie d’or, Royal Ghana Gold Refinery, le Burkina Faso et le Mali en font de même avec le soutien des Russes. Ces différentes actions ne manqueront pas d’impacter positivement les ressources générées par l’exploitation de l’or, les années à venir.

Par Moussa Diop
Le 30/11/2024 à 16h38