L’annonce faite le lundi 19 mai à Alger par le président de la Banque islamique de développement (BID) Muhammad Sulaiman Al Jasser, relative à un accord de prêt de 3 milliards de dollars à l’Algérie, a fortement embarrassé les autorités allant jusqu’à pousser le président de cette institution à «apporter des précisions» sur sa sortie.
Certes, il n’y a rien d’anormal qu’un pays emprunte à l’étranger pour financer son développement. Toutefois, pour le cas de l’Algérie, cette sortie constitue un désaveu cinglant au discours servi jusqu’à présent par le président Abdelmadjid Tebboune qui n’a cessé de marteler que l’Algérie n’aura jamais recours à l’endettement extérieur. Il en a fait d’ailleurs une promesse lors de sa campagne présidentielle pour son second mandat.
En mai 2024, devant les officiers supérieurs de l’armée, il a usé de mots forts, n’hésitant pas à qualifier le recours à l’endettement extérieur de «trahison».
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Et à ceux qui oseraient avancer un avis contraire, estimant que l’endettement extérieur est un moyen comme un autre de financer l’investissement et le développement, Tebboune se montre menaçant avançant même que «c’est une honte et une trahison aux martyrs que d’aller vers l’endettement alors que tu peux t’en sortit sans endettement».
Pour justifier son opposition à l’endettement, le président algérien expliquait que «s’endetter, c’est renoncer à sa souveraineté», rien que ça. Plus récemment, jeudi 24 avril, lors d’une visite de travail et d’inspection dans la wilaya de Béchar, le chef de l’État algérien a réaffirmé que l’Algérie ne recourra pas à l’endettement extérieur pour financer ses projets de développement. «Le jour où nous entrons dans l’endettement, nous ne pourrons plus parler ni de Palestine, ni du Sahara occidental. Tu entres dans le rang et tu te tais. C’est pourquoi nous ne recourrons jamais, si Dieu le veut, à l’endettement», a déclaré Tebboune.
Abdelmadjid Tebboune avait tellement répété son refus catégorique à tout endettement extérieur que cette option a fini par devenir un dogme. Il a ainsi tenu à lier son refus à recourir à la dette extérieure à son soutien au Polisario et à la Palestine dans un tour de passe-passe dont il est seul dépositaire du secret.
«Nous agissons en fonction de nos besoins, sans avoir recours à l’endettement extérieur», qui empêche de «défendre les causes justes dans le monde, comme les causes palestinienne ou sahraouie» (sic !), a-t-il encore martelé lors de cette visite, avant de ressortir son slogan favori: «il nous est interdit d’hypothéquer la souveraineté nationale», selon ses propos rapportés par le quotidien Le Jeune indépendant.
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On comprend mieux alors la gêne des autorités algériennes à l’annonce de ce prêt, se contentant de parler de «partenariat stratégique» avec la BID, ne mentionnant même pas la «mise à disposition» des 3 milliards de dollars, afin de ne pas dévoiler aux Algériens les incohérences du discours prôné au sommet de l’Etat.
Seulement, la BID ne met pas à disposition d’un pays un montant bien précis sans qu’il y ait un accord entre les deux parties. Mieux encore, pourquoi affecter le montant annoncé au projet ferroviaire annoncé par Tebboune plus précisément si aucun accord n’a été signé entre les deux parties sur ce projet. Enfin, en quoi peut bien consister un «partenariat stratégique» entre l’Algérie et la BID si le volet du financement n’est pas pris en compte? Le régime d’Alger emprunte de l’argent et a honte d’assumer son acte.
Cette seconde sortie du président de la BID pour «clarifier» ses premières déclarations en faisant passer le «prêt» à une «mise à disposition» vise surtout à plaire aux autorités algériennes qui espèrent ainsi sauver la face.
Ces deux sorties sont toutefois révélatrices d’une réalité: Alger, aux finances publiques mises à mal par un budget expansif et dont il ne maitrise plus le déficit abyssal, cherche une planche de salut. L’autre planche, celle à imprimer le billets de banque actionnée en 2017 et jamais désactivée depuis, explique un paradoxe: la masse colossale des dinars en circulation dans le pays ne correspond pas à la richesse réellement créée.
Ce qui accentue une inflation inexpugnable avec la rareté de denrées de première nécessité comme le café, le lait et la semoule. Le régime réprime d’ailleurs à tout-va ce qu’il qualifie de «spéculateurs» des produits alimentaires, prononçant des peines de prison ferme dépassant 15 ans pour le simple motif de stocker quelques kilos de café ou de bananes.
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Résultat: le financement de cet abyssal déficit, représentant 22% du PIB, pose de plus en plus de problèmes aux finances publiques algériennes, surtout dans un contexte de décrue des cours du baril de pétrole. N’ayant pas de marge de manœuvre à cause d’une assiette fiscale étroite consécutive à une économie dépendante quasi-exclusivement des hydrocarbures, le régime d’Alger n’a plus d’autre choix: recourir à d’autres sources de financement s’il souhaite financer des projets de développement.
Après avoir essayé la «planche à billets» dont les conséquences ont été néfastes sur les citoyens en raison des effets inflationnistes, d’autres sources seront sollicitées si la décrue des cours du baril se poursuit.
Ensuite, les autorités algériennes doivent réduire la pression que subit le marché intérieur. En effet, si l’Algérie est faiblement endettée vis-à-vis de l’extérieur, sa dette intérieure est colossale et attient 15.796 milliards de dinars à fin juin 2024, soit 99,32% de la dette publique totale.
La dette intérieure est passée de 20,6% du PIB en 2016, 40% en 2018 et 50% en 2024. En recourant presque uniquement au marché intérieur pour couvrir son déficit budgétaire, l’État joue un rôle d’éviction et perturbe le financement du privé, entrainant une baisse de l’investissement et de la consommation privée. Afin d’atténuer cette situation, la diversification des sources de financement du déficit est recommandée.
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Enfin, l’incertitude accrue que fait peser l’évolution du cours du baril de pétrole sur les finances publiques algériennes milite pour des solutions de financement durables. Le cours du Brent de la Mer du Nord, qui navigue autour des 65 dollars, est une catastrophe pour l’Algérie, les hydrocarbures représentant autour de 95% des exportations et plus de 40% des ressources budgétaires.
La baisse des cours se traduira par moins de ressources pour les finances publiques et donc par le creusement du déficit déjà abyssal à financer. Il faut garder à l’esprit que l’Algérie a misé sur un baril moyen de 70 dollars pour l’année en cours. Alger qui table sur des recettes budgétaires tirées des hydrocarbures de 3.600 milliards de dinars (27 milliards de dollars), contre 3.035 milliards en 2024, sait pertinemment que cet objectif ne sera pas atteint dans le contexte actuel du cours du baril.
L‘année dernière, le prix moyen du baril était de 82 dollars, ce qui n’est pas le cas depuis le début de l’année. Résultat: le déficit projeté de 22% du PIB risque de se creuser davantage. L‘État algérien n’a pas de marge de manœuvre pour renflouer la caisse.
Le recours à l’endettement extérieur demeure donc une option, même s’il faut le faire en catimini, de façon presque honteuse, dans le cas algérien. Cela d’autant plus vrai que les projections portant sur le cours du baril ne sont pas favorables. Selon la banque d’investissement américaine Goldman Sachs, le baril de pétrole devrait enregistrer un prix moyen de 60 dollars en 2025 et 56 dollars en 2026, après les décisions des pays de l’Opep+ d’augmenter leur production.
Avec de tels prix, l’Algérie verra ses recettes et ses réserves de change fondre comme neige au soleil. Pire encore, la baisse des recettes d’exportation au cours de ces trois dernières années constitue une autre source d’inquiétude.
Pour trouver une voie de sortie, il faudra chercher d’autres sources de financement, y compris celles qui contredisent les promesses du président. Reste à savoir si le président Tebboune aura le courage de reconnaître sa «trahison» en s’endettant à l’extérieur et sceller l’effondrement d’une posture politique entretenue artificiellement par des cours du pétrole élevés.