Bien que disposant de 60% des réserves de terres arables non encore exploitées, l’Afrique continue à dépendre des importations de céréales (blé, riz, maïs…). Une situation qui s’est avérée néfaste pour les économies africaines durant la crise sanitaire et plus récemment en raison de la guerre Russie-Ukraine. Ces deux conjonctures ont causé des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Si dans le très court terme les pays africains ont été obligés de s’approvisionner sur le marché mondial à des prix élevés, certains ont tout simplement décidé d’investir dans la production agricole afin d’assurer une certaine autosuffisance alimentaire.
En ce qui concerne le blé, la céréale la plus consommée au monde, la dépendance de l’Afrique vis-à-vis des importations est criante. Outre le fait que l’Egypte soit le premier importateur mondial de blé au monde, trois autres pays africains figurent dans le Top 10 des importateurs mondiaux: Egypte, Algérie, Nigeria et Maroc. Pire, aucun pays africain n’était autosuffisant en blé au moment du déclenchement de la crise ukrainienne.
Heureusement, à cause des pénuries de blé, de la flambée des cours des céréales et des produits dérivés (farine, pain, pâtes…) qui ont contribué à l’aggravation des déficits budgétaires sous l’effet des subventions, et à l’inflation galopante, certains pays africains ont décidé d’investir dans la production délaissée depuis des années par de nombreux pays.
Ce peu d’intérêt accordé jusque-là aux productions nationales s’explique, en partie, par des cours bas des céréales sur le marché mondial résultant souvent de pratiques commerciales des pays développés (subventions aux agriculteurs), mais aussi et surtout d’un manque de vision des dirigeants africains.
Lire aussi : Céréales: nouvelles craintes de flambée des prix après les menaces russes de ne pas renouveler l’accord de l’ONU
Seulement, à cause des impacts du Covid-19 et surtout de la crise ukrainienne, la situation semble évoluer favorablement au niveau du continent africain.
En premier lieu, il y a que de nombreux pays du continent se sont lancés dans des stratégies visant à augmenter sensiblement leur production agricole en augmentant de manière conséquente les surfaces emblavées. C’est particulièrement le cas des pays de l’Est du continent qui disposent de terres arables et souvent des cours d’eau nécessaires pour l’irrigation et qui sont moins soumises aux sécheresses que ceux du Sahel.
Ces stratégies ont commencé à donner leurs fruits. Le résultat le plus tangible et remarquable est certainement celui obtenus par l’Ethiopie. Dans le cadre du plan de développement décennal 2021-2030, grâce à la mise en place de programmes agricoles durables et de qualité, le pays s’est fixé comme objectif de passer du statut d’importateur à celui d’exportateur de blé. En effet, bien que producteur de blé, l’Ethiopie importait pour environ 600 millions de dollars de blé chaque année.
Lire aussi : Céréales: nouvelles craintes de flambée des prix après les menaces russes de ne pas renouveler l’accord de l’ONU
Ce pays a donc augmenté de 18% la superficie emblavée pour la porter à 2,3 millions d’hectares lors de la campagne 2022-2023, contre 1,9 million la précédente campagne grâce à la hausse des superficies irriguées. Ces dernières sont passées de moins de 5.000 hectares en 2028-2029 à 187.240 hectares en 2020-2021 pour atteindre 650.000 hectares en 2021-2022. Une pluviométrie suffisante et bien répartie sur les hauts plateaux y a aussi contribué.
Il faut également citer l’augmentation des rendements du blé de 8% par rapport à l’année précédente, atteignant un niveau historique de 4 tonnes à l’hectare, contre 2 tonnes en moyenne auparavant, grâce à l’utilisation d’intrants et à une mécanisation accrue.
Grâce à ces facteurs, la production de blé en Ethiopie a augmenté de 27% pour atteindre 7 millions de tonnes lors de la campagne 2022-2023, selon les données du Département américaine de l’agriculture (USDA). L’Ethiopie a bénéficié du partenariat du Pacte pour le blé du programme Technologies pour la transformation agricole en Afrique (TAAT), financé par une subvention de la Banque Africaine de Développement, qui a permis la mise à disposition des agriculteurs des variétés de blé tolérantes à la chaleur.
Avec cette production, l’Ethiopie est devenue le premier producteur de blé d’Afrique subsaharienne. Et les autorités, qui s’éteint fixées l’autosuffisance sont en passe de gagner leur pari. La production de cette année équivaut, pratiquement, à la consommation du pays.
Conséquence, en tenant compte du stock existant, l’Ethiopie a exporté une partie de sa production vers les pays voisins, le Kenya et le Soudan. Une première dans l’histoire du pays.
«Maintenant, nous avons montré aux Ethiopiens et au monde que nous avons pu exporter la production de blé en plus d’arrêter les importations. Nous sommes ravis car nous avons pu montrer à ceux qui disaient que l’Ethiopie n’avait pas les moyens d’exporter du blé en se libérant de l’aide au blé», s’est réjouit le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed.
Lire aussi : Quand Moscou mise sur la diplomatie des céréales pour séduire l’Afrique
Si l’Ethiopie y est arrivée, d’autres pays africains essayent d’en faire autant. C’est le cas notamment du Maroc, un des gros importateurs de blé du continent. Durement affecté par les sécheresses de ces dernières années, le royaume a vu le volume de ses importations de la céréale augmenter dans un contexte de flambée des cours. Face à cette situation, la réduction de la dépendance aux importations par une augmentation de la production locale est devenue un enjeu crucial.
Seulement, pour augmenter la production locale, il faudra tenir compte de la situation hydrique du pays avec des sécheresses qui se succèdent à une cadence de plus en plus soutenue. Résultat, en plus de l’extension des surfaces dédiées à la culture du blé, l’accent est surtout mis sur des variétés adaptées à la fréquence des épisodes de rareté des pluies. A ce titre, le Centre International de Recherche agricole dans les Zones Arides (ICARDA) a collaboré avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) du Maroc et l’entreprise semencière Benchaib semences pour produire des variétés adaptées aux conditions aclimatiques locales.
Après dix ans de recherche, six variétés de blé dont trois de blé dur (Nachit, Jabal et Jawahir) et trois d’orge (Chiffa, Assiya et Khnata) ont été évaluées avec succès au Maroc durant plusieurs années. Ces variétés possèdent un patrimoine génétiques clés qui les rend plus résistantes aux défis climatiques, notamment à la rareté de l’eau qui tend à devenir une réalité au Maghreb.
Lire aussi : Sécheresse: le grenier à blé de la Tunisie à court de céréales
Après les expérimentations, ces variétés ont répondu aux attentes des scientifiques et des agriculteurs. L’objectif des autorités est, dans le cadre du plan Génération Green 2020-2030 du ministère de l’Agriculture, atteindre une meilleure souveraineté alimentaire d’ici 2030.
En fin, certains pays dépendant à 100% des importations de blé ont aussi initié des politiques de production locale. C’est le cas du Sénégal qui a été durement affecté par la crise ukrainienne sachant que le pays importe une grande partie de ses besoins à partir de ces deux pays en conflit. Le blé est la seconde céréale la plus importée par le pays après le riz. Le pays en importe 800.000 tonnes par an.
Conscient de l’importance du blé dans les habitudes alimentaires des Sénégalais, les autorités ont décidé d’expérimenter la production de cette céréale qui n’est, en principe, pas adaptée au climat local.
Pour y arriver, des chercheurs agronomes sénégalais ont expérimenté du blé local, adapté aux conditions climatiques du pays. Les récoltes de quatre variétés, dont trois provenant de l’Egypte et une quatrième développée par l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) sont encourageantes. Le pays a expérimenté cinq parcelles dont deux à Dakar et trois au niveau de la vallée du fleuve Sénégal. Les expériences portent sur la production de blé tendre pour la fabrication du pain et dur pour les pâtes alimentaires.
Lire aussi : Le Sénégal moissonne et montre que cultiver le blé est possible
A travers ces expérimentations globalement concluantes, le Sénégal compte réduire sa dépendance vis-à-vis des importations de cette céréales. «On a un potentiel important. On pourra dès novembre 2023 augmenter les superficies avec la participation de partenaires privés. Seul hic, il faudra régler le problème de l’eau pour l’irrigation, en dehors des régions bien arrosées par le fleuve Sénégal», a souligné Aly Ngouille Ndiaye, ministre de l’Agriculture, de l’équipement rural et de la souveraineté alimentaire (MAERSA) du Sénégal.
A noter que plusieurs autres pays africains sont aujourd’hui engagés dans des projets visant à accroitre leur production agricole. Et le blé n’est pas la seule céréale concernée par ces politiques agricoles visant à sécuriser les approvisionnement en produits alimentaires, à réduire les factures des importations et à faire face à l’inflation.
Et avec 60% des terres arables du monde non encore exploitées, l’Afrique dispose des atouts pour produire ce dont elle a besoin, à condition qu’il y ait des visions et volontés politiques.