Blanchiment d’argent: les 10 pays d’Afrique aux risques les plus faibles et les moins sûrs

مكافحة تبييض الأموال

70% des pays d’Afrique subsaharienne améliorent leur score AML en 2025, mais la région conserve le risque moyen le plus élevé (6.14 contre 5.28 global).. DR

Le 16/12/2025 à 15h17

Le Basel AML Index 2025 révèle une Afrique tiraillée entre progrès techniques et vulnérabilités structurelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Alors que 70% des pays subsahariens améliorent leurs scores, le continent conserve le risque régional moyen le plus élevé du monde, soulignant l’urgence de réformes politiques et judiciaires.

La 14e édition du Basel AML Index, publiée par le Centre international pour la récupération d’actifs (ICAR), révèle une Afrique aux contrastes saisissants. Si plusieurs pays affichent des améliorations notables dans la lutte contre le blanchiment d’argent, d’autres restent englués dans des vulnérabilités structurelles. Avec 177 juridictions évaluées, le rapport classe les pays selon leur risque de blanchiment et de crimes financiers associés, sur une échelle de 0 (risque minimal) à 10 (risque maximal).

Rappelons que ce document développé par le Centre international pour la récupération d’actifs (ICAR), rattaché au Basel Institute on Governance, institut associé à l’Université de Bâle, évalue 17 indicateurs couvrant 5 domaines de risque (cadre AML*, corruption, transparence financière, etc.), dépassant les simples critères réglementaires.

Ce qui permet de mettre en lumière les vulnérabilités structurelles (déficits d’État de droit, opacité financière) plutôt que le volume de blanchiment. A cela s’ajoute le fait que son mécanisme d’ajustement pour les pays sortis de la «liste grise du GAFI» permet de refléter leurs progrès réels. De quoi soutenir les réformes.

Le rapport est un outil incontournable pour les décideurs, combinant expertise indépendante et analyse sur plusieurs dimensions des risques financiers. «En mesurant les facteurs de risque sous-jacents, le Basel AML Index aide à concentrer l’attention et les ressources là où elles comptent le plus», fait valoir Elizabeth Andersen, directrice exécutive du Basel Institute on Governance.

Le classement des dix pays africains présentant les risques les plus faibles de blanchiment d’argent offre un visage contrasté de la résilience financière sur le continent. Le Botswana, leader incontesté avec un score de 4.12, confirme sa position de modèle de stabilité institutionnelle en Afrique, bien que son risque ait légèrement augmenté.

Les Seychelles, la Tunisie, la Namibie, le Ghana, la Zambie et le Sénégal affichent des tendances positives, démontrant une capacité à améliorer continuellement leurs cadres de lutte contre les flux financiers illicites. Cependant, ce tableau optimiste est assombri par des signaux inquiétants.

L’Île Maurice, souvent citée en exemple pour sa place financière, voit son risque augmenter, devenant une exception préoccupante dans ce peloton de tête. Plus frappant encore, l’Égypte et le Maroc enregistrent une détérioration notable de leurs scores.

Le Maroc cristallise ce paradoxe: classé au sixième rang africain et centième mondial avec un score de 5.04, il figure parmi les moins risqués du continent, mais la tendance à la hausse de son risque depuis 2024 révèle des vulnérabilités sous-jacentes.

Une inversion qui suggère que des défis persistants, potentiellement dans la transparence des bénéficiaires effectifs, l’efficacité opérationnelle des contrôles ou l’intégrité du secteur public, érodent les fondements de sa résilience financière, rappelant que le statut de «moins risqué» en Afrique reste un équilibre dynamique et précaire.

Les 10 pays africains aux risques les plus faibles

PaysClassement AfriqueClassement Basel AML IndexScoreTendance
Botswana 1er151e4,12diminution des risques par rapport à 2024
Seychelles2e126e4,60diminution des risques par rapport à 2024
Maurice3e123e4,65 augmentation des risques par rapport à 2024
Tunisie 4e119e4,75 diminution des risques par rapport à 2024
Namibie 5e116e4,78 diminution des risques par rapport à 2024
Maroc 6e100e5,04augmentation des risques par rapport à 2024
Ghana 7e96e5,13diminution des risques par rapport à 2024
Égypte 8e87e5,22 augmentation des risques par rapport à 2024
Zambie 9e84e5,31diminution des risques par rapport à 2024
Sénégal 10e83e5,36diminution des risques par rapport à 2024

Source: Basel AML Index 2025.

À l’opposé du spectre, le classement des dix pays africains aux risques les plus élevés dresse une carte des crises systémiques et des fragilités multidimensionnelles. La République Démocratique du Congo (RDC), le Tchad et la Guinée Équatoriale figurent parmi les cinq juridictions les plus risquées au monde, avec des scores avoisinant 7.6 sur 10. Une concentration extrême de risques qui n’est pas un hasard; elle est le symptôme d’une convergence de défaillances structurelles: État de droit vacillant, corruption endémique, opacité financière totale et institutions de contrôle financier inexistantes ou inefficaces.

L’entrée de la Guinée Équatoriale et de Djibouti dans l’index cette année a immédiatement exposé leurs vulnérabilités critiques. Si le Gabon, la République Centrafricaine et la République du Congo affichent de légères améliorations statistiques, leurs scores demeurent relativement élevés, témoignant d’efforts insuffisants face à l’ampleur des défis. La détérioration du risque en Guinée-Bissau et au Niger, ainsi que la position alarmante de l’Algérie (6.82), confirment que cette zone de très haut risque est marquée par une instabilité profonde.

Ces pays sont piégés dans un cercle vicieux où l’instabilité politique et les conflits sapent toute capacité à construire des défenses financières robustes, et où, inversement, les flux financiers illicites alimentent et perpétuent ces mêmes crises de gouvernance.

Les 10 pays africains présentant les risques les plus élevés

PaysClassement AfriqueClassement Basel AML IndexScoreTendance
République démocratique du Congo1er3e7,63diminution des risques par rapport à 2024
Tchad2e4e7,56diminution des risques par rapport à 2024
Guinée équatoriale3e5e7,55ajouté en 2025
Gabon4e8e7,46diminution des risques par rapport à 2024
République centrafricaine5e9e7,44diminution des risques par rapport à 2024
Guinée-Bissau6e10e7,30 augmentation des risques par rapport à 2024
République du Congo7e11e7,27diminution des risques par rapport à 2024
Djibouti 8e13e6,93ajouté en 2025
Niger9e14e6,84augmentation des risques par rapport à 2024
Algérie10e15e6,82diminution des risques par rapport à 2024

Source: Basel AML Index 2025.

Le rapport 2025 fait également émerger une tendance continentale porteuse d’espoir, qu’il convient de nuancer fortement. L’Afrique subsaharienne se distingue comme la région où les efforts de réforme portent leurs fruits de la manière la plus visible: 70% de ses juridictions ont amélioré leur score, et sept des dix plus grands «améliorateurs» mondiaux sont africains, notamment le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire qui sont passés dans la catégorie de risque moyen.

Le retrait de six pays (Burkina Faso, Mali, Mozambique, Nigéria, Afrique du Sud, Tanzanie) de la liste grise du GAFI constitue une avancée politique majeure, prouvant que des réformes ciblées et un engagement politique peuvent conduire à une reconnaissance internationale.

Cependant, cet optimisme doit être tempéré par la dure réalité des chiffres. L’Afrique subsaharienne conserve le score régional moyen le plus élevé au monde (6.14), bien au-dessus de la moyenne mondiale de 5.28. Une contradiction apparente entre progrès relatifs et risque absolu élevé qui souligne la profondeur des faiblesses structurelles de départ. Elizabeth Andersen, directrice exécutive du Basel Institute on Governance, apporte un correctif essentiel en rappelant que « les moyennes mondiales sont peu parlantes. Ce qui compte, c’est ce que vivent les populations: la corruption, la criminalité environnementale ou le trafic de drogues évoluent rapidement et affectent leur quotidien ».

Les améliorations techniques et législatives, bien que nécessaires, ne suffisent pas à elles seules à transformer l’environnement global de criminalité financière qui pèse sur le développement et la sécurité des citoyens.

Le cas du Maroc

La trajectoire du Maroc dans l’indice sert de cas d’école et d’avertissement pour les économies émergentes africaines aspirant à la respectabilité financière. Bien que se maintenant dans le top 10 africain des pays à plus faible risque, sa détérioration (score passant à 5.04) est un signal d’alarme. Elle contraste avec la stabilité ou l’amélioration affichée par des pairs comme le Botswana ou la Namibie. Une tendance négative à relier directement à deux domaines clés identifiés par le rapport comme connaissant une détérioration mondiale notable: la «transparence financière et les normes» et la «transparence publique et la redevabilité».

Le Maroc semble ainsi vulnérable aux mêmes faiblesses qui affectent les systèmes financiers mondiaux, notamment concernant la clarté de la propriété effective des sociétés et la robustesse de la régulation. De manière plus fondamentale, cette situation illustre la limite des approches purement techniques.

Elizabeth Andersen le souligne avec force. «Le blanchiment ne se combat pas seulement par des lois: il faut des systèmes politiques indépendants, des médias libres et une réelle responsabilité dans le secteur public». Pour le Maroc, maintenir et améliorer sa position requiert donc de dépasser le renforcement formel du cadre AML/CFT pour s’attaquer aux déterminants politiques et sociétaux plus larges de l’intégrité financière, un défi autrement plus complexe.

Pour ce qui est des actions concrètes des pays africains, telles que mesurées et analysées par l’indice, celles-ci révèlent à la fois la capacité de réforme et les limites profondes des systèmes en place. Les sorties successives de la liste grise du GAFI, dont celle du Mozambique saluée dans le rapport, démontrent de manière tangible que des réformes ciblées, soutenues par un engagement politique et une assistance technique, peuvent produire des résultats rapides et obtenir une validation internationale. Cependant, le rapport met en lumière un fossé inquiétant.

D’un côté, les progrès dans les cadres législatifs AML/CFT sont réels. De l’autre, les risques politiques et juridiques sous-jacents ont augmenté en Afrique subsaharienne (score moyen de 5.39 contre 4.45 mondial), indiquant une détérioration ou une persistance de l’instabilité, des atteintes à l’indépendance judiciaire et des restrictions aux libertés civiques. Une dichotomie cruciale. Elle signifie que les fondations sur lesquelles reposent les systèmes de contrôle financier restent fragiles.

La preuve de cette déconnexion est incarnée par le mécanisme d’ajustement méthodologique du Basel AML Index lui-même. Pour les pays sortis de la liste grise, l’indice suppose que l’efficacité de leurs systèmes est désormais à un niveau «modéré», car le GAFI ne procède pas à une réévaluation formelle. Une supposition, nécessaire d’un point de vue méthodologique, qui est un aveu éloquent: la traduction des réformes techniques en une efficacité réelle et durable sur le terrain, dans des contextes politiques souvent volatils, reste la grande inconnue et le défi ultime.

Ainsi, le Basel AML Index 2025 brosse un tableau nuancé. L’Afrique progresse, mais sur des fondations fragiles. Pour Elizabeth Andersen, «l’avenir des crimes financiers est incertain, mais des décisions fondées sur des preuves solides peuvent infléchir la courbe». Le Maroc et d’autres «modèles» doivent surveiller leur dérive, tandis que les pays à haut risque gagneraient à s’inspirer des succès comme le Burkina Faso. La route vers la résilience reste longue, mais les données du rapport offrent une boussole indispensable.

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(*) : Le cadre AML désigne l’ensemble des mesures juridiques, réglementaires et opérationnelles mises en place pour lutter contre le blanchiment d’argent (Anti-Money Laundering).

Par Modeste Kouamé
Le 16/12/2025 à 15h17