Va-t-on vers une nouvelle crise du blé, avec son corollaire de flambée des prix du pain, en Afrique? Tout semble l’indiquer. En effet, la décision russe de suspendre l’Accord sur les exportations de céréales au départ des ports ukrainiens qui devait arriver à échéance le 19 novembre courant, s’est rapidement traduit par une hausse des cours du blé sur le marché mondial.
La décision de Moscou de sortir de l’accord qui consistait en la mise en place du corridor de la mer Noire permettant l’expédition depuis les ports ukrainiens de plus de 9 millions de tonnes de céréales et d’oléagineux va profondément déstabiliser le marché mondial et impacter les grands importateurs, notamment en Afrique du Nord, région qui compte 3 des 10 plus grands importateurs de blé au monde, avec à leur tête l’Egypte, premier importateur mondial de blé avec en moyenne 13 millions de tonnes par an. Les importations annuelles cumulées de blé de la région dépassent de loin les 28 millions de tonnes. Et avec la sécheresse aigüe que traverse la région, ce volume devrait fortement augmenter.
Juste après le début de la guerre, et avant que cet accord ne soit trouvé, les cours du blé et des oléagineux avaient fortement flambée. Toutefois, l’accord avait permis de stabiliser les marchés et entraîné par la même occasion la baisse des cours du blé et des oléagineux. Sa suspension va donc se traduire par le quasi-arrêt des exportations de blé ukrainien, avec le risque de nouvelles pénuries et d’une nouvelle flambée des cours.
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Concernant la hausse des prix, elle est soutenue principalement par plusieurs facteurs: la géopolitique avec le regain de tension sur le blé en mer Noire suite au retrait de la Russie, les sécheresses qui touchent certains grands producteurs comme l’Argentine, le mauvais état du blé américain, l’envolée du dollar...
Ainsi, lors de la séance du 1er novembre, à Chicago, le cours du blé à échéance décembre 2022 a grimpé de 20,25 c$/bu, soit 7,8 euros/tonne, à 9,03 $/bu, soit 339 euros/tonne. Cette tendance haussière devrait se poursuivre, sachant que, selon le centre de coordination conjointe chargé de superviser l’accord, il n’y aurait aucun mouvement de cargos céréaliers dans le couloir sécurisé en Mer noire. Quant à la qualité du blé américain, selon l’USDA, seulement 28% de celui d’hiver bénéficie des notations «bon à excellent», alors que le taux de «mauvais à très mauvais» atteint 35%, un record historique qui va impacter les exportations américaines.
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A ces facteurs s’ajoutent l’impact de l’appréciation du dollar par rapport aux monnaies des pays africains qui impacte négativement la facture des importations. A titre d’illustration, le dirham marocain, l’une des monnaies les plus stables du continent, s’est dépréciée de 18% vis-à-vis du dollar américain en voyant son cours passer de 9,39 dirhams pour 1 dollar le 31 décembre 2021 à 10,95 dirhams pour 1 dollar à la date du 1er novembre 2022. La baisse est encore plus conséquente pour la livre égyptienne, qui a perdu presque la moitié de sa valeur vis-à-vis du dollar après deux «dévaluations».
C’est dire que le risque d’une nouvelle flambée des cours du blé est réel, et ce, d’autant que les pays nord-africains, grands importateurs, sont durement touchés par la sécheresse qui a réduit leur production, les poussant à importer davantage.
Cette crainte de flambée des cours ne concerne pas uniquement le blé. C’est le cas aussi pour les oléagineux qui ont repris un mouvement haussier depuis fin septembre dernier. Et la décision russe a fait flamber les cours à cause des craintes de pénuries de graines de tournesol. L’Ukraine est le premier exportateur mondial de cet oléagineux et représente 50% du commerce mondial. C’est donc tout le marché des oléagineux qui connait une tension.
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Au-delà de la hausse, qui reste inéluctable du fait de la loi de l’offre et de la demande, la plus grande crainte reste les pénuries de blé, d’engrais et d’oléagineux. Et en cas d’arrêt des exportations de la mer Noire, ce risque sera élevé. En effet, la Russie et l’Ukraine assurent plus de 35% du commerce mondial de blé. Et l’Afrique, dont environ 50% du blé importé provient de cette région, va être fortement impactée.
En effet, 16 pays africains regroupant 40% de la population du continent dépendent à hauteur de 56% de la Russie et de l’Ukraine, comme l’Erythrée (100%), la Somalie (90%), les Seychelles (90%) la RDC (85%), l’Egypte (80%), Madagascar (75%), le Bénin (70%), le Congo (65%), le Rwanda (56%)…
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La situation est d’autant plus inquiétante que l’Argentine, qui fait partie des pays de substitution pour les importations de blé en provenance de la région Russie-Ukraine, pourrait revoir ses contrats de livraison de blé. Les autorités argentines souhaitent suspendre les exportations en raison de la sécheresse qui frappe le pays pour sécuriser l’approvisionnement du marché intérieur, selon Reuters.
Selon l’agence de presse, cette mesure va concerner l’Algérie, l’Indonésie, le Maroc, l’Egypte et d’autres pays. Une source de la Chambre d’exportation des céréales en Argentine (CEC), a indiqué à Reuters que «si le gouvernement veut le faire, qu’il le fasse maintenant, car nous devons faire demi-tour et parler aux clients en Indonésie, au Maroc, en Algérie, en Egypte et leur dire que notre blé a brûlé et renégocier ces contrats».
Bref, l’Afrique n’a pas encore décidé de se prendre en charge. Dans presque tous les pays, les engagements annoncés en 2021 pour assurer la sécurité alimentaire ont été rapidement oubliés après l’accord sur les céréales obtenu après la visite du président de l’Union africaine, Macky Sall, à Moscou. Seulement, le revirement de la position de nombreux pays africains vis-à-vis du conflit lors du vote de la dernière résolution onusienne sur cette guerre ne semble pas avoir plu aux Russes, même si ces derniers ont justifié leur décision par l’attaque contre leur base navale en Crimée, assurant ne plus être en mesure d’assurer la sécurité dans la région.