Impactée par la crise Russie-Ukraine, l'Afrique ne devra son salut qu'à des solutions africaines

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Le 23/05/2022 à 14h54, mis à jour le 23/05/2022 à 15h00

L’Afrique est touchée de plein fouet par les effets de la guerre russo-ukrainienne. Minée par des pénuries de produits alimentaires et par l’inflation, le continent peaufine des solutions pour réduire sa dépendance alimentaire. Les Etats et la BAD avancent leurs solutions.

Si la guerre entre la Russie et l'Ukraine se déroule à des milliers de kilomètres de l’Afrique, il n’en demeure pas moins que le continent subit de plein fouet l'impact de cette crise, notamment sur des volets cruciaux comme l’énergie et l’alimentation. Deux domaines dans lesquels des pénuries et des flambées de prix sont constatées un peu partout en Afrique. Les institutions internationales multiplient les alertes sur les risques de crises alimentaires aigues dans de nombreux pays, aggravées par la sécheresse dans de nombreuses régions. C’est le cas pour certaines denrées, comme le blé et la farine, nécessaires pour la production du pain.

Il faut dire que la chute de l’offre mondiale de blé en provenance de la Russie et de l’Ukraine, qui pèsent 35% des échanges mondiaux de cette céréale, l’interdiction des exportations de blé par les autorités indiennes et les sécheresses dans de nombreux pays producteurs ont entraîné des pénuries qui ont fait grimper de manière exponentielle le cours du blé pendant ces derniers mois. Rappelons que l’Inde, second producteur mondial de blé derrière la Chine, a décidé de réserver sa production à sa population de 1,4 milliard de consommateurs.

Par conséquent, partout en Afrique, les prix des produits alimentaires grimpent de manière vertigineuse et des pénuries de certains produits font leur apparition. Les hausses concernent particulièrement la farine de blé, les huiles, les pâtes, les aliments de bétail, etc. Ceci, en dépit des actions entreprises par les autorités afin d’atténuer les effets de l’inflation importée: subventions, réductions et même éliminations de certaines taxes sur les importations... Et sans une offre plus abondante de produits agricoles et d’engrais, la situation risque d’être catastrophique pour l’Afrique dans les mois, voire les semaines, à venir.

Les pays, les opérateurs et les institutions africaines ont décidé d’agir en misant sur plusieurs variables. Dans l’immédiat, consciente que sans une augmentation significative de l’offre de produits agricoles, les pays africains seront durement affectés par la crise alimentaire, l’Union africaine a mandaté son président, Macky Sall, pour effectuer un déplacement en Russie et en Ukraine afin d’obtenir l’ouverture de couloirs pour faciliter les exportations de produits agricoles, notamment le blé et les engrais, des deux pays vers le reste du monde, et particulièrement vers l’Afrique, qui en dépend fortement.

Pour leurs besoins en blé, 16 pays regroupant 40% de la population du continent dépendent à hauteur de 56% de la Russie et de l'Ukraine. Ceux-ci incluent l’Erythrée (100%), la Somalie (90%), les Seychelles (90%), la République démocratique du Congo (85%), l’Egypte (80%), Madagascar (75%), le Bénin (70%), le Congo (65%) ou encore le Rwanda (56%). En tenant compte des autres pays moins dépendants, ce sont en tout près de 700 millions de personnes qui vont être directement impactées par la pénurie de blé.

Mais la sollicitation de Moscou et Kiev pour faciliter les exportations de blé vers l'Afrique ne peut qu’avoir un impact limité sur la sécurité alimentaire du continent, sachant qu’il sera difficile pour l’Ukraine d’exporter ses céréales à cause du conflit qui a détruit certaines de ses infrastructures. La seule alternative viable et durable reste donc la souveraineté alimentaire qui passe par une agriculture privilégiant les cultures vivrières (blé, riz, soja, maïs…).

Dans ce cadre, plusieurs pays semblent désormais décidés à accorder plus d’importance à leur secteur agricole afin d’assurer leur sécurité alimentaire, conscients des risques que peuvent entraîner des crises alimentaires. Les «émeutes de la faim» de la fin des années 2000 sont encore fraîches dans les mémoires des dirigeants du continent qui ont, d’ailleurs, pris des mesures afin d’atténuer l’inflation et les pénuries alimentaires. Un peu partout en Afrique, on repense les politiques agricoles pour aller vers une plus grande autosuffisance alimentaire.

C’est dans cette optique que s’inscrit l’initiative de la Banque africaine de développement (BAD) qui semble à même de changer la donne. L’institution financière panafricaine a décidé de s’engager à fond pour réduire la dépendance du continent vis-à-vis de nombreux produits tels que le blé, le maïs, le riz et le soja. Elle a ainsi annoncé, à la veille de ses Assemblées générales qui se tiennent du 23 au 27 mai 2022 à Accra, au Ghana, d’investir plus de 1,5 milliard de dollars en 2 ans pour financer 20 millions de petits exploitants en leur apportant des semences certifiées et des engrais nécessaires pour accroître la production agricole du continent.

«La BAD fournira des engrais aux petits exploitants agricoles de toute l’Afrique au cours des quatre prochaines campagnes agricoles, en usant de son influence auprès des grands fabricants d’engrais, de garanties de prêts et d’autres instruments financiers, explique l’institution dans un communiqué. Ces soutiens vont bénéficier à plus de 20 millions de petits exploitants agricoles du continent dans le but d’accélérer la production de 38 millions de tonnes de denrées alimentaires, soit une augmentation de 12 milliards de dollars de la production alimentaire en seulement deux ans.» Parmi les denrées agricoles ciblées figurent le blé, le riz, le soja et le maïs. Le soutien de la BAD devrait ainsi permettre la production de 11 millions de tonnes de blé, 18 millions de tonnes de maïs, 6 millions de tonnes de riz et 2,5 millions de tonnes de soja.

Ce soutien de la BAD intervient dans un contexte marqué par la crise Russie-Ukraine qui prive l’Afrique de plus de 30 millions de tonnes de denrées alimentaires et qui a aussi entraîné une flambée des cours des engrais, qui ont augmenté de 300% depuis le début de l’année. A travers cette initiative, la BAD souhaite rapidement combler le déficit agricole que pourrait entraîner le conflit si jamais il perdure. «Si ce déficit n’est pas comblé, la production alimentaire en Afrique chutera d’au moins 20% et le continent pourrait perdre plus de 11 milliards de dollars en valeur de production alimentaire», souligne la BAD. Notons qu'il s’agit de la première réponse concrète de la BAD, dont l'un des 5 axes prioritaires fixés par son président, le Nigérian Akinwumi Adesina, est dédié à «Nourrir l’Afrique».

De plus, pour la BAD, la mise en place d’un fonds de 1,5 milliard de dollars pour booster la production agricole durant les deux prochaines années n’est qu’une première étape de son objectif visant à assurer une meilleure sécurité alimentaire du continent. «Une phase de montée en puissance de cinq ans suivra la mise en place de la Facilité africaine de production alimentaire d’urgence, qui durera deux ans. Elle s’appuiera sur les acquis précédents et renforcera l’autosuffisance en blé, maïs, et autres cultures de base, tout en élargissant l’accès aux engrais agricoles», souligne la BAD, ajoutant que «la phase quinquennale permettra de fournir des semences et des intrants à 40 millions d’agriculteurs».

Pour le président de la BAD, «l’aide ne peut pas nourrir l’Afrique. L’Afrique n’a pas besoin de demander l’aumône. L’Afrique a besoin de semences agricoles et de moissonneuses mécaniques pour récolter les denrées alimentaires produites en abondance localement. L’Afrique se nourrira par elle-même avec fierté, car il n’y a aucune dignité à mendier de la nourriture.»

En effet, l’Afrique dispose de tous les atouts pour devenir le grenier du monde. Ces vastes terres agricoles non exploitées estimées à plus de 60 millions d’hectares et ses réseaux hydriques denses avec 17 grands fleuves et 160 lacs confèrent au continent africain un fort potentiel agricole. Malheureusement, la faible exploitation de ce potentiel fait que plus de 80% des produits alimentaires de base consommés en Afrique sont importés pour une facture de plus de 60 milliards de dollars, selon les données de la Cnuced en 2020.

Par Moussa Diop
Le 23/05/2022 à 14h54, mis à jour le 23/05/2022 à 15h00