Chanvre industriel: les préjugés, principales entraves au développement de la filière en Afrique

Un plant de chanvre industriel.. AFP

Le 23/05/2024 à 10h06

Avec un cadre réglementaire adapté et des efforts concertés pour améliorer le commerce des produits à base de chanvre industriel, l’Afrique pourrait tirer des profits non négligeables de cette industrie en plein essor, contribuant au développement durable et à la diversification économique du continent. Beaucoup de pays interdisent la culture de cette plante, la confondant avec le cannabis en raison de leur parenté botanique.

Le chanvre industriel, fait partie des cultures les plus polyvalentes et durables sur terre. Cette plante peut être utilisée pour produire une variété de produits allant des biocarburants aux textiles, en passant par les matériaux de construction écologiques. De plus, sa culture respectueuse de l’environnement, contribue à une agriculture durable en améliorant la santé des sols et en absorbant le dioxyde de carbone responsable du réchauffement climatique.

Une récente étude de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) souligne son immense potentiel économique, encore largement sous-exploité, notamment pour dans les pays en développement comme ceux d’Afrique.

Selon les chiffres, entre 2019 et 2022, environ un tiers des 60 pays exportateurs de produits à base de chanvre industriel étaient des économies en développement, principalement d’Asie et d’Amérique du Sud. L’Afrique reste en retrait, mais dispose de nombreux atouts pour se positionner sur ce marché en plein essor.

Aujourd’hui, la valeur réelle des exportations mondiales de chanvre industriel est largement sous-estimée. Les statistiques de l’ONU n’enregistrent que 46 millions de dollars d’exportations en 2022, en ne couvrant que les fibres et fils bruts. Or, en compilant les données nationales plus complètes, ce chiffre grimpe à 213 millions de dollars, les graines oléagineuses de chanvre représentant à elles seules 112 millions de dollars.

Le manque de visibilité statistique freine la formulation de stratégies ciblées pour exploiter ce créneau prometteur. En effet, les classifications internationales actuelles ne couvrent que les fibres et fils bruts ou semi-transformés, excluant une grande partie des produits échangeables comme les graines oléagineuses, les huiles et les textiles tissés.

«Cette disparité fausse non seulement notre compréhension de la dynamique du commerce mondial, mais entrave également la capacité des décideurs politiques à formuler des stratégies ciblées pour exploiter le potentiel économique du chanvre industriel», déplore Marco Fugazza, économiste de l’ONU et auteur principal de l’étude.

Pour remédier à cette situation, la CNUCED recommande d’élargir la couverture des produits dans les classifications internationales afin de refléter la réalité du marché mondial du chanvre industriel. Cela permettrait aux pays en développement, y compris ceux d’Afrique, de stimuler leur accès à ce marché prometteur et de développer des chaînes de valeur durables autour de cette culture.

Une meilleure harmonisation des classifications douanières s’impose donc pour mieux capter l’ensemble de la chaîne de valeur, des graines aux textiles en passant par les huiles et matériaux de construction, souligne l’analyse de la CNUCED.

Au-delà des enjeux statistiques, les pays africains devraient également adapter leur cadre réglementaire pour tirer pleinement parti des opportunités offertes par le chanvre industriel. En effet, cette plante appartient à la même famille botanique que le cannabis, ce qui soulève des questions juridiques complexes malgré l’absence de propriétés psychotropes dans les variétés industrielles.

Pour libérer le potentiel africain, des évolutions réglementaires semblent indispensables. Beaucoup de pays interdisent encore la culture du chanvre industriel, le confondant avec le cannabis récréatif en raison de leur parenté botanique. Une clarification des cadres juridiques, distinguant variétés avec et sans THC, est cruciale.

«Les préjugés historiques doivent être levés. Le chanvre industriel n’a aucune propriété psychotrope et constitue une formidable opportunité de développement durable pour l’Afrique», plaide les experts à la CNUCED.

Les pionniers africains

Le chanvre industriel présente de multiples avantages pour l’Afrique. Plante naturellement résistante, il peut être cultivé dans des zones arides avec peu d’intrants, répondant aux défis agricoles du continent. Par ailleurs, ses nombreux débouchés (alimentation, textile, bâtiment, etc.) offrent des perspectives de diversification économique.

Certains pays africains commencent d’ailleurs à se positionner. L’Afrique du Sud figurent parmi les principaux exportateurs de graines de chanvre, tandis que le Lesotho et le Zimbabwe ont autorisé cette culture. Néanmoins, l’essentiel des volumes restent le fait des grands pays producteurs comme le Canada, la Chine ou l’Inde. Les exportations sont actuellement dominées par le Canada, la France et la Chine.

D’autres nations étudient actuellement des réformes similaires, conscientes des bénéfices économiques et environnementaux potentiels.

De la production à la transformation

Au-delà des réformes légales, il faudra aussi des incitations économiques fortes. Le défi consiste à structurer des filières complètes, de la production à la transformation, avec des infrastructures et des transferts de technologies appropriés. Seule une vision d’ensemble pourra attirer les investissements publics et privés nécessaires.

Le chanvre industriel représente un immense gisement de croissance verte pour l’Afrique. Mais il faut des stratégies ambitieuses, à la hauteur des enjeux agricoles, industriels et environnementaux. Tandis que l’Occident redécouvre cette culture millénaire, l’Afrique peut se positionner en pionnière d’un développement plus sobre et durable. A condition d’agir vite, avant que d’autres n’occupent ce créneau d’avenir.

Par Modeste Kouamé
Le 23/05/2024 à 10h06