Le solaire se lève en Afrique. C’est plus qu’un jeu de mots. C’est une réalité. Longtemps dépendants des énergies fossiles comme le pétrole et le charbon, les pays africains ont décidé d’emprunter la voie de la transition énergétique. Un virage stratégique matérialisé par le lancement de nombreux projets solaires, éoliens, hydrauliques et géothermiques.
L’Ethiopie est un cas d’école. Aujourd’hui, plus de 95% de sa production d’électricité proviennent de ses installations hydrauliques. Elle figure d’ailleurs parmi les pays dont le renouvelable représente plus de 90% de du mix-énergétique. Un résultat, fruit d’une ambitieuse politique verte initiée par Addis-Abeba depuis plus d’une décennie.
Et ce n’est pas fini. Parallèlement, cet Etat d’Afrique de l’Est est en train de finaliser la construction du barrage hydroélectrique de Grand Renaissance (GERD) sur le Nil. Ce gigantesque ouvrage d’un investissement de 4,8 milliards de dollars, dont les travaux ont démarré en 2011, est achevé à 90%. Une fois opérationnel, cette infrastructure aura une capacité de production de 6448 mégawatts (MW). Ce qui devrait permettre à l’Ethiopie d’être l’un des principaux exportateurs d’électricité de la sous-région.
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Le solaire occupe également une place de choix dans l’agenda éthiopien. En janvier 2023, le pays a signé avec le groupe émirati Masdar, spécialisée dans les énergies renouvelables, un accord pour le développement conjoint d’un projet solaire d’une capacité de 500 MW. Objecti: diversifier ses sources d’énergies et augmenter de plus de 10% sa capacité de production d’énergie solaire installée, actuellement estimée à 5.589 MW. Addis a aussi lancé la construction de deux centrales géothermiques de 1.000 MW à Tulu Moye et Corbetti qui devraient être opérationnelles en 2025.
Le Kenya, leader de la géothermie
Restons dans la corne de l’Afrique pour nous intéresser à une success-story: le Kenya. Comme dans le cas de sa voisine, le parc énergétique de Nairobi est constitué à 90% de renouvelables (éolien, solaire et géothermique). Une performance obtenue notamment grâce aux contributions de la centrale éolienne de Turkana (300 MW), l’un des plus grands parcs éoliens en Afrique, et des centrales solaires, dont celle de Garissa (55 MW) qui alimente plus de 600.000 foyers.
La première, installée dans le plus vaste lac en milieu désertique au monde, a permis au pays de presque quintupler sa production éolienne annuelle qui est passée de 375,6 gigawatts heure (GWh) à 1562,7 GWh. Tandis que celle des complexes solaires a atteint 92,3 GWh par an, contre 13,7 GWh auparavant.
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La géothermie, cette énergie issue de la terre et convertie en chaleur, c’est l’une des spécialités du Kenya. Le pays des Safaris en est le premier producteur en Afrique et le neuvième au monde. L’une des locomotives de sa production: la centrale géothermique de Menengai, située à 180 km au nord-ouest de Nairobi. D’une capacité de 105 MW, elle alimente 300.000 entreprises et 500.000 foyers, dont 70.000 en milieu rural.
Mieux, l’entreprise publique Kenya Electricity Generating Company PLC (KenGen) gère plus de 1.818 MW de capacité électrique sur plus de 3.000 MW dont dispose le pays. La majorité provenant de l’hydroélectricité de la géothermie et de l’éolien. La société développe plusieurs projets en Ethiopie, à Djibouti, au Rwanda et en RDC.
La Namibie, un petit Etat qui voit grand...
Quittons l’Afrique de l’Est pour débarquer en Afrique australe. Dans cette partie septentrionale du continent, la Namibie, petit Etat de plus de 2 millions d’habitants, voit grand. Windhoek (sa capitale) qui importe plus de 60% de l’électricité qu’elle consomme, notamment d’Afrique du Sud, souhaite changer de paradigme. Le pays construit actuellement des centrales solaires de 5 GW, en partenariat avec l’initiative américaine Power Africa.
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Début novembre 2022, l’Etat namibien a annoncé le lancement des travaux de la première centrale solaire-hydrogène d’Afrique à partir du premier trimestre de 2023. Cette infrastructure de 90 MW, qui sera construite par le producteur d’énergie indépendant français HDF Energy, nécessitera un investissement d’environ 170 millions de dollars.
Des projets qui s’ajouteront à ceux déjà existants, comme sa première centrale solaire photovoltaïque inaugurée en juin 2019, et les cinq centrales solaires d’une capacité de 25 MW en cours de développement par la municipalité de Windhoek. L’ambition de la Namibie: porter à 70% la part énergies renouvelables dans son mix-énergétique d’ici 2030. Un objectif atteignable dans un pays où le soleil brille en moyenne 10 heures par jour.
Le Maroc parmi les leaders en Afrique
Bien évidemment, l’on ne saurait évoquer les énergies propres en Afrique sans évoquer l’expérience du Maroc, un des leaders sur le continent, qui a atteint 3.727 MW de capacité de production en 2023, selon le rapport 2023 «Renewable Energy Capacity Statistics» de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA). L’éolien (1471 MW), l’hydroélectrique (1770 MW), et le solaire (858 MW) y ont fortement contribué. L’objectif du Royaume: porter la part de ces énergies à 52% dans son mix-énergétique d’ici 2030.
L’Afrique du Sud (10.445 MW), l’Egypte avec ses 6.322 MW et l’Angola (4078 MW), sont des cas inspirants. Luanda et le Caire qui ambitionnent de produire respectivement 80% et 50% de leur électricité à partir de cette énergie verte d’ici 2025 et 2040. Le Nigéria, le Rwanda, les Seychelles, le Sénégal, le Burkina, Maurice, ou encore le Cap-Vert, se mettent aussi au vert. Une liste qui est loin d’être exhaustive.
Top 5 des pays des producteurs d’énergies renouvelables en Afrique, selon l’IRENA.
Pays | Capacité de production |
---|---|
Afrique du Sud | 10.445 MW |
Egypte | 6322 MW |
Ethiopie | 5589 MW |
Angola | 4078 MW |
Maroc | 3727 MW |
Aujourd’hui, les énergies renouvelables pourraient constituer un catalyseur de croissance pour l’Afrique qui . pourrait connaitre une augmentation moyenne de 6,4% de son PIB entre 2021 et 2050 grâce à la transition énergétique, d’après l’édition 2023 du rapport «Africa Renewable Energy Manufacturing» de l’organisation Sustainable Energy for All (SEforAll). Les pays africains pourraient également créer jusqu’à 14 millions d’emplois dans ce secteur d’ici 2030.
Selon cet organisme, le continent devrait fortement augmenter sa production d’énergies vertes durant cette intervalle, ce qui lui permettra d’améliorer sa balance commerciale en réduisant les dépenses liées aux importations de combustibles fossiles. «Le coût de l’électricité pour les entreprises manufacturières est quatre fois plus élevé en Afrique que les tarifs industriels appliqués ailleurs dans le monde, tandis qu’un approvisionnement énergétique de mauvaise qualité entraîne l’inactivité des travailleurs, des pertes de production et la destruction des équipements», indiquait la Banque africaine de développement (BAD) dans son rapport sur les économies africaines les plus industrialisées en 2022.
Faibles investissements en Afrique
Pour réussir ce pari, les pays africains doivent impérativement attirer les investisseurs pour augmenter leur capacité de production. Même si sa capacité installée en énergies renouvelables a augmenté de 2,7 GW ces dernières années pour atteindre 59 MW, l’Afrique ne représente que 2% de la production mondiale qui s’élevait à 3372 MW à fin 2022 (contre 295 MW en 2021), selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). D’après SeForAll, sur les 2800 milliards de dollars investis dans les énergies renouvelables entre 2000 et 2020, l’Afrique n’a capté que 2%.
Répartition des investissements sur les énergies renouvelables en Afrique (2000-2020)
Régions | Montants investissements (en dollars) |
---|---|
Afrique Australe | 22,7 milliards |
Afrique du Nord | 19,4 milliards |
Afrique de l’Est | 11,7 milliards |
Afrique de l’Ouest | 4,4 milliards |
Afrique centrale | 1,4 milliards |
Concrètement, 60 milliards de dollars ont été investis sur le continent entre 2000 et 2020. L’Afrique australe s’est accaparée de la plus grosse part avec 22,7 milliards de dollars, (environ 38% du montant total), suivie de l’Afrique du Nord (19,4 milliards de dollars) l’Afrique de l’Est (11,7 milliards de dollars), l’Afrique de l’Ouest (4,4 milliards de dollars) et l’Afrique centrale avec 1,4 milliards de dollars.
Renforcer l’industrie locale
L’autre chantier prioritaire, c’est l’investissement dans la fabrication locale des matériels dédiés aux énergies vertes. Et pour ce faire, il va falloir lever un certain nombre d’obstacles, notamment la faiblesse des chaînes d’approvisionnement locales, les droits de douanes et taxes élevés sur les équipements et les composants qui désavantagent les pays africains par rapport à la concurrence sur le marché mondial.
Sustainable Energy for All pointe aussi le manque d’expertise locale en matière de fabrication à forte valeur ajoutée et le faible nombre de programmes éducatifs liés aux énergies renouvelables. Une situation qui, selon elle, contribuent à la perception selon laquelle l’Afrique ne dispose pas de main d’œuvre nécessaire aux opérations de production.
L’organisation a essayé de faire un benchmark sur la capacité de 14 pays africains à fabriquer des produits d’énergies renouvelables. Une évaluation réalisée sur la base de sept critères : la demande d’énergies renouvelables, la maturité de la fabrication, la stabilité politique, les politiques et réglementations favorables, les relations commerciales avec la Chine, les infrastructures, et la capacité d’exportation.
D’après les résultats, c’est le Maroc qui caracole en tête avec un score de 7/7, grâce à ses infrastructures adaptées à la fabrication et à l’exportation de ces énergies. Le Royaume devance l’Afrique du Sud (6,5/7), l’Egypte (6/7) le Ghana (5,5/7), l’Algérie, la Tunisie et le Nigéria.
Lagos a d’ailleurs récemment lancé la construction d’une usine d’une capacité de production de 50 MW de cellules solaires à Gora, dans l’Etat de Nasarawa. Un grand projet d’un investissement d’environ 171 millions de dollars développé par l’Agence nationale nigériane pour les infrastructures scientifiques et techniques (NASENI),en partenariat avec China Great Wall Industry corporation (CGWIC).
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Une fois opérationnelle, cette usine sera la plus grande unité de production de cellules solaires photovoltaïques d’Afrique. Elle permettra ainsi au Nigéria de faire face à la demande locale de panneaux solaires et de contribuer à l’ambitieux objectif du pays : installer 10 GW d’énergie solaire à l’horizon 2030. Cette infrastructure permettra également à la deuxième puissance économique africaine de réduire sa forte dépendance aux énergies fossiles, principalement le pétrole, et d’accroitre sa capacité électrique dans un pays où seuls 45% de la population a accès à l’électricité.
Aux autres pays africains de s’en inspirer pour développer une véritable industrie locale et renforcer leurs capacités de production pour approvisionner de gros marchés comme celui de l’Union européenne, dont plusieurs pays ont montré de l’intérêt à l’hydrogène vert, pour faire face à la crise énergétique découlant de la guerre russo-ukrainienne. Dans un rapport publié en décembre 2022, la Banque européenne d’investissement (BEI) indiquait que l’Afrique a la capacité de produire 50 millions de tonnes d’hydrogène vert chaque année d’ici 2035 à un coût compétitif par rapport au pétrole. Des opportunités à saisir.