La bataille pour le contrôle du ciel en Afrique de l’ouest est lancée. Tous les pays de la région souhaitent y participer, tant les enjeux sont énormes pour un marché de 15 pays. La région est un marché à fort potentiel pour le transport aérien, avec ses vastes étendues, ses nombreux pays et sa population d’environ 480 millions d’âmes, soit autour de 37% de la population africaine.
Toutefois, à cause de nombreuses pesanteurs, le transport aérien y est encore faiblement développé: faiblesse des infrastructures aéroportuaires, des compagnies aériennes mal gérées, faible pouvoir d’achat des populations, faibles connectivités aériennes entre les Etats et à l’intérieur des Etats, des réglementations contraignantes, non-libéralisation du ciel africain…
Mais la situation évolue avec des investissements ciblés, le développement des compagnies aériennes et le Marché unique du transport aérien africain (Mutaa) devrait stimuler le développement du transport aérien en Afrique de l’ouest.
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Une chose est sûre: la décision prise par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) de réduire les taxes et redevances du transport aérien, dans la perspective d’abaisser le coût des billets d’avion, va stimuler le transport aérien au niveau de la région. Selon un communiqué de la Cedeao, «à partir du 1er janvier 2026, tous les États membres de la Cedeao aboliront les taxes sur le transport aérien et réduiront de 25% les redevances passagers et de sécurité, conformément à un Acte additionnel sur les redevances, taxes et frais aéronautiques». Cette décision répond aux préoccupations de longue date concernant le coût élevé des voyages en Afrique de l’Ouest, qui freine aussi bien la libre circulation des biens et des personnes que le développement du tourisme.
Cette mesure, en réduisant sensiblement le tarif des billets d’avions, va accroître la demande de transport de passagers et accentuer la concurrence entre les compagnies au niveau de la région. Combinée à l’entrée en vigueur future du Marché unique de transport aérien en Afrique (Mutaa), l’Open sky africain, elle encourage également les compagnies aériennes africaines à affuter leurs armes afin de faire face à l’intensification de la concurrence, notamment de la part des grandes compagnies africaines extrarégionales (Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc, EgyptAir, RwandAir, South Africain Airlines, Kenyans Airways…).
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C’est dans ce contexte que toutes les compagnies aériennes ouest-africaines se préparent pour tirer profit de la nouvelle donne à venir. Cela passe, entre autres, par l’acquisition de flottes pour avoir une taille critique au niveau de la région, avoir des appareils modernes peu gourmands en carburant et en maintenance…
A ce titre, quatre compagnies affichent clairement leurs ambitions de devenir les transporteurs de référence de la région. Si deux d’entre elles sont publiques et bénéficient fortement des soutiens de leurs États, les deux autres sont privées et semblent être actuellement mieux loties. Ces compagnies sont Air Côte d’Ivoire, Air Sénégal, Air Peace et Asky Airlines.
Air Peace: la plus grande compagnie d’Afrique de l’ouest par la taille de sa flotte
Si le Nigeria, première puissance démographique du continent avec plus de 230 millions d’habitants, ne dispose pas d’une compagnie aérienne publique, le pays n’en compte pas moins d’une quinzaine de compagnies privées.
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La plus importante de celles-ci est certainement Air Peace. Fondée en 2014, avec Lagos comme siège social, la compagnie n’a cessé de moderniser et de renforcer sa flotte qui compte actuellement 32 appareils, dont des Boeing 777 gros-porteurs, des monocouloirs Boeing 737-500, des Airbus A320, des Dornier 328-300 et des Embraer ERJ 145 et 195-E2 modernes. Ces acquisitions témoignent des investissements stratégiques dans la modernisation de sa flotte et l’expansion de ses capacités. L’objectif de la compagnie est d’atteindre plus de 50 avions, en combinant achats et leasing.
Grâce à cette flotte, la plus importante en Afrique de l’Ouest, Air Peace fournit des services de passagers et d’affrètement, et dessert un large réseau composé des principales villes du Nigeria et plusieurs destinations en Afrique de l’Ouest, en Afrique Centrale et au Moyen-Orient.
Grâce à ses appareils modernes, la compagnie affiche un taux de ponctualité moyen de 85% sur l’ensemble de son réseau domestique, témoignant de sa fiabilité opérationnelle et de son engagement pour la qualité de ses services.
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Face aux enjeux du secteur du transport aérien en Afrique avec la libéralisation du ciel africain, Air Peace prévoit de renforcer sa flotte avec de nouvelles acquisitions pour lancer davantage de destinations internationales. En plus des destinations locales (Lagos, Abuja, Port Harcourt, Kano, Calabar…), Air Peace couvre plusieurs capitales africaines: Accra (Ghana), Dakar (Sénégal), Freetown (Sierra Leone), Banjul (Gambie), Monrovia (Liberia), Cotonou (Bénin), Abidjan (Côte d’Ivoire), Douala (Cameroun),… La compagnie couvre aussi des destinations internationales: Dubaï et Sharjah (Émirats Arabes Unis), Djeddah (Arabie Saoudite), Istanbul (Turquie), Mumbai (Inde) et Londres (Royaume-Uni). Elle projette d’ouvrir de nouvelles destinations: Guangzhou (Chine), Houston (États-Unis)…
Ainsi, Air Peace compte maintenir sa position de leader du transport aérien en Afrique de l’Ouest en accroissant et modernisant sa flotte et en ouvrant de nouvelles destinations régionales et internationales. Parallèlement, afin de réduire sa dépendance des centres MRO (maintenance, réparation et révision) étrangers, la compagnie met en place une chaine de valeur aéronautique en partenariat avec le constructeur aéronautique brésilien Embraer.
Asky Airlines: une compagnie privée drivée par Ethiopian Airlines
Asky Airlines est une compagnie aérienne panafricaine privée dont le capital est contrôlé par des particuliers, des institutions bancaires régionales en Afrique (BIDC, BOAD, Ecobank) et l’Etat togolais en partenariat avec Ethiopian Airlines. Créée en 2007 et lancée en 2010, Asky, basée à Lomé, au Togo, est l’une des rares compagnies aériennes africaines rentables. Elle doit cette réussite, en grande partie, à son partenariat capitalistique et stratégique avec Ethiopian Airlines, la première compagnie aérienne du continent, qui détient 24,9% de son capital.
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La compagnie compte actuellement une flotte de 15 avions, soit la seconde flotte d’Afrique de l’Ouest derrière Air Peace, avec une moyenne d’âge de 8,87 ans. Sa flotte est constituée uniquement de Boeing dont 9 sont des 737 MAX 8 et 6 Boeing 737-800. A noter que sur les 15 avions que compte la compagnie, 14 sont en leasing auprès d’Ethiopian Airlines, une politique d’acquisition d’avions qui lui permet d’adapter sa flotte rapidement et d’optimiser ses ressources financières.
Grâce à cette flotte moderne, Asky s’est constituée un réseau intra-africain solide de 30 destinations dans 27 pays, soit le réseau le plus dense d’une compagnie aérienne d’Afrique de l’Ouest.
Asky Airlines, compagnie privée basée à Lomé (Togo), partenaire d'Ethiopian Airlines, dispose d'une flotte de 15 avions et d'un réseau intra-africain solide de 30 destinations dans 27 pays.
Le management est sous la direction d’Ethiopien Airlines. D’ailleurs, l’actuel PDG d’Ethiopian Airlines était le patron d’Asky avant sa nomination. Actuellement, elle est dirigée par l’Ethiopien Esayas Woldemariam Hailu. D’où la bonne gestion d’Asky qui est reconnue pour sa ponctualité et sa rigueur opérationnelle. Outre la bonne gestion managériale, ce partenariat avec Ethiopian Airlines permet de tirer profit de la puissance du pavillon éthiopien, la première compagnie aérienne du continent en termes de flotte et de destinations.
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Après avoir conquis le continent avec 27 pays africains desservis, Asky Airlines cible désormais l’international: Europe, Asie et Amérique. Pour cela, la compagnie devait étendre le certificat de transporteur aérien (CTA) au-delà du continent africain, via l’Autorité de l’aviation civile du Togo. Outre Paris, Asky étudie des liaisons vers Beyrouth (Liban), Dubaï (Emirats arabes unis)…
Pour cela, Asky compte introduire deux gros-porteurs en 2026, avec le Boeing 787-8 comme option privilégié pour inaugurer la liaison vers Paris. La compagnie compte acquérir 4 Boeing 737 MAX supplémentaire d’ici 2027 et discute d’une commande de monocouloirs avec Boeing pour retirer progressivement ses Boeing 737-800. Ainsi, Asky consolide sa flotte avec des appareils modernes et économes en carburants pour élargir davantage son réseau de destinations. En clair, dans cette course pour le contrôle du ciel ouest-africain, il faudra avant tout compter sur Asky qui dispose du plus grand réseau de dessertes du continent.
Air Côte d’Ivoire: renforcement et extension de la flotte
Parmi les compagnies aériennes publiques les plus importantes de l’Afrique de l’Ouest figure Air Côte d’Ivoire. D’ailleurs, actuellement, c’est la plus grande avec les difficultés que connait Air Sénégal dont la flotte s’est amoindrie.
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La compagnie ivoirienne opère avec une flotte de 14 avions, dont la moyenne d’âge est de 10,1 ans, dont 10 en pleine propriété et 4 en leasing, lui offrant une certaine flexibilité financière, tout en permettant à la compagnie de disposer d’une flotte majoritairement en propriété. La compagnie opère avec une flotte idéale pour les liaisons régionales, car composée d’Airbus A319 et A320 Neo, et de Bombardier. Elle dessert actuellement environ 30 destinations dont 21 villes de 18 pays d’Afrique de l’Ouest, Centrale, Australe et du Nord.
C’est aussi l’une des compagnies ayant affiché une croissance solide. Fondée en 2012, le chiffre d’affaires de la compagnie est passé de 2,5 à 190 milliards francs CFA en 12 ans et le total bilan a atteint près de 600 milliards francs CFA. En outre, la compagnie affiche un bilan sécurité très positif, avec zéro accident majeur.
L’Etat ivoirien compte faire d’Air Côte d’Ivoire l’une des grandes compagnies du continent. Pour cela, il projette de renforcer sa flotte pour densifier son réseau au niveau régional et international. Il est prévu ainsi, selon la feuille de route de la direction, de porter son parc à 18 avions et son réseau à 35 destinations, dont au moins 6 intercontinentales à l’horizon 2031. Pour y arriver, Air Côte d’Ivoire peut s’appuyer sur un soutien étatique fort, une structuration financière adossée à des bailleurs régionaux…
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C’est dans cette optique que s’inscrit la commande ferme de 4 Embraer E175 et l’option sur 8 autres exemplaires de la compagnie ivoirienne auprès du constructeur brésilien en marge du salon Dubaï Air Show 2025. Plus rapides, plus confortables et plus fiables, ces Embraer sont destinés à augmenter les fréquences, améliorer la ponctualité et renforcer la régularité des opérations.
Outre la consolidation de ses dessertes locales et régionales, l’ambition d’Air Côte d’Ivoire est aussi de se développer à l’international avec plusieurs destinations ciblées. Et cette volonté s’est traduite par l’inauguration récente d’une liaison. Abidjan-Paris. D’autres destinations internationales dont New York, Bruxelles, Washington, Beyrouth et Londres devraient s’ajouter au réseau de la compagnie d’ici 2027.
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A travers cette politique, Air Côte d’Ivoire vise à renforcer la connectivité du pays, à réduire le coût des billets et à stimuler la compétitivité du hub d’Abidjan. En 2024, l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny a enregistré 2,53 millions de passagers. Un niveau en hausse continue mais très loin des plateformes majeures du continent, comme l’aéroport international du Caire, l’aéroport international d’Addis-Abeba Bole, l’aéroport Mohammed V de Casablanca…
Air Sénégal: une flotte pour concrétiser l’ambition de hub majeur d’Afrique de l’Ouest
A l’instar des autres compagnies ouest-africaines, Air Sénégal se prépare activement pour être un compétiteur dans le ciel ouest-africain, en dépit de la profonde crise qu’elle traverse actuellement: dette colossale, restitution forcée de quatre appareils exploités sous leasing auprès de Carlyle Aviation, différends avec Bpifrance, la banque publique d’investissement française, qui a engagé une procédure judiciaire pour récupérer 2 Airbus A330-neo…
Créée en 2016, la compagnie disposait d’une flotte de 11 appareils et comptait 24 destinations. Toutefois, à cause de ses difficultés financières et managériales, sa voilure a baissé et a perdu du terrain face aux principales compagnies concurrentes de la région, notamment Asky et Air Côte d’Ivoire qui ne cessent de se développer et d’étendre leurs réseaux.
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Pour ne pas se faire trop distancer par ces concurrents, la compagnie sénégalaise a décidé de frapper un grand coup lors du Dubaï Air Show 2025 en passant une commande ferme de 9 Boeing 737 MAX 8 et 6 en option. Une commande qui signe un changement de stratégie d’Air Sénégal, qui souhaite se doter d’une flotte neuve et plus efficiente dans le cadre de son ambition de faire de Dakar un véritable hub aérien ouest-africain. Reste que le financement de ces acquisitions continue de susciter des questions, sachant qu’Air Sénégal est en zone de fortes turbulences opérationnelles et surtout financières.
Malgré ses déboires, Air Sénégal continue de développer son réseau en renforçant ses connexions entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe. C’est dans cette optique qu’elle a inauguré le 9 décembre courant sa nouvelle liaison Dakar-Bruxelles.
Au-delà de l’extension de la flotte de sa compagnie, le Sénégal ambitionne de faire de l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD), situé à Diass, un hub majeur en Afrique de l’Ouest. Pour cela, des extensions de l’infrastructure aéroportuaire sont annoncées. Elles visent à accueillir plus de passagers, développer le fret aérien et renforcer les services pour les compagnies et voyageurs. Ainsi, le terminal principal de l’aéroport sera agrandi pour mieux absorber la hausse du trafic. L’objectif est de faire passer la capacité de traitement annuelle de 3 à plus de 5 millions de passagers à fin 2026. En effet, avec 2,9 millions de voyageurs accueillis en 2024, l’aéroport est déjà au bord de la saturation.
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De même, un nouveau terminal de fret ultra-moderne devrait voir le jour avec une mise en service prévue en 2028 avec des entrepôts de stockage sécurisés, des zones de transit pour l’import-export, des équipements modernes pour le fret express et les produits périssables… Pour y arriver, le gouvernement compte mobiliser 326 millions de dollars pour ces travaux ambitieux.
Il est aussi prévu la création d’un centre de maintenance aéronautique (MRO – Maintenance, Repair & Overhaul) qui permettra de réparer et entretenir les avions d’Air Sénégal sur place et réduire la dépendance vis-à-vis des centres étrangers.
Tout autour de l’aéroport, un projet «Aéroville» prévoit la création d’une ville aéroportuaire sur 400 hectares et qui comprendra des hôtels et restaurants pour les voyageurs en transit, des centres d’affaires et de conférences, des centres commerciaux, des résidences… Ce projet devrait être livré à l’horizon 2030.
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Enfin, au-delà de la compétition entre les grandes compagnies aériennes d’Afrique de l’Ouest, les pavillons de la région doivent aussi faire face à la concurrence d’autres compagnies aériennes africaines qui desservent la région, notamment Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc, South African Airlines… Ces compagnies beaucoup plus solides profiteront de la libéralisation du ciel africain dans le cadre de la mise en place du Marché unique du transport aérien africain (Mutaa). En plus, il faut aussi compter sur les compagnies étrangères au continent (Air France, Turkish Airlines, Emirates, Qatar Airways…) et qui captent une part importante du trafic premium et de correspondance longue distance.












