À la mi-mai 2025, le FMI tire les leçons de trois cas emblématiques en matière de discipline budgétaire: le Sénégal dépasse les 70% d’endettement, la Mauritanie contient son déficit à 3,4% du PIB, et la RDC alerte sur les dépenses sécuritaires. Autant dire que la première quinzaine de mai 2025 révèle des dynamiques contrastées en matière de discipline budgétaire parmi les pays africains.
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Alors que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) réaffirme son engagement envers des règles communes, la Mauritanie et la RDC suivent des trajectoires différenciées, marquées par des réformes structurelles, des chocs externes et des tensions sécuritaires.
L’analyse de ces trois cas met en lumière les enjeux de viabilité de la dette, d’efficacité des politiques publiques et d’adaptation aux crises.
Réunion du conseil d’administration du FMI. DR.
UEMOA: le retour du pacte de convergence
Les États membres de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) ont relancé en mai 2025 un débat crucial sur la discipline budgétaire régionale. La proposition de réintroduire le pacte de convergence avec des plafonds de déficit (3% du PIB) et de dette publique (70% du PIB) traduit une volonté de restaurer la crédibilité des institutions après des années de relâchement.
Si la croissance régionale dépasse 6% en 2024 et que l’inflation est maîtrisée, les disparités entre pays persistent. Le Sénégal, notamment, cristallise les inquiétudes, sa dette publique «continue à s’accroître en 2024 au-delà du niveau projeté», selon le FMI, en raison de «révisions de données» et d’une dépendance accrue au financement régional, coûteux et limité.
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Le Niger, malgré ses nouvelles ressources en hydrocarbures (contribuant aux réserves régionales), fait face à des défis structurels. Si sa dette reste inférieure à celle du Sénégal, les dépenses sécuritaires (liées à l’instabilité sahélienne) et les investissements infrastructurels pourraient la faire grimper. Le FMI appelle à une gestion rigoureuse de ces rentes, entre priorités sécuritaires et développement, pour éviter un endettement excessif. Des écarts qui sapent la cohésion de l’Union, alors que «les ratios d’endettement ont augmenté de manière sensible et hétérogène».
C’est dans ce contexte que le conseil d’administration du FMI salue la réintroduction du pacte de convergence mais insiste sur la nécessité d’une «clause de sauvegarde bien conçue» et d’un «mécanisme de correction». Pour les administrateurs, «la consolidation budgétaire devrait être axée sur la mobilisation des recettes afin de protéger les dépenses prioritaires». Une approche qui vise à éviter un ajustement brutal par la compression des dépenses sociales, tout en renforçant la stabilité des réserves de change, dopées par les hydrocarbures nigériens et sénégalais.
Le FMI souligne l’importance de «surveiller de près les indicateurs de solidité bancaire», alors que les banques restent fortement exposées aux dettes souveraines. Disons que l’interdépendance financière au sein de l’UEMOA exige des réformes macro-prudentielles pour limiter les risques systémiques. Par ailleurs, la création potentielle d’un «fonds de stabilisation régional» pourrait renforcer la solidarité, mais les administrateurs mettent en garde contre les «passifs conditionnels par effets de levier».
Mauritanie : ancrage budgétaire et diversification en demi-teinte
La Mauritanie incarne un cas de discipline budgétaire soutenue par des réformes structurelles, malgré des vulnérabilités persistantes. L’accord conclu avec le FMI le 9 mai 2025 valide une performance «dans l’ensemble sur la bonne voie», avec un déficit primaire non extractif contenu à 3,4 % du PIB en 2025.
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La croissance de 5,2 % en 2024, tirée par le secteur extractif, masque un ralentissement prévu à 4 % en 2025. Les autorités misent sur un «ancrage budgétaire» et une «flexibilité du taux de change» pour absorber les chocs externes. Entendez par «ancrage budgétaire» un cadre fiscal rigoureux fondé sur des règles chiffrées pour garantir la discipline. En Mauritanie, cela implique un déficit primaire non extractif limité à 3,4 % du PIB en 2025, via la hausse des recettes fiscales (amélioration de la collecte, élargissement de l’assiette fiscale) et le contrôle rigoureux des dépenses publiques (maîtrise des dépenses courantes, rationalisation des investissements publics). Objectif: limiter l’endettement, atténuer l’impact des fluctuations des revenus extractifs (minerais, hydrocarbures), et préserver les dépenses prioritaires.
L’ancrage repose sur des projections à moyen terme et des mécanismes correctifs automatiques, renforçant la crédibilité face aux chocs externes. Le FMI souligne son rôle pour une croissance résiliente. «L’engagement des autorités pour une politique budgétaire basée sur l’ancrage budgétaire [...] contribue à préserver la stabilité macroéconomique», fait valoir Felix Fischer, chef de mission du FMI à Nouakchott et Nouadhibou du 28 avril au 9 mai 2025.
Cependant, la dépendance aux ressources minières et hydrocarbures limite la résilience à long terme. Le FMI encourage donc une «diversification de l’économie», via le nouveau code des investissements et la Zone Franche de Nouadhibou.
Sur le volet des réformes structurelles et le climat, la Mauritanie progresse sur son agenda climatique avec l’introduction d’une «contribution climat» et des réformes énergétiques. Toutefois, la mission du FMI appelle à «renforcer les mesures compensatoires ciblées» pour atténuer l’impact social de la tarification des carburants. Parallèlement, la lutte contre la corruption, via la création d’une autorité dédiée et des lois sur la déclaration de patrimoine, reste un pilier pour améliorer le climat des affaires.
RDC: discipline budgétaire sous tension sécuritaire et humanitaire
La RDC illustre le défi de maintenir une discipline budgétaire dans un contexte de conflit armé. L’escalade des violences dans l’Est a entraîné des « dépassements sur les dépenses publiques » en 2024, avec un déficit budgétaire excédant les plafonds du programme de Facilité élargie de Crédit (FEC).
Malgré une croissance de 6,5 % en 2024 (portée par le secteur extractif), le conflit a provoqué un «manque à gagner sur les recettes budgétaires» en 2025, en raison de la fermeture de bureaux de perception et d’exonérations fiscales sur les produits de base. Les dépenses de sécurité ont doublé depuis mars 2025, grevant un budget déjà sous pression.
Le gouvernement a recalibré le programme FEC pour intégrer un «projet de loi de finances rectificative», combinant hausse des recettes (lutte contre la fraude douanière, rationalisation des exonérations) et réduction des dépenses non prioritaires (train de vie de l’État). Selon le FMI, la modernisation de la gestion des finances publiques, via un compte unique du Trésor et un cadre budgétaire hors secteur extractif, est cruciale pour limiter la volatilité.
Le FMI insiste également sur la transparence dans le secteur extractif et l’accélération des réformes anti-corruption. Par ailleurs, la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD) doit aider la RDC à devenir un « pays solution » dans la transition bas-carbone, malgré des retards dans la mise en œuvre des réformes climatiques. «Des mesures crédibles visant à accroître la mobilisation des recettes [...] sont essentielles pour sauvegarder les objectifs du programme», souligne Calixte Ahokpossi, chef de mission du FMI pour la RDC.
Ainsi, la première quinzaine de mai 2025 souligne que la discipline budgétaire en Afrique reste un équilibre fragile entre règles communes (UEMOA), ancrages techniques (Mauritanie) et adaptations aux crises (RDC). Si les réformes structurelles et l’appui des institutions financières internationales (IFI) offrent des leviers, la réussite dépendra de la capacité des États à concilier rigueur budgétaire, inclusion sociale et réponse aux chocs externes. Comme le résume un administrateur du FMI: «La prospérité des pays de l’UEMOA dépendra des progrès réalisés en matière de cohésion politique et d’intégration économique». Un mantra qui vaut pour l’ensemble du continent.
Sénégal, Mauritanie, RDC : trois trajectoires contrastées face aux exigences du FMI en matière de discipline budgétaire
Pays/Union | Contexte budgétaire | Défis majeurs | Mesures clés | Recommandations du FMI |
---|---|---|---|---|
UEMOA | Relance du pacte de convergence (déficit 3%, dette 70%). Croissance à 6% en 2024. | Endettement hétérogène (ex. Sénégal >70%), dépenses sécuritaires (Niger). | Réforme macroprudentielle. | Mobiliser les recettes, clause de sauvegarde, surveillance des risques systémiques. |
Mauritanie | Déficit contenu à 3,4% du PIB en 2025. Croissance tirée par les secteurs extractifs. | Dépendance aux ressources minières, vulnérabilités sociales. | Ancrage budgétaire, code des investissements, réformes énergétiques et climatiques. | Diversifier l’économie, renforcer les compensations sociales, accélérer les réformes anti-corruption. |
RDC | Dépassement des plafonds de déficit dû aux dépenses sécuritaires; Croissance à 6,5%. | Conflits armés (Est), pertes de recettes, corruption. | Réforme fiscale, gestion centralisée du Trésor, loi de finances rectificative. | Transparence dans le secteur extractif, accélérer les réformes climatiques (FRD), lutte anti-corruption. |
Source : FMI.