C’est certainement l’une des dotations touristiques les plus faibles au monde. Avec seulement moins de 106 euros (actuellement) par an, l’Algérien ne dispose que d‘un modeste pécule pour séjourner à l’étranger. Et c’est là un terreau fertile sur lequel prospère le marché parallèle de change et encourage les sorties illégales de devises. De plus, ce sentiment de frustration est exacerbé par les ressources en monnaies étrangères accordées aux voisins tunisiens, mauritaniens et surtout marocains, beaucoup mieux dotés pour voyager.
Le président Abdelmadjid Tebboune avait ordonné, en décembre 2024, lors d’une réunion du Conseil des ministres, de porter la dotation touristique accordée aux Algériens qui veulent séjourner à l’étranger, dans le cadre d’un voyage touristique, à 750 euros par an pour les voyageurs adultes (300 euros pour les mineurs), contre seulement 106 euros actuellement. Une révolution. La dotation touristique s’établit actuellement à 15.000 dinars algériens et n’a pas varié d’un iota depuis septembre 1997.
Mais les Algériens ne voient rien venir. Face aux questions des députés de l’Assemblée populaire nationale (parlement), le nouveau ministre des Finances, Abdelkrim Bouzred, a annoncé le 20 février que la nouvelle allocation touristique sera mise en place à la fin du mois de Ramadan, précisant que cette allocation, fixée à 750 euros, par personne est accordée une seule fois par an.
Selon les autorités, ce retard s’explique par la non publication des textes d’application. Or, ce sont ces textes qui doivent préciser les modalités exactes de versement de cette allocation et les documents justificatifs à fournir.
En réalité, ce ne sont pas uniquement les textes qui font défaut. En effet, cette décision ayant été prise à la hâte, les autorités se semblent pas savoir de quelle manière rendre concrète une telle décision présidentielle. Car au moment de l’annonce, il n’y avait simplement pas de bureaux de change en Algérie. L’aéroport d’Alger a été choisi pour en ouvrir le premier du pays. L’installation de ces points de vente de devises par la Banque d’Algérie est en cours.
En outre, contrairement à l’ancien système avec lequel un voyageur pouvait obtenir une allocation touristique en présentant une quittance de sortie du territoire national, suite à l’augmentation de la dotation, les règles sont devenues plus corsées. En effet, pour pouvoir en bénéficier, il faut au préalable disposer des documents justifiant un voyage confirmé à l’étranger. Le demandeur de la dotation touristique devra présenter un visa, un billet d’avion et une assurance voyage. Au Maroc, une pièce d’identité ou la carte de résidence pour les étrangers suffit.
Par ailleurs, cette allocation ne concerne, pour le moment, que ceux qui prennent l’avion ou le bateau. Quid de ceux qui passent par les frontières terrestres et qui sont pourtant très nombreux? En effet, ce sont 3,5 millions d’Algériens qui ont séjourné en Tunisie en 2024, faisant de l’Algérie, de très loin, le premier pays émetteur de touristes vers son voisin de l’Est. Ces touristes se rendent par voie terrestre chez leurs voisins.
Malheureusement, les voyageurs qui prennent la route ne sont pas concernés par cette allocation touristique de 750 euros. Les autorités expliquent cette restriction par le souci d’éviter les séjours fictifs, comme les allers-retours rapides en Tunisie, effectués dans le seul but de bénéficier de cette manne et revenir avec ces devises pour exploiter l’écart de change sur le marché parallèle.
Pourquoi autant de conditions pour un montant qui s’avère globalement ridicule pour un voyage à l’étranger? Ces mesures sont censées, selon les autorités, éviter les abus et garantir que cette l’allocation serve bien à financer un voyage à l’étranger. Tout ça pour seulement 750 euros !
Pourtant, l’Algérie, grâce à sa manne pétrolière et gazière se targue de disposer d’importantes réserves en devises. Et c’est réellement le cas, même si le niveau de ces réserves s’explique surtout par la politique de restriction des importations lesquelles, tout en réduisant la facture à l’import, prive les citoyens algériens des produits insuffisamment ou pas du tout le fruit de la production locale.
Ainsi, plusieurs enfants cancéreux sont décédés dans les hôpitaux algériens faute de médicaments interdits d’importation par les autorités pour épargner les réserves du pays. Cette politique de restriction s’applique également à l’importation de véhicules neufs depuis plus de sept ans. Une situation qui a entrainé le vieillissement du parc automobile, favorisé le développement du marché parallèle de pièces détachées et augmenté les nombre d’accidents.
Malgré cette pénurie qui touche de nombreux produits, les réserves de change ne bénéficient pas aux voyageurs algériens, sauf ceux du régime. Quant aux citoyens ordinaires, ils doivent recourir au marché parallèle du Square Port Saïd, le cœur du marché de change algérien, en l’absence de bureau de change dans le pays.
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Situé en contrebas de la Kasbah en plein cœur de la capitale, le Square Port Saïd pratique des taux de change du dinar algérien à sa valeur réelle, contrairement à ceux de la Banque Centrale d’Algérie où la valeur du dinar est artificiellement entretenue. Ainsi, s’il faut officiellement, au 21 février, 140,74 dinars pour obtenir 1 euro (134,83 dinars pour 1 dollar), il faut par contre débourser 252 dinars pour 1 euro et 242 dinars pour 1 dollar, sur le marché parallèle.
Pourquoi alors priver sa population de cette allocation touristique, surtout quand on sait que l’Algérien est le moins loti en Afrique du Nord.
Maroc: la dotation touristique est comprise entre 100 000 et 300 000 dirhams, soit l'équivalent de 10.000 à 30.000 dollars.. DR
En effet, même avec cette hausse annoncée à 750 euros, cette dotation reste inférieure à celle dont bénéficie un Tunisien qui a droit à l’équivalent de 6.000 dinars tunisiens (1.900 dollars), l’Egyptien (10.000 dollars), Libyen (10.000 dollars) et surtout vis-à-vis du Marocain dont la dotation touristique va d’un minimum de 100.000 dirhams (10.000 dollars), à un maximum de 300.000 dirhams (30.000 dollars), par personne et par année civile, en fonction de l’impôt sur le revenu payé ou prélevé à la source au cours de l’année précédente.
C’est dire qu’à l’heure actuelle, le Marocain bénéficie d’une dotation minimale de 100 fois supérieure à celle de l’Algérien. Et quant à ceux qui peuvent bénéficier de la dotation maximale de 300.000 dirhams, ils ont une dotation de 300 fois celle dont bénéficie l’Algérien actuellement. Au Maroc, les étrangers résidents bénéficient aussi de cette dotation touristique, s’ils ne disposent pas de disponibilités dans leurs comptes en devises ou en dirhams convertibles.