Droits de douane américains: timing et effets sur l’inflation aux Etats-Unis et sur leurs fournisseurs africains

Les nouveaux tarifs douaniers annoncés par Donald Trump entreront en vigueur le 1er août 2025.. AFP or licensors

Le 21/07/2025 à 15h58

Face à l’imminence de l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs douaniers annoncés par Donald Trump, les retailers américains documentent les risques. Pour les pays et fournisseurs africains, ces prévisions permettent de comprendre les effets induits. Détails.

L’annonce de droits de douane américains massifs sur les importations place la National Retail Federation (NRF), principal porte-voix du secteur américain du retail (commerce de détail), pan vital pour l’économie US, au cœur d’un dilemme stratégique. Entre crainte inflationniste, dépendance aux chaînes d’approvisionnement globales, y compris africaines, et pression politique, les retailers documentent objectivement les risques, plaident pour la stabilité et des politiques fiscales favorables et alertent sur les conséquences inflationnistes et économiques des nouveaux tarifs suite à l’entrée en vigueur des surtaxes décidées par Donald Trump.

Il faut savoir que les principaux produits africains concernés et vendus par des membres de la NRF dans la catégorie «textiles et habillement» proviennent d’Égypte, du Maroc, du Lesotho, de Madagascar et du Kenya. Les taux des nouveaux droits provisoires sont les suivants: 10% (Égypte, Maroc, Kenya), 47% (Madagascar), 50% (Lesotho).

Sur ce même marché du textile et habillement, les concurrents asiatiques des fournisseurs africains les plus souvent mentionnés pour leur forte exposition aux surtaxes sont le Vietnam, Cambodge, Laos, Birmanie. Les nouveaux taux qui leur sont provisoirement appliqués sont: 40% (Birmanie), 46% (Vietnam), 48% (Laos), 49% (Cambodge).

Dans la catégorie des produits alimentaires, les principaux pays africains d’origine sont l’Afrique du Sud, Maroc, Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, avec des nouveaux droits de douane provisoires de 10% (Maroc, Ghana), 14% (Nigeria), 21% (Côte d’Ivoire), 30% (Afrique du sud).

Autrement dit, les approvisionnements dans ces zones exposent directement les chaînes logistiques à un choc de coûts qui pourrait se répercuter dès l’automne 2025 sur les prix finaux et le comportement d’achat des consommateurs américains.

Ainsi, les récentes publications de la National Retail Federation (NRF) peignent un tableau d’une économie américaine résiliente mais de plus en plus fragilisée par l’incertitude commerciale. L’annonce des droits de douane américains sur les importations en provenance de plusieurs pays dont africains, devant entrer en vigueur le 1er août 2025, sème une incertitude profonde dans le secteur américain de la vente au détail.

Rappelons que la Fed scrute déjà l’inflation persistante (indice PCE à +2,3% en mai) et la psychologie des consommateurs américains.

La bombe à retardement

Les analyses internes de la NRF anticipent clairement la transmission des tarifs aux prix de détail. Jack Kleinhenz, son chef économiste, souligne dans sa dernière revue économique de juillet 2025 la fragilité d’un contexte économique pourtant marqué par une croissance solide de 2,8% en 2024. L’incertitude politique pèse désormais lourdement aux Etats-Unis, accentuant les risques inflationnistes.

Kleinhenz relève que l’indice PCE, indicateur clé de l’inflation réelle du consommateur utilisé par la Fed, affiche déjà une hausse inquiétante de 2,3% en mai après 2,1% en avril, s’éloignant de la cible de 2%. Le signal d’alarme majeur concerne l’impact futur des tarifs douaniers, souligne-t-il. «Si les fortes augmentations de tarifs annoncées plus tôt cette année entrent en vigueur et sont maintenues, elles s’infiltreront dans les prix à la consommation, provoquant une baisse des dépenses qui risque de déborder sur le marché du travail plus tard dans l’année avec un chômage plus élevé».

Le timing prévu? Ce scénario est anticipé pour le troisième trimestre 2025, soit immédiatement après l’activation des nouveaux droits visant notamment les pays africains, asiatiques et les autres.

Une projection corroborée par l’importance stratégique des produits concernés: textiles et denrées alimentaires africains (soumis à des droits de 10% à 50% selon les pays), ainsi que les textiles vietnamiens ou cambodgiens (taxés à 40%-49%), représentent des segments volumétriques critiques pour les géants de la distribution américaine comme Walmart, Target, Kroger et Costco.

Rappelons que pour l’heure en Afrique, Donald Trump a envoyé au moins une «lettre définitive» à trois pays africains pour officialiser la mise en place de nouveaux tarifs douaniers devant entrer en vigueur le 1er août 2025. C’est le cas pour l’Afrique du Sud, avec un surplus annoncé de 30% sur la plupart des produits exportés vers les États-Unis. Idem pour l’Algérie. La Tunisie, avec un surplus annoncé de 25% sur plusieurs catégories de produits, tels que les huiles végétales, les vêtements, les fruits et noix. Les autres attendent.

Les retailers entre baromètre économique et lobby politique

Face à la menace inflationniste, la NRF adopte une double posture stratégique révélée par ses publications de juillet. D’une part, elle incarne un baromètre économique rigoureux via son Retail Monitor, outil fondé sur 9 milliards de données transactionnelles réelles. Le communiqué du 11 juillet est sans équivoque: les ventes de détail ont reculé de 0,33% en juin en données désaisonnalisées, «première baisse mensuelle depuis février».

Matthew Shay, président et CEO de la fédération attribue explicitement ce ralentissement à «l’incertitude prolongée entourant l’économie, les tarifs et la politique commerciale», forçant les consommateurs vers une attitude attentiste. Un constat qui sert de preuve objective pour le lobbying sectoriel.

Disons que la baisse des ventes observée en juin (-0,33% mensuel), attribuée par Matthew Shay aux craintes tarifaires avant même l’entrée en vigueur des droits, démontre une réactivité extrême du marché. Une volatilité anticipée qui doit inciter les exportateurs africains à modéliser les tentatives de répercussion des surcoûts par les détaillants américains, risquant de compromettre la demande pour leurs produits textiles, agroalimentaires ou viticoles soumis à des droits pouvant atteindre 50%.

D’autre part, la NRF déploie un plaidoyer politique nuancé, reconnaissant les risques sans sombrer dans le catastrophisme. Shay souligne que «les fondamentaux économiques n’ont pas encore été perturbés», mais admet que «l’économie ralentit graduellement» et que «les politiques commerciales non résolues et restrictives restent un vent contraire significatif».

La revue économique du NRF complète ce discours en saluant le «One Big Beautiful Bill Act», qui «réduit de manière significative l’incertitude de la politique fiscale». L’objectif du lobby retail est clair : empêcher une escalade tarifaire étouffant la demande tout en sécurisant un environnement fiscal stable. Le Retail Monitor devient ainsi une arme stratégique pour démontrer l’impact concret des politiques sur le consommateur final et l’emploi, rappelant que le secteur représente 55 millions de travailleurs américains. Une dualité qui permet à la NRF de maintenir un équilibre entre alerte économique crédible et pression politique mesurée.

Fenêtre de négociation pour les pays africains

Pour les pays africains directement impactés par les nouveaux tarifs douaniers américains - notamment l’Afrique du Sud, la Tunisie et l’Algérie explicitement citées comme destinataires des lettres officielles, mais potentiellement d’autres - les publications de la NRF constituent un outil stratégique essentiel à décrypter avec une attention soutenue. Elles offrent d’abord un indicateur avancé de la pression inflationniste aux États-Unis : le Retail Monitor et les analyses économiques de la NRF fournissent des données quasi en temps réel sur la sensibilité des consommateurs américains aux variations de prix.

Enfin, ces analyses signalent une fenêtre de négociation opportune: l’anticipation d’un impact différé au troisième trimestre 2025, combinée à l’accent mis sur l’incertitude actuelle, suggère que les détaillants disposent encore de stocks temporaires.

Des éléments qui convergent avec les lettres de Trump évoquant des «négociations bilatérales» avant le 1er août, confirmant que l’impact négatif reste anticipé mais non matérialisé. Autre élément à prendre en compte: la chute de plus de moitié de l’indice d’incertitude politique entre avril et fin juin- bien que demeurant à un niveau élevé- renforce cette sensibilité aux évolutions diplomatiques, offrant aux pays africains un levier pour engager des discussions avant que les effets inflationnistes ne se cristallisent.

Droits de douane: bombe inflationniste pour les États-Unis, dilemme stratégique pour les fournisseurs africains

Éléments cléDétails
Sujet principalImpact des nouveaux droits de douane américains annoncés par Donald Trump (entrée en vigueur le 1er août 2025).
Acteur centralNational Retail Federation (NRF) : Porte-voix du retail américain, alerte sur les risques inflationnistes et économiques.
Principaux secteurs impactésTextile/habillement et produits alimentaires.
Fournisseurs africains clésTextile : Égypte, Maroc, Kenya (10%), Madagascar (47%), Lesotho (50%).

Agroalimentaire : Maroc, Ghana (10%), Nigeria (14%), Côte d’Ivoire (21%), Afrique du Sud (30%).
Concurrents asiatiquesVietnam (46%), Cambodge (49%), Laos (48%), Birmanie (40%).
Impact économique prévuInflation US : Transmission des tarifs aux prix de détail dès l’automne 2025 (Q3).
Risques : Baisse des dépenses consommateurs, hausse du chômage, ralentissement économique.
Preuve actuelle : Baisse des ventes de -0,33% en juin 2025 (attribuée à l’incertitude tarifaire).
Indicateurs alarmantsIndice PCE (inflation) à +2,3% en mai 2025 (cible Fed : 2%).
Incertitude politique élevée malgré une croissance solide (2,8% en 2024).
Fenêtre de négociationOpportunité africaine :
• Stocks temporaires disponibles jusqu’en Q3 2025.
• Lettres de Trump évoquant des « négociations bilatérales » avant le 1er août.
• Baisse de l’indice d’incertitude politique (avril à juin 2025).

Source: National Retail Federation (NRF).

Par Modeste Kouamé
Le 21/07/2025 à 15h58