En 12 ans, le nombre des États africains vulnérables a doublé, pas les financements

Les destructions causées par les affrontements tribaux, à al-Roseires, dans l'État soudanais du Nil Bleu, à 450 kilomètres  au sud de la capitale Khartoum, le 8 août 2022.

Les destructions causées par les affrontements tribaux, à al-Roseires, dans l'État soudanais du Nil Bleu, à 450 kilomètres au sud de la capitale Khartoum, le 8 août 2022.. AFP/ ASHRAF SHAZLY

Le 15/10/2024 à 10h30

Face aux conflits armés, à l’instabilité politique chronique et à la faiblesse des institutions étatiques, 24 pays africains sont considérés «en transition» par la Banque africaine de développement. Un euphémisme pour désigner des pays «vulnérables». De plus, selon la Banque, la composition de cette liste a évolué au fil des années, passant de 12 pays en 2011 à 24 en 2023.

En 2022, les pays en transition représentaient environ 10% du PIB de l’Afrique et contribuaient à 12% du commerce total africain, estimé à 1,4 billion de dollars américains, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement en 2022.

Les pays dits «en transition» ou «États fragiles» sont ainsi nommés car ils traversent une période de fragilité, d’instabilité et de vulnérabilité aux pressions internes et externes, en raison de diverses difficultés auxquelles ils font face.

Ces pays se caractérisent souvent par un héritage de conflits, la violence et l’insécurité, des institutions faibles, une mauvaise gouvernance économique et administrative, et une incapacité à fournir des biens publics de manière adéquate, efficace ou équitable. Ainsi, on peut utiliser des synonymes comme «pays vulnérables», «pays fragilisés» ou «pays en situation de fragilité» pour les désigner.

Vulnérables mais pas à la même enseigne

La BAD les catégorise afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques en termes d’aide au développement. Pour la période 2023-2025, la BAD a identifié 24 pays africains comme étant en transition, répartis en deux piliers: 19 pays relèvent du pilier I, dont le Burundi, la République centrafricaine, les Comores, la République démocratique du Congo, la Guinée-Bissau. Cinq pays relèvent du pilier III, notamment Djibouti, la Guinée, la Sierra Leone, le Togo et le Cameroun.

Le lien entre leur statut de «pays en transition» et leur catégorisation en différents piliers par la BAD réside dans le fait que les pays du Pilier I sont considérés comme les plus vulnérables et reçoivent un soutien sous forme de prêts concessionnels et de dons de la part de la banque. Ce sont généralement les pays sortant d’un conflit, avec des institutions faibles et une gouvernance économique et administrative défaillante.

Les pays du Pilier III, bien que toujours considérés en transition, sont un peu moins vulnérables que ceux du Pilier I. Ils reçoivent un soutien ciblé de la BAD, principalement sous forme de dons pour le renforcement des capacités et l’assistance technique.

Cette catégorisation permet à la BAD d’adapter son aide au niveau de vulnérabilité de chaque pays, en accordant un soutien financier plus substantiel et direct aux pays les plus fragilisés (Pilier I), et un soutien plus axé sur le renforcement des capacités pour les pays légèrement moins vulnérables (Pilier III).

Le financement du commerce dans ces pays reste un défi majeur

Selon le récent rapport de la BAD intitulé «De-risking trade finance in transition states in Africa: the need to increase the utilization rate of AfDB’s risk participation agreements», l’on retient que le nombre de ces pays a considérablement augmenté ces dernières années, passant de 12 en 2011 à 24 en 2023, soit en l’espace d’une douzaine d’années. Ce qui reflète l’augmentation des conflits, de l’instabilité politique et des crises humanitaires dans certaines parties du continent.

Deuxièmement, le financement du commerce est crucial pour ces pays qui dépendent fortement des importations de produits de première nécessité. Cependant, le rapport note que les risques perçus sont plus élevés, rendant ces pays moins attractifs pour les banques confirmatrices.

En d’autres termes, l’accès au financement reste problématique pour ces États. Ainsi, ces pays souffrent d’un manque d’accès aux instruments de garantie et d’atténuation des risques. Les banques confirmatrices internationales sont réticentes à s’exposer aux risques perçus comme plus élevés dans ces pays, en raison de l’instabilité politique, de la faiblesse des institutions et de la gouvernance économique défaillante. Une situation qui entraîne un sous-investissement chronique dans le financement du commerce, entravant ainsi les flux commerciaux essentiels.

Troisièmement, les accords de partage de risques (RPA) de la BAD visent à atténuer ces risques mais leur utilisation reste globalement faible, avec une sous-utilisation de la « prime pays en transition » permettant une garantie jusqu’à 75%. Bien que les RPA approuvés après 2019 couvrent davantage de banques émettrices dans les pays en transition, fin 2023 une seule transaction provenait réellement d’un pays en transition parmi celles soutenues par ces nouveaux RPA.

Quatrièmement, la BAD souligne qu’il est crucial d’adapter davantage l’instrument RPA aux besoins et contraintes de la demande dans ces pays. Plusieurs pistes sont proposées comme rendre obligatoire l’allocation d’au moins 10-15% des limites des RPA à ces pays, ou encore accélérer la mise en œuvre de l’instrument de garantie commerciale ciblant spécifiquement ces pays.

Des pays où les progrès restent lents et difficiles

La BAD travaille en étroite collaboration avec d’autres organisations internationales, telles que les Nations Unies, l’Union africaine et les organisations non gouvernementales, pour coordonner les efforts d’aide au développement dans ces pays en transition. Cependant, les progrès restent lents et difficiles en raison de la complexité des défis auxquels ces pays sont confrontés.

Les secteurs économiques clés qui nécessitent un soutien prioritaire dans ces pays incluent l’agriculture, les infrastructures, l’énergie, l’éducation et la santé. Les organisations de la société civile et les communautés locales jouent un rôle crucial dans les efforts de développement, en fournissant une assistance humanitaire, en plaidant pour les réformes et en contribuant à la reconstruction des communautés.

À moyen et long terme, la perspective de sortir de la catégorie « en transition » dépendra de la capacité de ces pays à résoudre les conflits, à renforcer leurs institutions et à mettre en place des politiques favorables au développement économique et social durable. Cependant, ce processus sera long et difficile, nécessitant un engagement soutenu de la part de la communauté internationale et des efforts concertés pour s’attaquer aux causes profondes de la fragilité.

Évolution de la liste des états en transition de la BAD entre 2011 et 2025 :

PériodePays du pilier I (Prêts concessionnels et dons)Pays du pilier III (Subventions sur une base programmatique)Nombre total de pays
2011-2013Burundi; Centrafrique; Comores; Côte d’Ivoire; RDC; Guinée-Bissau; Liberia; Sierra Leone; Togo; Soudan du Sud; Zimbabwe; République du Congo; Guinée-Bissau ; Liberia ; Sierra leone; Togo; Soudan du Sud; Soudan; Zimbabwe(pas de pays)12
2014-2016Burundi; Centrafrique; Comores; Côte d’ivoire; RDC; Congo; Guinée-Bissau; Liberia; Sierra leone; Togo; Soudan du Sud; Soudan; Zimbabwe; Tchad; Erythrée; Guinée; Madagascar; Mali; Somalie(pas de pays)18
2017-2019Burundi ; Centrafrique; Comores ; Rép. dém. Congo ; Guinée-Bissau; Liberia ; Sierra Leone; Togo; Soudan du Sud; Soudan; Zimbabwe; Tchad; Érythrée; Guinée; Madagascar; Mali; Somalie; Gambie; Niger; MozambiqueDjibouti21
2020-2022Burundi ;Centrafrique; Comores; RDC; Guinée-Bissau; Liberia; Sierra Leone; Togo; Soudan du Sud; Soudan; Zimbabwe; Tchad; Erythrée; Guinée ; Madagascar; Mali; Somalie; Gambie; Niger; Mozambique; Burkina Faso;Djibouti22
2023-2025Burundi; Centrafrique; Comores; RDC; Guinée-Bissau; Liberia; Soudan du Sud; Soudan; Zimbabwe; Tchad; Erythrée; Madagascar; Mali; Somalie; Gambie; Niger; Mozambique; Burkina Faso; Sao Tomé & PrincipeDjibouti; Guinée; Sierra Leone; Togo; Cameroun24

Source: Banque africaine de développement

Par Modeste Kouamé
Le 15/10/2024 à 10h30