Coup d’Etat au Niger: s’achemine-t-on vers un embrasement régional?

Les chefs d'Etat-major de la CEDAO à Abuja au Nigéria, le 2 août 2023.. AFP or licensors

Le 03/08/2023 à 13h46

Suite au coup d’Etat au Niger, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a décidé de sanctionner sévèrement le pays et n’exclut pas d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel. Cette menace d’intervention suscite moult craintes, dont un embrasement de la région. Pire, cette partie de l’Afrique, terrain d’une nouvelle «guerre froide» entre, d’une part, la France et, par extension, l’Occident, et de l’autre, la Russie, risque de s’affaiblir davantage et un fractionnement de la CEDEAO ne serait pas à écarter. Décryptage.

Quelques jours avant le coup d’Etat au Niger, les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), réunis en session extraordinaire à Abuja au Nigéria le 30 juillet 2023, avaient décidé de ne plus tolérer les coup d’Etat. Cependant, à la suite de cette rencontre, voilà que la CEDEAO est secouée par un énième putsch qui a renversé un président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum.

Le coup d’Etat consommé, les dirigeants de la région, réunis en urgence, ont décidé de frapper fort. Ils disent ne plus tolérer plus de telles prises de pouvoir et n’écartent pas le recours à la force pour rétablir dans leur poste les dirigeants élus démocratiquement.

Cette nouvelle orientation ouest-africaine est prônée par le nouveau président nigérian Ahmed Bola Tinubu, actuellement président de la CEDEAO. L’Organisation a exigé «la libération immédiate» du président Bazoum et le «retour complet à l’ordre constitutionnel». Elle a aussi décidé de «suspendre toutes les transactions commerciales et financières» entre ses Etats membres et le Niger, pays sahélien de 20 millions d’habitants, l’un des plus pauvres du monde, en dépit de ses ressources en uranium.

En plus de ces décisions, «l’option militaire est la toute dernière option mise sur la table, le dernier recours, mais nous devons nous préparer à cette éventualité», a déclaré le commissaire de la CEDEAO, chargé des Affaires politiques et de la sécurité Abdel-Fatau Musah.

Pour mémoire, après les coup d’Etat au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, la CEDEAO avait décidé, en février 2022, de créer une force régionale destinée à intervenir non seulement contre les djihadisme qui minent les pays du Sahel, mais aussi en cas de coup d’Etat. Et le putsch au Niger est l’occasion de mettre en pratique cette force régionale.

Et afin de montrer toute leur détermination, les pays de la CEDEAO ont réuni, depuis le mercredi 2 août à Abuja, les chefs d’état-major des pays de la région. Ceux-ci vont rester sur place jusqu’au vendredi prochain, soit deux jours avant l’expiration, dimanche 6 juillet, de l’ultimatum de la CEDEAO lancé aux dirigeants de la junte nigérienne.

Comment pourrait-on justifier cette option d’intervention militaire? Cette résolution s’explique, en premier lieu, par la volonté des dirigeants de la région de mettre fin à cette propagation des putschs. En effet, après une longue période d’accalmie et des avancées démocratiques relativement notables dans certains pays, ponctuées malheureusement de révisions constitutionnelles bafouant les règles démocratiques, les putschs militaires ont repris de plus belle. En effet, en l’espace de trois ans, la région a enregistré plusieurs putschs et tentatives de renversement des régimes par la force, dont six réussis (deux au Mali, deux au Burkina, un en Guinée et un autre au Niger) et de nombreuses autres tentatives qui ont échoué.

Ensuite, cette volonté d’intervention militaire semble être bénie par les puissances occidentales, notamment par la France, l’ancienne puissance coloniale. Ces prises de pouvoir par la force se font généralement au détriment de ses intérêts portés par un sentiment anti-français qui se développe au sein des anciennes colonies françaises.

Après la perte de «souveraineté» au Mali et au Burkina Faso, l’Hexagone n’entend pas perdre le Niger. Non seulement cela va élargir le cercle des pays «hostiles» au niveau de la région, mais aussi, contrairement au Mali et au Burkina Faso, le Niger est stratégique pour la France qui y puise une partie de l’uranium nécessaire au fonctionnement de ses nombreuses centrales nucléaires.

En effet, en 2021, plus de 77% de l’électricité fournie par EDF proviennent du nucléaire. EDF est une entreprise publique française de production et de fourniture d’électricité. Cette proportion devrait croître, favorisée par la crise énergétique liée à la crise Russie-Ukraine et la baisse des livraisons de gaz russe à l’Europe. Une situation qui a poussé la France à miser davantage sur le nucléaire.

Avec 56 réacteurs pour 66 millions d’habitants en 2021, la France est le premier pays au monde en nombre de réacteurs nucléaires en exploitation par habitant. Or, pour faire fonctionner ces centrales, il faut de l’uranium. Et le Niger, 7e producteur mondial (environ 5% de la production de la planète) est un producteur majeur pour la France: 10% de l’uranium des centrales nucléaires français proviennent du Niger qui recèle d’importantes potentialités encore non exploitées.

Autant dire que le Niger est stratégique pour la France, engagée dans la construction d’au moins six autres réacteurs nucléaires d’ici 2050.

Seulement, cette volonté d’intervention est loin de faire l’unanimité. A commencer même au Niger-même où partisans et opposants au putsch en craignent les conséquences. Dans ce registre, le président du Parlement, un proche du président déchu Mohamed Bazoum, a clairement affirmé son opposition à toute intervention militaire, tout en militant pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel et le rétablissement de Bazoum dans ses fonctions présidentielles.

Au-delà des impacts qui résulteraient des confrontations armées entre les partisans des putschistes et ceux soutenant l’ordre constitutionnel et qui pourraient bénéficier du soutien de la force ouest-africaine, beaucoup de pays craignent que cette intervention ne déstabilise, et à juste titre, toute la sous-région.

D’ailleurs, le Mali et le Burkina Faso n’ont pas tardé à réagir en menaçant d’intervenir auprès des putschistes nigériens au cas où la CEDEAO mettrait à exécution ses menaces. Selon un communiqué commun aux deux pays, toute intervention militaire contre les putshistes nigériens sera considérée «comme une déclaration de guerre» et entrainerait leur retrait de l’Organisation sous-régionale et donc le fractionnement de la CEDEAO. Il faut souligner que le Mali, le Burkina Faso et la Guinée en sont membre mais sont suspendus suite aux putschs.

Cela revient à dire que la tentative de rétablissement, par la force, de l’ex-président Bazoum risque de faire couler du sang et surtout d’aggraver l’insécurité au niveau de la région et faire le lit des groupes djihadistes qui seront les grands bénéficiaires d’une telle situation, notamment au Mali et au Burkina Faso.

En conclusion, si l’intervention semble nécessaire pour rétablir l’ordre constitutionnel, en revanche sa mise en application semble difficile. Au-delà des capacités militaires globalement faibles des Etats de la région, y compris le Nigeria qui peine, depuis des décennies, à éliminer les terroristes de Boko Haram, les conséquences catastrophiques qui pourraient résulter de cette intervention militent pour la plus grande prudence. De même que ne pas agir reviendrait à cautionner un coup d’Etat contre un président démocratiquement élu d’un pays où aucun trouble politique n’est enregistré.

Et cette situation complexe inquiète au-delà de la CEDEAO, poussant les autres voisins du Niger à agir. Si le président tchadien est le premier à atterrir à Niamey après le putsch pour jouer le rôle de médiateur, d’autres voisins craignent les conséquences d’une intervention militaire au Niger. C’est le cas de l’Algérie qui, certainement craignant une vague de migrants fuyant les affrontements, a mis en garde la CEDEAO, sans jamais citer l’organisation ouest-africaine. Le ministre des Affaires étrangères «met en garde et appelle à la prudence et à la retenue face aux intentions d’interventions militaires étrangères (…), qui ne sont que des facteurs de complications et d’aggravation de la crise actuelle», ajoutant que «le retour à l’ordre constitutionnel doit impérativement s’accomplir par des moyens pacifiques» et ce afin d’éviter au Niger et à l’'ensemble de la région «un surcroit d’insécurité et d’instabilité».

Plus loin du terrain, mais acteur désormais très présent en Afrique, la Russie suit de très près la situation. Certains ne manquent pas de voir sa main derrière certains manifestants avec les drapeaux russes confectionnés à la hâte. Ainsi, la Russie, via un communiqué de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, maria Zakharova, indiqué que la «la menace de l’usage de la force contre un Etat souverain, ne contribuera pas à désamorcer les tensions et à résoudre la situation dans le pays», ajoutant que Moscou ne laissera pas faire et considère primordial «d’empêcher une nouvelle dégradation «de la situation dans le pays en prônant l’organisation d’un «dialogue national».

A l’opposé, les Etats-Unis qui disposent d’un millier de soldats déployés dans le pays dans le cadre de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel ne parlent pas de «coup d’Etat», faisant du rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions une condition fondamentale. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a assuré par téléphone au président Bazoum du «soutien inébranlable des Etats-Unis» qui rejettent «les tentatives de renverser l’ordre constitutionnel».

En clair, au-delà des tensions sous-régionales entre les tenants de l’intervention militaire et ceux qui s’y opposent au niveau de la CEDEAO, la crise nigérienne reflète aussi le clivage entre les Etats-Unis et leurs alliés européens contre la Russie. La crainte des pays occidentaux est qu’après la Centrafrique, le Mali et le Burkina Faso, le Niger aussi tombe dans le giron de la Russie.

Par Moussa Diop
Le 03/08/2023 à 13h46