Coup d’Etat au Niger: la France adversaire désigné par les putschistes, un pas vers la rupture

Des manifestants pro-putschistes à Niamey.

Le 31/07/2023 à 13h45

Les militaires nigériens ayant renversé le président élu Mohamed Bazoum ont, en accusant lundi la France de vouloir «intervenir militairement» pour le rétablir dans ses fonctions, fait un pas vers la rupture avec l’ex-puissance coloniale contestée.

Dimanche, des milliers de personnes ont manifesté devant l’ambassade de France à Niamey, avant d’être dispersés par des gaz lacrymogènes.

La manifestation avait débuté par une marche en direction de l’Assemblée nationale, à l’appel de certains responsables du putsch, pendant laquelle étaient brandies des pancartes appelant au retrait des 1.500 soldats français déployés au Niger.

Un scénario qui se répète dans un Sahel marqué par les coups d’Etat et la montée du ressentiment à l’égard de l’ex-puissance coloniale, après les putschs au Mali et au Burkina Faso.

Les putschistes nigériens ont rapidement adopté une rhétorique hostile à la France pour mobiliser des soutiens dans la population, alors que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédeao), que ses détracteurs accusent d’être influencée par Paris, a menacé d’intervenir militairement contre eux.

Désinformation

Les coups d’Etat au Sahel «sont soutenus par une frange de la population qui a déjà manifesté une attitude hostile à l’égard de la présence française ou occidentale», souligne Ibrahim Yahaya Ibrahim, chercheur pour l’International Crisis Group (ICG).

«Ces discours anti-français, ou anti-politique française, existent depuis longtemps, cependant, ils ne sont plus restreints comme par le passé aux élites intellectuelles, mais ont pénétré très fortement les couches populaires, notamment urbaines», selon une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI) publiée en juin.

Dans les rues de Niamey, l’un des fiefs de l’opposition au régime du président Bazoum, il était difficile de trouver, même avant le putsch, de fervents soutiens à la politique française.

L’allié français est largement décrié pour n’avoir pas su éliminer la menace des jihadistes du groupe Etat islamique et pour une diplomatie jugée arrogante et illisible.

Des théories complotistes trouvent également un large écho dans un pays où le taux d’alphabétisation dépasse à peine les 30%.

«L’opinion est répandue dans la population que les militaires français ne viendraient dans les zones de guerre que pour distribuer des armes aux jihadistes», écrit Rahmane Idrissa, chercheur en sciences politiques à l’African Studies Centre de l’université de Leyde (Pays-Bas) sur son blog personnel. Une idée «qui ne repose pas sur des faits mais sur des sentiments, et on ne contredit malheureusement pas les sentiments par des preuves factuelles», ajoute-t-il.

Le Niger est régulièrement ciblé par des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, en pleine guerre d’influence entre plusieurs puissances, dont la France et la Russie en Afrique subsaharienne.

Allié impopulaire

Mohamed Bazoum avait fait le choix d’accueillir les militaires rapatriés de la force française Barkhane après son départ du Mali en 2022, malgré l’hostilité d’une certaine partie de la population.

«Bazoum s’est allié aux Français contre l’opinion», estime l’analyste nigérien Amadou Bounty Diallo.

Fin novembre 2021, un convoi militaire de Barkhane avait été interrompu par des manifestants en colère à Téra, dans l’ouest du Niger. Trois d’entre eux avaient été tués, dans des tirs imputés par le gouvernement nigérien aux forces françaises.

«M. Bazoum n’a pas su montrer clairement au peuple nigérien qu’il entretenait une relation décomplexée avec les partenaires occidentaux, il est apparu dans l’opinion comme quelqu’un de très proche de la France», estime Ibrahim Yahaya Ibrahim.

M. Bazoum avait été élu en 2021 à l’issue d’une élection contestée par l’opposition, qu’il avait remportée avec 55% des voix: une opposition qui dénonçait les relations entre Paris et M. Bazoum, perçues comme trop complaisantes.

En octobre 2022, la France avait annulé le visa du militant nigérien de la société civile Maïkoul Zodi, réputé pour ses actions contre la présence des bases militaires occidentales, notamment françaises, au Niger.

Malgré une aide budgétaire importante, suspendue à cause du putsch, «les relations commerciales entre le Niger et la France sont extrêmement ténues. Le Niger n’est plus un partenaire stratégique sur l’uranium comme il pouvait l’être dans les années 70/80», rappelle Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 31/07/2023 à 13h45