Compensations inadéquates, droits bafoués : ces projets d’infrastructures qui font l’objet de plaintes

Le 02/09/2024 à 16h00

Le rapport 2023 du Mécanisme de Recours Indépendant de la BAD offre un aperçu précieux des défis auxquels sont confrontés les pays africains dans la mise en œuvre des projets de développement. Il souligne l’importance cruciale de renforcer la redevabilité, la transparence et le respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance afin de garantir un développement durable et équitable sur le continent africain.

Les projets du 4e pont d’Abidjan en Côte d’Ivoire, de l’autoroute périphérique Y4 en Côte d’Ivoire, de train express régional Dakar-Diamniadio au Sénégal, celui de la centrale à charbon de Sendou au Sénégal, de la centrale hydroélectrique de Nachtigal au Cameroun ou encore celui de la centrale à charbon de Medupi en Afrique du Sud…autant de projets de développement qui n’ont pas fait que des heureux. Pires, ils ont fait l’objet de plaintes en 2023, portant sur diverses problématiques telles que des compensations inappropriées, des impacts environnementaux et sociaux négatifs, des atteintes aux droits humains et des consultations publiques inadéquates.

Le rapport, intitulé «Innovations dans la Redevabilité», met en lumière le rôle crucial du Mécanisme de Recours Indépendant (IRM) de la Banque Africaine de Développement (BAD) en tant que mécanisme indépendant chargé d’examiner les plaintes relatives aux opérations de la Banque.

Ainsi, en 2023, l’IRM a traité un nombre record de 18 plaintes actives concernant des projets financés par la banque dans 17 pays africains différents, dont la Côte d’Ivoire, l’Égypte, le Bénin, l’Ouganda, le Sénégal, le Kenya, le Togo, la Guinée, le Mali, l’Afrique du Sud, le Cameroun, et Eswatini. Ces plaintes mettent en lumière les défis persistants liés à la réalisation d’un développement durable et inclusif sur le continent.

Selon le rapport d’Accountability 2023 de l’IRM, les pays ayant le plus grand nombre de plaintes actives sont le Kenya et l’Ouganda avec 2 plaintes actives chacun. La Côte d’Ivoire également enregistre 2 plaintes, dont une en attente. Quatre autres pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Sénégal, Togo et Guinée) figurent dans le classement avec une plainte active pour chacun d’entre eux. L’Égypte est le seul pays d’Afrique du Nord mentionné. Il est important de noter que le nombre de plaintes actives n’est pas nécessairement corrélé au niveau de développement des pays concernés. Des pays à différents niveaux de développement économique, tels que l’Égypte, le Sénégal et l’Afrique du Sud, figurent sur la liste.

L’argent des bailleurs de fonds détourné de sa mission?

Au Kenya, les plaintes portent sur le projet routier Mombasa-Mariakani concernant des problèmes de violation de la politique de réinstallation involontaire et de compensation des personnes affectées. Il y a aussi une plainte sur le projet d’élargissement Mombasa-Mtwapa-Kwa Kadzengo-Kilifi, soulevant un manque de consultations publiques, des problèmes de compensation/réinstallation et d’évaluation des impacts environnementaux/sociaux.

En Ouganda, les deux plaintes concernent le projet intégré de gestion des pêches et des ressources en eau des lacs Édouard et Albert et le projet d’irrigation de Wadelai. Les plaintes portent sur des consultations inadéquates, pertes de moyens de subsistance sans compensation, usage excessif de la force ayant causé des décès, et des représailles contre ceux qui ont exprimé des griefs.

Quatre autres pays ont une plainte active chacun. Au Bénin, la plainte porte sur la réhabilitation de la route Lomé-Cotonou et la protection côtière (cas 2022/2), concernant la perte d’activités économiques et de moyens de subsistance sans compensation. En Côte d’Ivoire, il y a une plainte sur le projet du 4e pont d’Abidjan (cas 2023/1) alléguant des contrats précaires, licenciements abusifs, traitement inadéquat des accidentés, restrictions des droits syndicaux et absence de mécanisme de griefs. Une autre plainte en Côte d’Ivoire concerne le projet d’autoroute périphérique Y4 (cas RQ2023/4 en attente) pour absence d’évaluation environnementale/sociale, pollution de l’air, sécurité communautaire et manque de consultations/compensations.

Au Sénégal, la plainte sur le train express régional de Dakar (cas 2019/1) porte sur des compensations inadéquates, retards de paiement et pressions pour libérer les emprises. En Égypte, la plainte sur les projets solaires photovoltaïques (cas 2022/4) concerne les mauvaises conditions de travail, salaires insuffisants, risques santé/sécurité et mécanisme de griefs non fonctionnel.

Les 11 plaintes restantes proviennent du Togo, de la Guinée, du Mali, de l’Afrique du Sud, du Cameroun, du Burundi, et de l’Eswatini.

Cette répartition met en évidence que les plaintes actives touchent un large éventail de pays africains, tant francophones qu’anglophones, à divers niveaux de développement économique, et couvrent une variété de secteurs allant des infrastructures routières à l’énergie en passant par l’agriculture et la gestion des ressources naturelles. « En 2023, le IRM a démontré son engagement continu envers la responsabilité, se positionnant comme un important défenseur du développement durable », souligne David Simpson, Directeur du IRM à la BAD.

Les secteurs du transport et de l’énergie les plus décriés

Les secteurs d’activité les plus concernés par les plaintes varient d’un pays à l’autre, allant des projets d’infrastructures routières (Kenya, Sénégal, Bénin, Burundi) aux projets énergétiques (Égypte, Côte d’Ivoire, Sénégal, Afrique du Sud) en passant par les projets agricoles (Ouganda, Mali) et de gestion des ressources naturelles (Ouganda).

Sur les 18 plaintes actives, 11 relèvent d’un processus d’examen de la conformité, visant à déterminer si les politiques de la Banque ont été enfreintes, tandis que 6 impliquent un processus de résolution de problèmes par le dialogue. Une répartition qui souligne l’importance accordée à la fois à la vérification de la conformité aux politiques de la Banque et à la recherche de solutions mutuellement acceptables pour résoudre les différends.

Ces chiffres suggèrent que malgré les efforts déployés, des projets de développement en Afrique continuent de soulever des préoccupations environnementales et sociales majeures pour les communautés locales. Certaines de ces plaintes sont être liées à des problèmes récurrents tels que les déplacements involontaires de populations, la dégradation de l’environnement, et le manque de consultations adéquates.

Afrique de l’Ouest et de l’Est, les champions des plaintes

Bien que la majorité des plaintes proviennent d’Afrique de l’Ouest (8) et d’Afrique de l’Est (6), il est difficile d’identifier des tendances régionales claires. Les pays les plus développés ne semblent pas nécessairement avoir moins de plaintes que les pays les moins avancés. En effet, l’Afrique du Sud et l’Égypte, qui figurent parmi les économies les plus prospères, font partie des pays concernés.

L’ampleur des plaintes actives en 2023 souligne l’importance cruciale du rôle joué par l’IRM dans la promotion de la redevabilité et de l’équité dans les projets de développement financés par la BAD. En donnant une voix aux communautés affectées et en examinant attentivement les allégations de non-conformité, l’IRM contribue à façonner un avenir plus durable pour l’Afrique.

Les 18 projets ayant fait l’objet de plainte en 2023 :

Référence de la plainteNom du projetProcessus impliquéPaysPhase
Affaire 2023/14e pont d’AbidjanExamen de la conformitéCôte d’IvoireEn cours
Affaire 2022/4Projets d’énergie solaire photovoltaïque en Egypte dans le cadre du programme Feed-in-Tariff (FiT)Examen de la conformitéÉgypteEn cours
Affaire 2022/2Réhabilitation de la route Lomé-Cotonou-Phase 2 et Projet de protection côtière au BéninExamen de la conformitéTogoEn cours
Affaire 2021/4Projet multinational de gestion intégrée des pêches et des ressources en eau des lacs Edward et Albert (Leaf II)Examen de la conformitéOugandaEn cours
Affaire 2021/3Projet d’irrigation de Wadelai dans le cadre du projet d’amélioration des revenus agricoles et de conservation des forêts - Phase 2 (FIEFOC-2)Examen de la conformitéOugandaEn cours
Affaire 2019/1Train express régional de Dakar, phase 1 : tronçon Dakar-DiamniadioExamen de la conformitéSénégalEn cours
Affaire 2018/1Projet d’autoroute Mombasa-MariakaniExamen de la conformitéKenyaSuivi
Affaire 2016/3Programme multinational de développement routier et de facilitation des transports au sein de l’Union du fleuve Mano (section Guinée)Examen de conformitéGuinée-ConakrySuivi
Affaire 2016/2Construction d’une centrale à charbon de 125 MW à Sendou dans le village de Bargny MinamExamen de conformitéSénégalSuivi
Affaire 2016/1La diversification des activités du projet des moulins modernes au Mali (M3)Examen de conformitéMaliSuivi
Affaire 2010/2Medupi Power ProjectExamen de conformitéAfrique du SudSuivi
Affaire 2023/2Le dédoublement de la route Mombasa-Mtwapa-Kwa Kadzengo-Kilifi (A7) dans le cadre du projet routier multinational Bagamoyo-Horohoro/Lunga Lunga-Malindi, Phase IRésolution de problèmesKenyaEn cours
Affaire 2022/3Projet de centrale hydroélectrique de NachtigalRésolution de problèmesCamerounEn cours
Affaire 2022/1Projet de centrale électrique à double combustible de 120 MW à MalicoundaRésolution de problèmesSénégalEn cours
Affaire 2021/1Projet d’aménagement et de bitumage de la route Nyakararo-Mwaro-Gitega (RN18) - Phase II - Kibumbu-Gitega (Mweya)Résolution de problèmesBurundiSuivi
Affaire 2023/3Projet d’autoroute Manzini-Mbadlane (MR3)Résolution de problèmesEswatiniDifférée
Affaire 2022/5Projet d’amélioration de l’autoroute Kenol-Sagana-MaruaRésolution de problèmesKenyaDifférée
Affaire RQ2023/4Développement de l’autoroute périphérique Y4En attenteCôte d’IvoireEn cours

Source : Mécanisme de Recours Indépendant (IRM) de la Banque Africaine de Développement (BAD)

Par Modeste Kouamé
Le 02/09/2024 à 16h00