Fonds souverains: enjeux et problématiques pour les pays africains

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Le 14/07/2023 à 16h31

Le nombre de fonds souverains est en nette augmentation en Afrique, où on recense plus d’une vingtaine. Toutefois, leur poids en termes d’actifs sous gestion demeure négligeable et ils souffrent de nombreux maux.

L’abondance de ressources naturelles (pétrole, gaz, minerais…) dans de nombreux pays africains pose, à long terme, la question de la préservation de ces richesses pour les générations futures et, à court terme, celle de la réponse à apporter à la trop grande dépendance vis-à-vis de ces matières premières dont les cours fluctuent d’une année à l’autre, entrainant parfois de déséquilibre au niveau des budgets et des opérations courantes. Face à cette situation, la mise en place de fonds souverains est l’une des solutions indiquées pour drainer une partie des recettes tirées de ces ressources et les investir sur le long terme pour contribuer au développement des pays et assurer des revenus pour les générations futures.

Partant, de plus en plus de pays africains, notamment ceux qui disposent d’importantes ressources naturelles, mettent en place des fonds souverains pour diverses finalités. Globalement, on recense plus d’une vingtaine de fonds à travers le continent. C’est dire que l’Afrique fait partie des continents qui comptent le plus grand nombre de fonds souverains. En 2021, selon les données du rapport Preqin, une société privée de données d’investissement basée à Londres, et après les Amériques et l’Asie Pacifique avec 23 fonds pour chacune de ces régions, c’est l’Afrique qui suit avec 18 fonds souverains, devant les pays du Moyen-Orient (10) et de l’Europe (10).

Il faut souligner qu’un fonds souverain, selon la définition admise par le Fonds monétaire international (FMI), doit répondre au moins aux trois critères suivants : possédé ou contrôlé par un Etat souverain, gérer des actifs financiers dans une logique de long terme et mettre en place des politiques d’investissement reposant sur des objectifs macroéconomiques précis (diversification économique, épargne intergénérationnelle…).

Grosso-modo, un fonds souverain est un véhicule d’investissement étatique, alimenté de diverses sources (excédents du compte courant provenant principalement des exportations nettes de produits de base, du surplus de la balance commerciale, des recettes tirées de privatisation…), qui gère des réserves de change de manière distincte des réserves officielles des Banques centrales.

En Afrique, plusieurs objectifs sont assignés aux fonds souverains: diversification économique, solidarité intergénérationnelle, développement décentralisé, protection de l’économie des chocs internes et/ou externes, sécurisation des sources d’approvisionnement en matières premières, drainage d’investissements internationaux vers des secteurs ciblés…

En ce qui concerne l’origine des ressources des fonds souverains africains, celle-ci est diverse, même si les ressources pétrolières et minières demeurent dominantes. C’est le cas des fonds de la Libye, de l’Algérie, du Nigeria, du Botswana, du Gabon, de la Mauritanie…

Si les fonds souverains africains sont majoritairement alimentés par les recettes tirées des matières premières, quelques-uns font exception. C’est le cas d’Ithmar Capital du Maroc dont les ressources sont des produits d’opérations de privatisation d’entreprises publiques. Récemment, le Maroc a aussi créé un nouveau fonds souverain, le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6i), dont l’objectif est de catalyser l’investissement, vecteur essentiel de la relance économique. Ce nouveau fonds est doté d’une enveloppe de 45 milliards de dirhams (4,1 milliards d’euros), dont 15 milliards issus du budget de l’Etat et 30 milliards levés auprès d’investisseurs institutionnels, nationaux et internationaux. Ses interventions couvrent notamment la contribution au financement des projets d’investissement structurants, le renforcement des capitaux propres des entreprises et la mise en place de tout mécanisme de financement structuré destiné à leur apporter des solutions de financement, ainsi que l’appui aux activités de production.

Pour sa part, le Fonsis, le fonds souverain du Sénégal, tire ses ressources des excédents budgétaires et des actifs affectés par l’Etat. Enfin, pour le fonds Agaciro development Fund du Rwanda, les ressources proviennent des contributions des partenaires internationaux au développement du pays.

En ce qui concerne les principaux objectifs des fonds souverains africains, si la plupart d’entre eux se fixent comme objectifs la contribution au développement économique national, de nombreux gouvernements les utilisent surtout pour faire face aux déficits budgétaires. C’est le cas particulièrement pour les grands pays pétroliers africains dont le Nigeria et l’Algérie. Ainsi, le solde du Nigeria Excess crude account est passé de 20 milliards de dollars en 2008 à moins de 3 milliards de dollars en 2010. Idem pour le Fonds de régulation des recettes (FRR) d’Algérie créé en 2000 pour faire face spécialement aux chocs pétroliers et dont l’actif avait atteint 40 milliards de dollars lors de la flambée des prix de l’or noir en 2014 avant de fondre dans le sillage de la décrue des cours de l’or noir, poussant le gouvernement à utiliser FRR pour réduire la dette publique et à financer le déficit budgétaire abyssal. Des dépenses qui ont entrainé l’assèchement total du second fond souverain africain en termes d’actifs sous gestion au début 2017.

Une situation qui fait que les fonds souverains africains ne remplissent pas globalement leur rôle de développement économique et qui s’explique par les nombreuses faiblesses structurelles de ces fonds.

D’abord, les fonds souverains du continent sont globalement de petites tailles. L’une des principales faiblesses des fonds souverains africains est la faiblesse de leur capital et de leurs actifs sous-gestion. Ainsi, selon IFSWF, en 2021, seuls 6 fonds du continent avaient un capital supérieur à 1,5 milliard de dollars. Il s’agissait de ceux d’Egypte (12,7 milliards de dollars), de l’Angola (2,5 milliards de dollars), du Gabon (1,94 milliard de dollars), du Botswana (1,72 milliard de dollars), du Nigeria (1,80 milliard de dollars) et du Maroc (1,5 milliard de dollars).

Ensuite, du fait de la faiblesse des ressources affectées à ces fonds et surtout de l’usage qui en est fait, l’encours des actifs sous gestion des fonds africains pris globalement est globalement faible. En mai 2013, les 22 fonds souverains africains du continent géraient près de 156 milliards de dollars d’actifs. A cette date, le Libyan Investment Authority (LIA), fondé en 2006, était le plus important d’Afrique avec 65 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Depuis, avec la décrue des cours du pétrole, les actifs sous gestion des fonds africains se sont effrités. Celui de l’Algérie qui était le second le plus important en termes d’actifs sous gestion en 2013 a été totalement asséché en finançant les déficits budgétaires abyssaux que le pays a connus entre 2014 et 2017. En 2022, grâce à la flambée des cours des hydrocarbures, l’actif du fonds a atteint 18 milliards de dollars.

En ce qui concerne la Nigerian Sovereign Investment Authority (NSIA), la stratégie d’allocation d’actifs a été restructurée pour refléter une focalisation accrue sur les investissements dans le domaine des infrastructures au Nigeria. Les infrastructures absorbent désormais 50% des allocations du fonds souverain. Les actifs du fonds avaient atteint 2,5 milliards de dollars en 2021.

Par ailleurs, les fonds souverains africains souffrent presque tous d’un grave problème de gouvernance, excepté peut-être celui du Botswana.

Enfin, et comme conséquence directe de cette mauvaise gouvernance, la gestion des fonds souverains africains laisse souvent à désirer. De la vingtaine de fonds souverain, celui qui est donné en exemple est celui du Botswana, le Fonds Pula. Créé en 1994, dans le but de préserver une partie des revenus des exportations de diamants pour les générations futures, celui-ci est considéré comme une référence en Afrique en matière de transparence et de gestion. Au Botswana, la banque centrale évalue les besoins en réserves internationales primaires et les excédents de réserves de change qui sont investis à long terme via le Fonds Pula, en consultation avec le ministre des Finances et de la Planification du développement. Le Fonds Pula a vu sa valeur augmenter sensiblement depuis sa création, grâce aux excédents substantiels de la balance des paiements ainsi que le succès de la stratégie d’investissement. En juin 2023, le fonds avait 4,1 milliards de dollars d’actifs sous gestion.

Ainsi, si certains fonds souverains ont permis de jouer des rôles de stabilisateurs, plus ou moins efficaces, sur les marchés financiers, leurs opérations ont surtout suscité de vives interrogations sur des stratégies d’investissement souvent complexes, opaques et fortement impactées par des décisions politiques.

En effet, le manque d’indépendance des fonds souverains africains vis-à-vis du pouvoir politique pose un véritable problème. Le fonds libyen, créé en 2006 par le colonel Kadhafi et géré par un cercle de proche du régime, est emblématique de la mauvaise gestion des fonds souverains africains. Le fonds investissait presque dans les marchés financiers, en Afrique et en dehors du continent. La Libyan Investment Authority (LIA) a massivement investi à l’international. Une situation qui s’explique par la petite taille de l’économie libyenne. Malheureusement, cela présente aussi des risques. Ainsi, suite au déclenchement de la révolution en Libye, la grande majorité des actifs du fonds avait été gelée à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, en Europe et au Royaume-Unis, à la faveur d’une demande du gouvernement libyen afin que les anciens caciques du régime Kadhafi ne mettent la main sur une partie des ressources du fonds, mais d’autres placements ont du mal à être tracés et les autorités libyennes ont du mal à mettre la main dessus.

Bref, si à travers les investissements à long terme, plusieurs objectifs étaient visés par les fonds souverains africains, dont notamment la génération de flux de revenus qui pourront bénéficier aux générations futures, le financement des projets socio-économiques ou promouvoir des politiques industrielles propres à stimuler la croissance de la production potentielle d’un pays, en réalité, ces objectifs sont loin d’être atteints.

Bref, les fonds souverains africains n’ont pas globalement rempli leurs missions. La mise en place d’un cadre de gouvernance strict, visant la bonne gestion des fonds par des règles très rigoureuses de gestion des actifs, de sélection des opportunités d’investissement et de suivi des risques est un préalable. De même, l’adoption de normes exigeantes en matière de transparence est un autre prérequis indispensable à la saine gestion des fonds souverains.

A ce titre, les pays africains devraient s’inspirer du modèle norvégien. Le Government pension fund global (Norvège), le fonds souverain norvégien, créé en 1990, géré par la Banque centrale de Norvège (Norges Bank), gère une majeure partie des revenus engrangés par les hydrocarbures dont le pays est le plus gros producteur d’Europe de l’Ouest avec une production de 1,8 million de barils par jour (15e producteur de la planète). Ces fonds sont ensuite investis un peu partout dans le monde via les marchés financiers. Globalement, les ressources du fonds souverain norvégien sont investis à hauteur de 70% en actions, 27% en obligations et 3% dans l’immobilier. Actuellement, le fonds a des participations dans plus de 9.200 entreprises à travers le monde. Afin 2022, le fonds disposait d’un actif sous gestion de 1.148 milliards d’euros, soit 2,5 fois le Produit intérieur brut (PIB) du pays (461 milliards d’euros en 2022). Ce montant correspond à l’équivalent de 210.000 euros pour chacun des 5,5 millions de Norvégiens. Grâce à une politique d’investissement et une gestion transparente -le fonds bénéficie d’un indice de transparence de 10-, le fonds souverain norvégien est devenu le plus important fonds souverain au monde.

Au-delà, certains observateurs n’hésitent pas à se demander qu’elle est leur véritable intérêt, surtout quand on parle de générations futures alors qu’à l’heure actuelle, les déficits en infrastructures sont criants et les équilibres budgétaires fragiles. Or, avec des infrastructures défaillantes et vieillissantes et sans excédents budgétaires, beaucoup pensent que la création de fonds souverains perd tout son sens et pourrait même s’avérer préjudiciable en ce sens qu’il pourrait empêcher le pays d’entreprendre des investissements utiles et urgents pour soutenir son développement.

Par Moussa Diop
Le 14/07/2023 à 16h31