Comme l’a précisé le ministre de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations, cette initiative fait suite à plusieurs audits et vise à permettre «une exécution budgétaire sereine». Toutefois, «les opérateurs économiques détenteurs des ordonnances de paiement en instance de paiement au Trésor sur la période indiquée, assorties de toutes les pièces justificatives, sont priés de les déposer à la Task-force, au plus tard le 17 octobre 2025, délai de rigueur», précise le communiqué du ministre.
Les chiffres récents illustrent l’urgence à assainir les finances nationales: la dette publique atteignait 7.000 milliards de FCFA au 1er janvier 2025, avec des prévisions de la Banque mondiale la situant à 80,02% du PIB, frôlant ainsi les seuils réglementaires de la CEMAC.
Le service de la dette a plus que doublé sur un an, passant de 379,5 milliards de FCFA entre janvier et mars 2024 à 700,9 milliards sur la même période en 2025. Cette décision s’aligne également avec les orientations du Président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema qui a réaffirmé lors du Conseil des Ministres du 12 août dernier que «le redressement des comptes publics demeure un objectif prioritaire» et a insisté sur «l’exigence absolue d’une plus grande rigueur».
Jim Ndong Methogo, entrepreneur en bâtiment et travaux publics (BTP), exprime une préoccupation centrale, celle de préserver la crédibilité de l’État en tant que partenaire contractuel. «L’État aura toujours besoin de partenaires et de fournisseurs. S’il y a des travaux qui ont été exécutés conformément aux cahiers des charges, l’État devrait payer cette créance pour renforcer sa crédibilité», plaide-t-il.
Son intervention souligne le risque d’un durcissement des relations entre le public et le privé et met en garde contre d’éventuels contentieux «l’État peut être aussi poursuivi par ceux qui ont livré des prestations en bonne et due forme». Sa conclusion est un appel au dialogue: «Il faut trouver un terrain d’entente dans ce dossier.»
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Cette position reflète les inquiétudes d’un tissu économique qui dépend de la commande publique, dans un secteur, le BTP, que les autorités ont identifié comme prioritaire pour les infrastructures nationales.
Si la préoccupation de l’entrepreneur est soutenable, l’analyse de Louis Paul Modoss, économiste, replace la mesure dans une perspective plus large de discipline budgétaire. Il salue la décision, qu’il estime nécessaire, tout en exhortant à «la lucidité en s’attaquant au mal à la racine». Selon lui, le cœur du problème réside moins dans le montant de la dette que dans les pratiques ayant présidé à son accumulation.
«Il ne s’agit pas de toutes les dettes, il s’agit de celles dites frauduleuses», précise-t-il, révélant un aspect crucial du débat. Ses chiffres sont éloquents: la dette intérieure est estimée à plus de 2.000 milliards de FCFA, soit environ un tiers de la dette publique totale. L’analyse des procédures de passation de marchés entre 2023 et 2024 fait apparaître un taux inquiétant de 93% de marchés passés de gré à gré, très loin du seuil légal de 15%.
«Dans la pratique d’attribution directe des marchés, les règles sont entachées d’irrégularités. À l’analyse, certains hauts fonctionnaires sont derrière ces entreprises. Ce qui fait d’eux juges et parties», dénonce-t-il.
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Cette analyse rejoint les critiques externes, comme celle de l’indice Mo Ibrahim, qui classait récemment le Gabon au 44e rang africain pour ses procédures de passation de marchés publics, avec un score de 12,5/100, pointant un manque criant d’objectivité et d’efficacité. Cette situation avait d’ailleurs poussé le Président de la Transition à annoncer, dès son arrivée au pouvoir, la mise sur pied d’une commission d’enquête dédiée aux marchés publics pour traquer les «fraudes» et la «surfacturation».
La décision du gouvernement de supprimer les ordonnances de paiement antérieures à 2023 marque un coup d’arrêt fort dans la gestion des finances publiques. Elle traduit une volonté politique affichée de tourner la page des pratiques opaques et de rétablir une saine discipline budgétaire, un impératif dans un contexte de dette croissante. Toutefois, comme le prouvent les réactions du tissu économique local, le succès de cette opération ne se mesurera pas seulement à l’aune des économies réalisées.
Il dépendra de la capacité de l’État à faire preuve de discernement pour honorer ses engagements légitimes, évitant ainsi de briser la confiance des partenaires privés indispensables à l’économie réelle. Surtout, cette mesure ne sera véritablement efficace que si elle s’accompagne d’une réforme en profondeur du système des marchés publics lui-même, pour en garantir la transparence et mettre un terme définitif aux conflits d’intérêts et aux irrégularités qui ont, par le passé, alimenté une dette intérieure suspecte. La crédibilité future de la signature de l’État en dépend.