Le rapport, fondé sur une enquête conduite auprès de plus de 2.100 entreprises opérant dans 51 pays africains, dont une majorité de petites et moyennes entreprises (PME), révèle une tendance forte: 53,6% des sociétés africaines recourent déjà à des systèmes de paiement numériques pour leurs transactions commerciales, en dépit des contraintes structurelles qui freinent encore la digitalisation– coûts d’implémentation élevés, instabilité des connexions Internet ou vulnérabilités en matière de cybersécurité.
Face aux turbulences géopolitiques et aux chaînes d’approvisionnement mondiales bouleversées, les chefs d’entreprise africains redoublent d’efforts pour renforcer leur autonomie commerciale. Le «Africa CEO Trade Survey Report 2025» montre un intérêt croissant pour des marchés émergents du Golfe et des Caraïbes, perçus comme des partenaires de substitution crédibles dans un contexte où les échanges Nord-Sud se complexifient.
En 2025, les échanges commerciaux entre l’Afrique et le Golfe sont axés sur le renforcement des investissements étrangers directs (IDE), la promotion du commerce intra-africain via des événements et la mise en place de facilités pour le commerce numérique. Le continent a bénéficié d’un afflux important d’IDE en provenance du Golfe, tandis que des initiatives visent à stimuler le commerce intra-africain en surmontant les obstacles réglementaires et logistiques.
Ainsi, les IDE du Golfe vers l’Afrique ont augmenté de 75% en 2025, en partie grâce à d’importants projets en Égypte, mais les flux ont également été soutenus par des réformes réglementaires et des facilitations d’investissement dans l’ensemble du continent.
Pour la même période (2025), le commerce entre l’Afrique et les Caraïbes est soutenu par le Forum Afrique-Caraïbes sur le commerce et l’investissement (ACTIF 2025), qui a généré plus de 300 millions de dollars en transactions et engagements. Ce marché potentiel, estimé à 1,8 milliard de dollars d’ici 2028 selon le Centre du commerce international (CCI) et l’Afreximbank, cherche à surmonter les défis logistiques pour réaliser son potentiel de croissance.
L’accent est mis sur l’ajout de valeur, la réduction des droits de douane et la facilitation des échanges, notamment dans les secteurs de la technologie, de l’agriculture et de l’industrie créative.

Cette réorientation s’inscrit dans la logique de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), censée offrir un marché intégré de 1,4 milliard de consommateurs. Elle traduit également la prise de conscience que l’avenir du commerce africain se jouera dans sa capacité à s’appuyer sur des infrastructures numériques interconnectées et sur un écosystème financier capable de fluidifier les échanges intra-africains.
Le rapport consacre un chapitre entier à la numérisation et à la technologie comme piliers d’un environnement commercial moderne. La digitalisation des processus, des paiements et de la logistique apparaît comme un instrument central d’efficacité, de transparence et de lutte contre la corruption.
Les dirigeants interrogés affirment presque unanimement que la transition numérique est «vitale» pour la survie et la compétitivité de leurs entreprises. Les systèmes de paiement électroniques, les plateformes de commerce en ligne et les logiciels de gestion des chaînes d’approvisionnement deviennent la norme dans les grandes métropoles africaines.
Le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), désormais relié à 16 banques centrales et 150 banques commerciales, permet des règlements instantanés en monnaies locales, réduisant jusqu’à 50% les coûts de transaction, selon le Centre du commerce international (ITC).
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Cette innovation structurelle marque un tournant en rapprochant les économies africaines d’une autonomie monétaire régionale, tout en réduisant leur dépendance au dollar américain. Parallèlement, des initiatives nationales comme l’e-naira au Nigeria ou l’e-cedi au Ghana annoncent l’émergence d’un écosystème de monnaies numériques souveraines.
La révolution numérique africaine s’appuie sur une réalité unique, celle de la généralisation de la monnaie mobile. Des solutions comme M-Pesa, Wave ou Orange Money ont transformé les pratiques financières quotidiennes, faisant du continent le leader mondial de l’inclusion financière numérique.
Selon la base de données Global Findex 2025 de la Banque mondiale, 40% des adultes en Afrique subsaharienne détiennent un compte de monnaie mobile, un taux inédit à l’échelle mondiale. Le taux global de bancarisation a doublé depuis 2011 pour atteindre 49%, mais les disparités demeurent, 6 % seulement au Soudan du Sud, contre 91% à Maurice, 79% au Kenya ou encore 85% en Afrique du Sud.
Les opérateurs télécoms, profitant de leur maillage territorial et de la confiance du public, ont joué un rôle décisif en lançant leurs propres services financiers. Ce mouvement illustre la capacité du secteur privé africain à innover en contournant les rigidités institutionnelles.
Les politiques publiques en quête de cohérence
Sur le plan institutionnel, le «Africa CEO Trade Survey Report 2025» salue les avancées de l’Union africaine (UA) dans la mise en œuvre de sa Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique, élaborée avec la Commission économique pour l’Afrique (CEA), la Banque africaine de développement (BAD) et l’alliance Smart Africa.
L’ambition d’un Marché numérique unique africain à l’horizon 2030 reste toutefois confrontée à des obstacles de taille: infrastructures insuffisantes, coûts prohibitifs de connectivité, absence d’harmonisation juridique. Le Protocole de la ZLECAf sur le commerce numérique, adopté en 2024 mais encore en phase de ratification, vise précisément à combler ces lacunes en favorisant les paiements électroniques, la cybersécurité et la reconnaissance des identités numériques.
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Les pays les plus avancés en matière de gouvernance numérique– Maurice, Seychelles, Afrique du Sud et Tunisie, selon l’Africa Policy Research Initiative– montrent la voie, démontrant que la compétitivité numérique dépend d’abord de la stabilité réglementaire et de l’investissement dans le capital humain.
Malgré l’élan, la numérisation africaine reste freinée par plusieurs contraintes majeures. Le coût de l’accès à Internet demeure prohibitif dans de nombreuses régions, tandis que les infrastructures de télécommunication manquent de fiabilité. À cela s’ajoute un déficit criant de compétences numériques: seuls 50% des pays africains intègrent encore l’informatique dans leurs programmes scolaires, contre 85% dans le reste du monde.
En 2024, le taux de pénétration d’Internet sur le continent n’était que de 38%, selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), confirmant que la fracture numérique reste un obstacle déterminant à la compétitivité.
Pour pallier ces lacunes, plusieurs programmes – tels que le Programme d’accélération de l’innovation numérique en Afrique de l’ITC, soutenu par le Fonds de développement mondial et la CIDCA (China International Development Cooperation Agency) – accompagnent les PME dans la création de plateformes d’e-commerce et dans l’adoption de solutions logicielles adaptées aux réalités locales.
Une conscience écologique en pleine émergence
L’édition 2025 du rapport introduit un axe inédit, celle de la durabilité. Près de 98% des dirigeants interrogés considèrent que l’intégration de pratiques écologiques constitue désormais une exigence stratégique.
Les entreprises africaines adoptent progressivement des politiques ESG (Environnement, Social, Gouvernance), axées sur la réduction des émissions de carbone, l’utilisation d’emballages recyclables et l’investissement dans les énergies renouvelables. Si ces pratiques restent embryonnaires, elles deviennent une condition sine qua non pour commercer avec des multinationales et séduire les investisseurs institutionnels.
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Là encore, les obstacles ne manquent pas: coûts élevés de la transition, faiblesse des structures de gouvernance, financement limité et inadéquation avec les standards internationaux. Mais la tendance est irréversible. L’Afrique s’inscrit dans la dynamique mondiale du commerce vert, conscient que la compétitivité de demain reposera autant sur la performance numérique que sur la responsabilité environnementale.
L’Africa CEO Trade Survey Report 2025 trace, en filigrane, les contours d’une Afrique entrepreneuriale tournée vers l’avenir: connectée, durable et consciente de ses propres forces.
Dans un contexte mondial marqué par la fragmentation des échanges, les incertitudes géopolitiques et la montée des nationalismes économiques, la ZLECAf et la numérisation apparaissent comme les deux leviers jumeaux d’une renaissance commerciale africaine.
Si les défis restent nombreux, la dynamique enclenchée par les entreprises africaines témoigne d’un changement de paradigme. Le continent ne se conçoit plus comme un simple fournisseur de matières premières, mais comme un acteur stratégique du commerce mondial, capable d’innover, d’intégrer et de s’imposer dans les nouvelles chaînes de valeur numériques et durables.




