En 2023, onze pays africains ont affiché des flux d’investissements directs sortants négatifs ou de « désinvestissements » selon le rapport World Investment Report 2024 de la CNUCED. L’analyse de ces flux appelle à une lecture nuancée. Si ces chiffres peuvent sembler alarmants de prime abord, ils masquent des réalités multiples et complexes, mêlant enjeux comptables, conjoncturels, structurels et défis politiques propres à chaque pays.
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Les cas sud-africain et namibien, respectivement premier et deuxième de ce classement avec -2,8 milliards de dollars et -310 millions de dollars de flux d’investissements sortants, illustre bien la complexité du phénomène. Pôle financier régional, l’Afrique du Sud accueille de nombreuses multinationales qui y localisent leurs sièges régionaux. Les mouvements comptables liés aux restructurations de ces groupes génèrent mécaniquement des flux sortants négatifs.
Les sociétés multinationales y domiciliées effectuent des opérations de consolidation, de restructuration de leurs avoirs à l’étranger, générant mécaniquement des flux sortants négatifs dans les statistiques du pays. Mais pas que. En grande partie, cet indicateur traduit un repli des investisseurs et une réduction substantielle des activités productives locales.
La sortie récente d’économistes sud-africains met en lumière cette réalité inquiétante pour l’Afrique du Sud. « Certains géants mondiaux comme TotalEnergies et Anglo American décident d’abandonner ou de se désengager de leurs investissements miniers, gaziers et pétroliers dans le pays, au profit de destinations jugées plus attractives comme la Namibie et le Mozambique », déplorent-ils. Les économistes sud-africains pointent du doigt le mauvais climat des affaires, la bureaucratie pesante, l’insouciance politique et les lenteurs administratives chroniques du gouvernement.
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Cette fuite des investissements étrangers directs fragilise l’économie sud-africaine et souligne l’urgence de réformes structurelles ambitieuses. Un signal d’alarme pour les autorités, appelées à restaurer un environnement propice aux investissements par des actions concrètes visant à améliorer la gouvernance, les infrastructures, la stabilité énergétique et logistique. « Sans ces réformes, le risque est grand de voir d’autres investisseurs stratégiques suivre le mouvement, au détriment du développement économique durable », souligne Lumkile Mondi, économiste de la Wits Business School.
Si le volume des flux d’investissements sortants négatifs de la Namibie est relativement moins important que celui de son voisin sud-africain, le phénomène est le même : des mouvements comptables de désinvestissement et des réaffectations d’actifs entre filiales. Selon un communiqué de presse de fin de mission d’évaluation des équipes du FMI en Namibie, publié en octobre 2023, il est explicitement indiqué que « les besoins de financement extérieur de la Namibie sont largement couverts par les investissements directs étrangers dans le secteur minier et l’exploration pétrolière et gazière ». Cela indique un certain niveau d’investissement en Namibie.
Ajoutons à cela qu’à l’instar de son voisin sud-africain, la Namibie figure toujours dans la liste grise du GAFI des juridictions sous surveillance renforcée, en raison de déficiences stratégiques dans leurs régimes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
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Selon le rapport World Investment Report 2024 de la CNUCED, la Namibie affiche -310 millions de dollars de flux d’investissements sortants.
Troisième et quatrième pays de l’Afrique Australe de cette liste, le cas du Botswana (-38 millions en 2023 après -68 en 2020) et d’Eswatini (-22 millions après +60 en 2021) témoigne de la sensibilité des économies très dépendantes de l’export minier aux chocs extérieurs. La diversification économique est cruciale pour ces nations très exposées.
Le directeur général de la Nigerian Upstream Petroleum Regulatory Commission (NUPRC), M. Gbenga Komolafe, vient d’annoncer, début juillet 2024, l'achèvement des opérations de désinvestissement entre Nigeria Agip Oil Company et Oando Plc, ainsi que celles d'Equinor et du projet Odinmim, d'une valeur conjointe d'environ 1,5 milliard de dollars. S'exprimant lors de la conférence Nigeria Oil and Gas mercredi à Abuja, M. Komolafe a également fait le point sur l'accord de désinvestissement entre Shell Petroleum Development Company et Renaissance, d'une valeur de 2,4 milliards de dollars, ainsi que sur l'accord entre ExxonMobil et Seplat, d'une valeur de 1,2 milliard de dollars.. DR
L’impact néfaste de l’instabilité sécuritaire
La Libye (-164 millions) et le Cameroun (-109 millions) sont les bons exemples illustrant l’impact dévastateur de l’instabilité politique et /ou sécuritaire. Pour le cas de la Libye, les conflits récurrents, l’insécurité généralisée et l’absence d’un cadre stable font fuir les investisseurs étrangers, qui rapatrient leurs capitaux. Ainsi, en 2020, le pays a enregistré -487 million de dollars de flux d’investissements sortants négatifs, et -55 million de dollars en 2021.
Au Cameroun (-109 millions de dollars), ce sont les tensions sécuritaires dans certaines régions, notamment celles dites « Anglophones » avec la menace de groupes armés, qui découragent les investissements étrangers. Les risques élevés poussent certains investisseurs au départ.
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Dans ces contextes de crises multiformes, qu’elles soient économiques, politiques ou sécuritaires, la confiance des investisseurs étrangers est inévitablement ébranlée. Leur appréhension à engager ou maintenir des capitaux se traduit par des flux d’investissements sortants négatifs importants.
Pour ces pays, la clé pour renverser cette tendance et regagner l’attractivité auprès des investisseurs étrangers réside dans le rétablissement durable de la stabilité, que ce soit au niveau sécuritaire, politique ou macroéconomique. Un environnement apaisé, sûr et prévisible est indispensable pour rassurer les investisseurs et booster les entrées d’IDE.
Des facteurs internes pèsent aussi lourdement comme au Togo (-60 millions de dollars) où l’environnement des affaires reste difficile malgré les efforts de réforme. Un signal d’alerte sur la nécessité d’accélérer la cadence des réformes structurelles.
Sensibilité des investisseurs africains aux chocs
Au-delà de ces aspects comptables et conjoncturels, l’analyse des flux d’Investissement sortants négatifs des pays africains révèle des dynamiques d’investissement sous-jacentes intéressantes. Premièrement, la volatilité de ces flux reflète la sensibilité aux chocs des investisseurs africains, qu’ils soient publics ou privés. La pandémie de Covid-19, les tensions géopolitiques et la crise énergétique ont impacté lourdement les stratégies d’expansion internationale de ces entreprises afro-multinationales, les contraignant à la prudence.
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Deuxièmement, ces chiffres rappellent les défis de financement et d’accès aux marchés auxquels sont confrontés de nombreux investisseurs africains. Les ralentissements se concentrent souvent sur les petites économies aux capacités d’investissement limitées.
Zoom sur les « petits pays »
Pour les petits pays comme la Gambie (-1 million), le Cabo Verde (-7 millions) ou Sao Tomé-et-Principe (-4 millions), l’enjeu est de taille critique. Avec des économies de niche très ouvertes, la fermeture ou le redéploiement d’une seule multinationale suffit à générer des flux sortants négatifs. Le financement des infrastructures, l’intégration régionale et l’amélioration du climat des affaires sont essentiels pour ces nations en quête de massification.
Les trajectoires heurtées d’Eswatini (-22 millions après +60 en 2021) et des Seychelles (-2 millions) montrent la volatilité des flux pour les petits pays insulaires, particulièrement vulnérables aux chocs exogènes.
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Au-delà des spécificités, certains défis communs se dégagent nettement. L’exposition aux chocs de la conjoncture internationale, la dépendance aux matières premières et le poids encore trop faible du secteur productif local émergent comme des fragilités majeures à plusieurs niveaux.
Des impacts à relativiser
L’impact récessif de ces flux négatifs reste toutefois à relativiser. D’une part, dans certains cas, ils masquent des réalités économiques positives comme la consolidation d’acteurs panafricains dans des champions régionaux. D’autre part, les perspectives à moyen terme semblent plus rassurantes avec une hausse des projets greenfield annoncés par les multinationales en Afrique (+23% en nombre), annonce le World Investment Report 2024 de la CNUCED.
Certains signaux encourageants émergent également comme la résilience des investissements dans les minéraux critiques et les énergies renouvelables. Un motif d’espoir pour une transition énergétique et productive réussie pour le continent.
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L’attractivité de long terme de l’Afrique pour les IDE dépendra cependant de la mise en œuvre effective de réformes ambitieuses visant à améliorer durablement l’environnement des affaires, la gouvernance et les infrastructures. La facilitation des investissements par le numérique comme vecteur d’efficacité administrative et de transparence renforcée peut constituer un levier de transformation significatif à cet égard pour de nombreux pays africains.
Classement des flux de désinvestissements enregistrés en 2023, par volume (en millions de dollars)
Pays | Volume (en millions de dollars) | Rang |
---|---|---|
Afrique du Sud | -2.811 | 1er |
Namibie | -310 | 2ème |
Libye | -164 | 3ème |
Cameroun | -109 | 4ème |
Togo | -60 | 5ème |
Botswana | -38 | 6ème |
Eswatini | -22 | 7ème |
Cabo Verde | -7 | 8ème |
Sao Tomé-et-Principe | -4 | 9ème |
Seychelles | -2 | 10ème |
Gambie | -1 | 11ème |