«La croissance du commerce international entraine une augmentation des litiges»: ces 11 pays africains qui ont le plus recours à l’arbitrage international

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Le 21/07/2024 à 14h16

Les dernières statistiques de la Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA), de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) et du Centre d’arbitrage international de Singapour (SIAC) révèlent une tendance marquante: l’Afrique est désormais une région affichant une forte croissance du nombre de parties impliquées dans les procédures arbitrales.

Longtemps considéré comme un frein aux échanges économiques, le règlement des litiges commerciaux prend désormais une ampleur sans précédent en Afrique. Les statistiques de 2023 de la Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA) révèlent que l’Afrique est désormais la région affichant la plus forte hausse du nombre de parties impliquées dans ses procédures arbitrales.

Les chiffres sont éloquents: la proportion de parties africaines dans les arbitrages de la LCIA a doublé en un an, passant de 4% en 2022 à 8% en 2023. «On s’attendait depuis longtemps à ce que la croissance du commerce international et des investissements étrangers en Afrique entraîne une augmentation des litiges impliquant des parties africaines. Les statistiques 2023 de la LCIA semblent confirmer ce point de vue», analyse Rob Wilkins, Partner chez Pinsent Masons.

Si l’île Maurice (0,6% des parties en 2022 contre 1,9% en 2023) et le Nigéria (0,7% des parties en 2022 contre 1,2% en 2023) restent en tête, d’autres pays comme le Kenya (0% des parties en 2022 contre 1,1% en 2023), le Ghana (0% des parties en 2022 contre 0,8% en 2023) et l’Afrique du Sud (0,6% des parties en 2022 contre 0,8% en 2023) connaissent une hausse notable des cas soumis à la LCIA. En Afrique du Nord également, la part des parties impliquées a grimpé de 5% à 8% sur un an.

Même constat à la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), institution devenue populaire pour les parties du Moyen-Orient et d’Afrique ces dernières années. Les statistiques de 2023 de la CCI sur l’arbitrage international révèlent une tendance marquante: la représentation africaine dans les procédures de cette institution ne cesse de croître. Chloe De Jager, experte renommée et membre de la Cour d’arbitrage de la CCI, dresse un constat révélateur: « Sur les 8% de parties d’Afrique du Nord et subsaharienne impliquées dans les affaires de 2023, plus de 120 provenaient spécifiquement de la région subsaharienne, réparties sur 32 nationalités différentes. »

Cette diversité géographique des parties africaines, aussi bien des pays phares comme le Maroc (34), l’Égypte (14), le Nigéria (14), l’Algérie (11) que des juridictions moins en vue comme la République démocratique du Congo (15), témoigne de l’enracinement progressif de la culture du règlement des différends sur le continent. « Cela montre que le travail effectué par la CCI gagne du terrain dans les juridictions moins populaires, tout en conservant son impact dans les pays africains les plus importants », souligne De Jager.

Au niveau du Singapore International Arbitration Centre (SIAC), 21 affaires impliquant des parties africaines ont été déposées sur un total de 663. 7 provenaient de Maurice, 5 des Seychelles, 4 du Cameroun, 2 d’Afrique du Sud, et 1 respectivement du Liberia, de la Namibie et de la Tunisie. En 2022, ce ne sont que 9 affaires qui ont été déposées sur un total de 357.

En dépit du fait que la liste des juridictions n’est pas exhaustive, 11 pays africains se démarquent avec plus d’une affaire déposée en arbitrage. Il s’agit du Maroc (34 affaires à la CCI), du Nigéria (15 affaires dont 14 à la CCI et 1 implicite à la LCIA), de la République démocratique du Congo (15 affaires à la CCI), de l’Égypte (14 affaires à la CCI), de l’Algérie (11 affaires à la CCI), de Maurice (plus de 7 affaires), des Seychelles (5 affaires au SIAC), du Cameroun (4 affaires au SIAC), de l’Afrique du Sud (plus de 3 affaires), du Kenya et du Ghana.

Le secteurs économiques les plus concernés

Cette recrudescence des litiges africains concerne une pluralité de secteurs. Comme le souligne le rapport de la LCIA, «les affaires liées aux transports et aux matières premières continuent de dominer la charge de travail, représentant 36% du total des affaires en 2023″. Une prédominance que l’institution attribue à «l’impact continu des évolutions mondiales sur les prix de l’énergie et les chaînes d’approvisionnement».

Rob Wilkins ajoute que «la prévalence des litiges dans ces secteurs n’est pas surprenante, compte tenu des perturbations géopolitiques et économiques qui ont affecté le commerce mondial et les chaînes d’approvisionnement ces dernières années».

Du côté de la CCI, deux secteurs d’activité se démarquent nettement en termes de nombre de litiges commerciaux: la construction et l’énergie. En 2023, ces deux domaines ont engendré près de 45% des nouveaux cas enregistrés auprès de la CCI, poursuivant une tendance observée depuis 2021. Un chiffre qui reflète l’essor des projets d’infrastructures et d’exploitation des ressources naturelles sur le continent.

Toujours chez la CCI, au-delà de ces secteurs phares, les litiges impliquant des entreprises africaines concernent une palette d’activités très variée, des contrats commerciaux aux fusions-acquisitions en passant par la propriété intellectuelle. Une complexification qui découle de l’ouverture économique croissante de l’Afrique et de l’émergence de nouvelles formes de partenariats.

Du côté de la LCIA, les autres pans de l’économie concernés par ce regain de contentieux sont la banque, la finance, les ressources énergétiques ou encore les services professionnels.

Des causes multifactorielles

Si les causes varient selon les secteurs, certains facteurs semblent transcender les différentes branches d’activité. La volatilité des marchés, exacerbée par les conflits géopolitiques comme la guerre en Ukraine, a engendré d’importantes turbulences sur les cours des matières premières. De quoi nourrir les différends contractuels entre fournisseurs, négociants et clients finaux.

Par ailleurs, la complexité croissante des transactions commerciales et financières transfrontalières, conjuguée à un environnement réglementaire encore instable dans certains pays et l’expansion des investissements étrangers sur le continent, constitue un terreau propice aux litiges.

«Compte tenu du volume d’affaires sur le continent, il est reconnu que les institutions d’arbitrage régionales jouent toujours un rôle clé pour les parties, en particulier en ce qui concerne les arbitrages nationaux et en Afrique subsaharienne», rappelle Chloe De Jager. Un constat qui souligne les défis auxquels sont confrontés les systèmes judiciaires africains face à cette montée en puissance du contentieux.

Montée en puissance de l’arbitrage africain

Au-delà des statistiques de la LCIA, Rob Wilkins estime que «l’augmentation du nombre de cas dans les principales institutions d’arbitrage africaines comme la CRCICA et l’AFSA semble étayer l’idée selon laquelle le nombre de litiges en Afrique est en hausse». Une tendance qui, selon lui, pourrait refléter «la montée en puissance de l’arbitrage africain».

Si cette poussée litigieuse comporte des défis, notamment en termes de coûts et de perturbation des activités économiques, elle témoigne aussi de l’essor du cadre juridique et des capacités institutionnelles du continent pour régler les différends commerciaux.

Reste à voir si cette propension accrue au contentieux juridique constitue un frein aux investissements et échanges en Afrique, ou si elle participe au contraire à l’assainissement du climat des affaires. Une interrogation qui marquera sans doute les années à venir dans la région désormais résolument litigieuse.

Les pays africains ayant plus de 3 affaires en arbitrage international en 2023

PaysNombre d’affairesJuridiction
Maroc34ICC
Nigéria15CCI et LCIA
RDC15CCI
Égypte14CCI
Algérie11CCI
Maurice7SIAC
Seychelles5SIAC
Cameroun4SIAC
Par Modeste Kouamé
Le 21/07/2024 à 14h16