L’Afrique, 1er exportateur de footballeurs: les schémas tactiques pour la rentabilité économique

L’Afrique demeure le principal exportateur de talents vers les ligues européennes.

Le 29/04/2025 à 09h40

Alors que l’Afrique exporte massivement ses talents vers l’Europe, les acteurs locaux se mobilisent pour transformer cette fuite des cerveaux sportifs en levier de développement. Structuration des agents, régulation FIFA et modèles innovants: zoom sur les clés d’une révolution économique.

Comment l’Afrique peut-elle passer de fournisseur de talents à architecte de sa propre richesse footballistique? La 3ᵉ édition de la Conférence africaine des agents de football (AFAC25) à Rabat place sous les projecteurs un enjeu central: la rétention de la «valeur ajoutée footballistique» sur le continent. Entendez par là la capacité des acteurs locaux à capter et redistribuer localement les richesses générées par ses talents footballistiques.

Actuellement, les joueurs africains sont majoritairement «exportés» à bas coût vers des ligues étrangères, où leur valeur s’apprécie considérablement (transferts lucratifs, salaires, sponsors). Cependant, ces bénéfices échappent au continent: les clubs formateurs perçoivent peu de droits de formation, les agents locaux sont marginalisés, et les retombées économiques (médias, merchandising) profitent à l’étranger.

Alors que l’Afrique demeure le principal exportateur de talents vers les ligues européennes, les acteurs locaux, notamment les agents, cherchent à transformer cette réalité économique en levier de développement durable. Les déclarations de Michael Sodeke, président de l’AFAA, et de Fouzi Lekjaa, président de la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF), révèlent une stratégie pour contrer la déperdition systémique de richesse.

Rappelons que chaque année, environ 6.000 mineurs africains quittent le continent pour rejoindre des clubs européens, ce qui illustre l’ampleur du flux de talents. Des jeunes joueurs africains comme Carlos Baleba, l’Ivoirien Oumar Diakité, le Marocain Youssef En-Nesyri ou encore Elohim Kaboré sont des exemples récents de cette nouvelle génération qui s’exporte vers l’Europe.

Le paradoxe africain: exportation brute vs. valeur capturée

Le paradoxe africain réside dans l’écart criant entre l’exportation massive de talents footballistiques et la faible rétention de la valeur économique qu’ils génèrent. Comme le souligne Fouzi Lekjaa, «l’Afrique est caractérisée, qu’on le veuille ou non, par la déperdition de la valeur ajoutée footballistique. L’Afrique profite mal ou peu de la valeur ajoutée créée au niveau footballistique», une réalité où les clubs locaux, fragilisés par des infrastructures précaires et des mécanismes de négociation défaillants, vendent leurs joueurs à des coûts dérisoires.

Ces mêmes joueurs, une fois revendus en Europe, voient leur valeur marchande multiplier, générant des plus-values captées majoritairement par des intermédiaires et clubs étrangers.

Selon les données de la chambre de compensation de la FIFA (FCH), mises en exergue par Morgan Sports Law, cabinet d’avocats spécialisé dans l’arbitrage et les recours liés au sport, environ un cinquième (soit 20%) des rétributions de formation dues aux clubs est effectivement versé. Une estimation globale qui suggère que la majorité des indemnités ne parviennent pas aux clubs formateurs, ce qui est un problème particulièrement marqué en Afrique, où beaucoup de clubs ignorent leur droit à ces indemnités et ne les réclament pas.

Cette situation est confirmée par des témoignages et analyses évoquant que les clubs africains sont souvent lésés dans le système de transfert FIFA, malgré la création de la chambre de compensation. Les clubs formateurs africains reçoivent rarement la part qui leur revient, ce qui est un frein à leur développement et à la reconnaissance de leur rôle dans la formation des joueurs.

Les mécanismes de solidarité de la FIFA, notamment l’indemnité de formation et la contribution de solidarité, sont conçus pour redistribuer une part des indemnités de transfert aux clubs formateurs, mais leur application reste incomplète et insuffisante en Afrique. Par exemple, la FIFA impose que les clubs formateurs reçoivent une prime comprise entre 5 et 10 % du montant du transfert, en fonction de la durée de formation du joueur entre 12 et 23 ans. Cependant, dans la pratique, cette règle n’est pas toujours respectée ou appliquée à son plein potentiel dans les clubs africains. Une asymétrie nourrie par des contrats dépourvus de clauses de réinvestissement ou de pourcentages sur les reventes. Cet écosystème fragmenté, marqué par l’absence de réseaux d’agents locaux aguerris, et une régulation internationale inadaptée aux réalités africaines — comme la formation informelle ou la prolifération d’intermédiaires non agréés —, perpétue un modèle où le continent reste un fournisseur de matières premières sportives, sans maîtriser les retombées économiques.

Les agents africains: acteurs clés de la chaîne de valeur

Pour rééquilibrer la chaîne de valeur du football continental, les agents africains se positionnent comme des acteurs centraux. Michael Sodeke insiste sur leur nécessaire structuration «Il est crucial que les agents africains puissent se structurer, faire entendre leur voix et agir ensemble», une professionnalisation visant à renforcer leur pouvoir de négociation via des pratiques contractuelles standardisées (clauses de solidarité, commissions équitables) et à encadrer les jeunes talents pour éviter leur exploitation précoce. En maximisant leur valeur à long terme, ils pourraient stimuler les transferts intra-africains, aujourd’hui marginaux (moins de 5% des transactions, en dépit d’une augmentation de 27% en 2024 par rapport à l’année précédente), grâce à des réseaux certifiés.

Au-delà de l’économie, leur rôle est déterminant : en accompagnant les joueurs dès l’émergence du talent, ils influencent leur éducation, leur stabilité financière et leur réinsertion post-carrière. Ainsi, une structuration accrue réduirait les dérives telles que le trafic de mineurs ou les contrats abusifs, tout en améliorant l’inclusion sociale des sportifs, transformant ainsi les agents en piliers d’un écosystème footballistique à la fois rentable et éthique.

La régulation FIFA: une opportunité à saisir

La nouvelle réglementation FIFA sur les agents, pleinement entré en vigueur le 1er octobre 2023, plafonne les commissions à 3% pour les joueurs et 10% pour les clubs, cristallise un double enjeu pour l’Afrique. Si elle offre un cadre protecteur en renforçant la transparence et en limitant les intermédiaires clandestins, elle risque aussi de marginaliser les agents locaux, déjà fragilisés par un manque de ressources financières. Les plafonds de commissions, conçus pour réguler un marché globalisé, pourraient en effet avantager les agences européennes, mieux capitalisées, au détriment des structures africaines. Face à ce qui précède, Fouzi Lekjaa appelle à se doter de «l’intelligence pour conjuguer cet accompagnement du talent avec une logique inclusive». Une approche qui vise à transformer une régulation perçue comme contraignante en levier d’empowerment, à condition que les instances continentales (CAF, gouvernements) s’engagent à compenser les déséquilibres structurels.

Le Maroc s’impose ainsi comme un laboratoire stratégique pour repenser l’économie du football africain. En accueillant l’AFAC25, Rabat incarne une vision proactive, combinant innovation éducative et rigueur juridique. La convention entre la FRMF et l’Université Internationale de Rabat (UIR) symbolise cette ambition : en formant une élite de managers locaux, elle répond au déficit criant de compétences administratives sur le continent.

Parallèlement, le cadre législatif marocain, notamment la loi 30-09 sur le sport professionnel, et son système d’arbitrage reconnu, offrent une plateforme juridique sécurisante pour les investisseurs et les agents. Michael Sodeke salue cette dynamique, qualifiant le Maroc de « hub stratégique de développement pour le ballon rond africain ». Un modèle qui, s’il inspire d’autres nations, nécessite toutefois de dépasser les rivalités sous-régionales et de mutualiser les ressources, afin que cette centralité ne soit pas perçue comme une hégémonie, mais comme un catalyseur de coopération panafricaine.

Vers une économie circulaire du football africain ?

La transition vers une économie circulaire du football africain s’impose comme l’ultime remède à l’hémorragie financière du continent. Fouzi Lekjaa en résume l’impératif «la répartition équitable de cette valeur ajoutée et le retour d’une grande partie vers l’Afrique», une vision où les capitaux issus des transferts internationaux seraient réinvestis dans les ligues locales, les centres de formation et les agents.

Ainsi, le triptyque- solidarité financière, valorisation brandée et compétitivité économique- pourrait enclencher un cercle vertueux: des ligues dynamiques générant des revenus locaux, qui alimentent à leur tour la formation de nouveaux talents, réduisant ainsi la dépendance à l’exportation brute. L’enjeu dépasse le sport: il s’agit de transposer à l’échelle continentale les modèles de rétention de valeur qui ont fait le succès des économies émergentes dans d’autres industries.

Disons que la bataille pour la valeur ajoutée footballistique en Afrique ne se gagnera ni par le repli ni par la simple dénonciation des inégalités. Elle exige une professionnalisation systémique, où les agents, armés de formations certifiantes et de réseaux unifiés, deviendront les architectes d’un marché intérieur dynamique. Leur succès dépendra de leur capacité à convertir l’expertise internationale (FIFA, CAF) en solutions contextuelles, sans reproduire les modèles eurocentrés. La question est de savoir si l’ensemble des parties prenantes jouera le jeu et acceptera de construire ensemble l’avenir– un avenir où l’Afrique cesserait d’être la mine d’or du football pour en devenir le bijoutier.

Les huit agents de joueurs de football africains parmi les plus connus et influents:

Nom de l’agentNationalité/OrigineParticularités et clients connus
Meïssa N’DiayeFrançais (origine sénégalaise)Benjamin Mendy (international français d’origine sénégalaise), Michy Batshuayi, Wissam Ben Yedder (international français d’origine tunisienne), Geoffrey Kondogbia (international congolais), Nordi Mukiele (international français d’origine congolaise), Seko Fofana (international ivoirien), Amine Harit (international marocain), Arthur Masuaku (international congolais), Christopher Wooh (international camerounais);
John Olatunji ShittuNigérianGeorge Weah (international libérien), Nwankwo Kanu (international nigérian), John Obi Mikel (international nigérian), Chinedu Obasi Ogbuke (international nigérian), Isaac Promise (talent nigérian), Onyekachi Apam (défenseur nigérian), Ambrose Efe (international nigérian);
Alex EbegbuneNigérianIsaac Okoronkwo (joueur nigérian), Chidi Odiah (joueur nigérian), Chiedu Chukwueke (joueur nigérian), Edward Ananike (joueur nigérian), Razak Omotoyossi (joueur nigérian);
Dosu JosephNigérianBrown Ideye (joueur nigérian), Oduamadi (joueur nigérian), Ruben Gabriel (joueur nigérian), Mohammed Gabo (joueur nigérian);
Paul OkoyeNigérianNwankwo Kanu (joueur nigérian), Austin Okocha (joueur nigérian), Chidi Nwanu (joueur nigérian), Christopher Kanu (joueur nigérian), Stanley Opara (joueur nigérian);
Churchill OlisehNigérianYakubu Aiyegbeni (international nigérian), Haruna Luman (joueur nigérian), Dosu Joseph (ancien gardien international nigérian), Ikpe Ekon (joueur nigérian);
Jean-Willy NgomaBelgo-CongolaisJackson Muleka (international congolais - RDC), Massanga Matondo (international congolais - Brazzaville), Stanis Idumbo Muzambo (joueur belgo-congolais);
Karim BalkMarocainAchraf Bencharki (international marocain), Mohsine Moutaouali (footballeur marocain), Hicham Mahdoufi (footballeur marocain); Soufiane Rahimi (international marocain)

Source : L’Equipe, Onze Sport, presse sportive.

Par Modeste Kouamé
Le 29/04/2025 à 09h40