L’Afrique en 2025: ces scrutins présidentiels à haut risque

À l’image de 2024, l’année 2025 s’annonce électorale pour plusieurs pays africains.

Le 10/02/2025 à 13h45

Alors que l’Afrique entre dans une phase critique de recomposition politique, découvrez les enjeux d’un certain nombre de scrutins très attendus en 2025, et les risques associés.

«Les surprises électorales de 2024 ne sont peut-être que le prélude d’un changement plus profond». C’est en ces termes que l’on pourrait résumer ce que dit Oxford Economics Africa dans son récent rapport «Africa Watchlist 2025″, qui analyse les perspectives économiques et politiques, les tendances clés et risques potentiels en Afrique pour l’année 2025.

Ainsi, l’année 2024 a marqué un tournant électoral en Afrique avec pas moins de cinq élections remportées par l’opposition, la dernière en date étant celle du Ghana. Les faits marquants ont été la victoire de l’opposition au Botswana et au Sénégal et la perte de la majorité par l’ANC en Afrique du Sud.

Dans ce contexte, 2025 s’annonce comme un test encore plus complexe pour la stabilité politique et économique du continent. Trois pays – la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Malawi – cristallisent les inquiétudes en raison de dynamiques internes fragiles, d’héritages autoritaires tenaces et de défis constitutionnels inédits. Une analyse approfondie des enjeux révèle des risques systémiques, mais aussi des opportunités de recomposition démocratique.

Côte d’Ivoire: l’énigme Ouattara et la montée de Thiam

La fin du troisième mandat d’Alassane Ouattara en octobre 2025 plonge le pays dans l’incertitude. La révision constitutionnelle de 2018, invoquée pour justifier sa candidature en 2020, avait déjà déclenché une crise politique, avec l’emprisonnement d’opposants comme Pascal Affi N’Guessan. Entre temps, la mort d’Henri Konan Bédié (août 2023) et le retour de Laurent Gbagbo (acquitté par la CPI en 2021) ont redistribué les cartes.

L’analyse des risques d’Oxford Economics Africa souligne le fait que le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) de Ouattara ne dispose pas de successeur évident. Tidjane Thiam, ex-PDG de Credit Suisse et nouveau leader du PDCI, incarne une alternative crédible: «Une victoire de l’ancien banquier serait une bonne nouvelle pour le pays», souligne le rapport. Mais si Ouattara brigue un quatrième mandat, les tensions pourraient dégénérer, notamment via la mobilisation des réseaux d’ex-rebelles du Nord par Guillaume Soro, en exil.

Sur le volet des implications économiques, l’analyse d’Oxford Economics Africa souligne qu’une crise successorale prolongée menacerait les investissements dans ce pays clé de l’UEMOA. L’instabilité politique risquerait de fragiliser les marchés obligataires et les partenariats internationaux, notamment dans le cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial.

Cameroun: l’après-Biya, un vide propice au chaos

Selon Oxford Economics Africa, Paul Biya, 91 ans, absent de la scène publique depuis septembre 2023, symbolise un régime en déliquescence. La Constitution prévoit une élection présidentielle dans les 40 jours suivant son décès, mais le RDPC, parti au pouvoir, serait «massivement impopulaire», selon le rapport, qui souligne qu’une transition non maîtrisée pourrait ouvrir la voie à une contestation inédite. «Le RDPC sera probablement incapable de contrôler le processus post-Biya».

Du côté de l’opposition, Cabral Libii (qui a obtenu 6,3 % des voix aux élections de 2018) et Maurice Kamto (qui a obtenu 14,2 %) se positionnent déjà. «Maurice Kamto sera considéré comme le favori», estime l’analyse, surtout si le RDPC tente de maintenir Biya comme candidat symbolique. Les législatives de février 2025, si elles ont lieu, serviront de baromètre.

Sur le volet des risques sécuritaires et économiques, Oxford Economics Africa dit qu’un effondrement du régime pourrait exacerber les crises dans les régions anglophones et face à Boko Haram. Sur le plan économique, le Cameroun, pivot de la CEMAC, verrait ses projets structurants (gaz, infrastructures) retardés, affectant la confiance des investisseurs dans toute la sous-région.

Malawi: la bataille des octogénaires

Au Malawi, les prochaines élections sont prévues pour 2025, avec des enjeux économiques et politiques importants. Le président actuel, Lazarus Chakwera, brigue un second mandat face à plusieurs candidats dont Peter Mutharika et Joyce Banda. Les dernières élections présidentielles notables au Malawi ont eu lieu en 2020. Elles ont été organisées après l’annulation de l’élection de 2019 par la Cour constitutionnelle du pays en raison d’irrégularités. Lazarus Chakwera a remporté ces élections avec 59,34% des voix contre Peter Mutharika.

Selon Oxford Economics, un autre affrontement en 2025 entre Lazarus Chakwera (69 ans) et Peter Mutharika (84 ans) reflète l’incapacité des partis traditionnels à dépasser 40 % des voix depuis 2009. Ce qui dénote d’un système politique très fragmenté. La mort de Saulos Chilima, troisième homme charismatique, prive l’élection d’un recours au second tour et renforce la probabilité d’une coalition instable.

«Choisir le bon colistier sera crucial pour les deux favoris», note le rapport. Le Malawi Congress Party (MCP) de Chakwera et le Democratic Progressive Party (DPP) de Mutharika doivent séduire les petits partis, dans un contexte où l’Afrobarometer place le DPP en tête, mais sans majorité.

Sur le volet des enjeux socio-économiques, Oxford Economics souligne qu’une coalition faible compromettrait la lutte contre la pauvreté (70 % de la population) et la dette publique (60 % du PIB). Les donateurs internationaux, notamment le FMI, pourraient suspendre leur appui en cas de paralysie politique, aggravant une crise alimentaire chronique.

Tanzanie et Gabon, ces deux autres pays à surveiller

En Tanzanie, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), au pouvoir depuis 1977, «fera tout pour éviter de devenir le dernier mouvement de libération à perdre le pouvoir». La répression des opposants et le contrôle des médias resteront des outils clés, malgré une opposition grandissante dans les zones urbaines.

Selon Oxford Economics, le Gabon semble être sur la bonne voie pour un retour à un régime civil. Une nouvelle constitution a été approuvée par référendum en novembre et le président intérimaire Brice Oligui Nguema, qui a mené le coup d’État contre Ali Bongo, semble prêt à remporter la présidentielle prévue pour août 2025, selon le calendrier de la transition militaire. Toutefois, la légitimité du processus reste tributaire de l’équilibre entre militaires et société civile.

En définitive, les élections de 2025 révèlent une Afrique en pleine reconfiguration, où les anciens régimes peinent à contenir les aspirations d’une jeunesse exigeante et connectée. Si la Côte d’Ivoire et le Cameroun incarnent les risques de déstabilisation majeure, le Malawi et le Gabon illustrent les paradoxes d’une démocratie fragmentée mais résiliente. Pour les investisseurs, ces scrutins représenteront un test de résilience.

Par Modeste Kouamé
Le 10/02/2025 à 13h45