La Guinée cultive le paradoxe. Elle abrite plus du quart des réserves mondiales de bauxite, estimées à 7,4 milliards de tonnes. Ce minerai utilisé pour la production de l’aluminium. Mieux, avec 87 millions de tonnes par an, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest en est le deuxième producteur mondial, derrière l’Australie et est le premier fournisseur de la Chine, le plus important producteur d’aluminium au monde. Pékin importe de Guinée environ la moitié de ses besoins en bauxite.
Malgré ses importantes réserves minières, Conakry peine à s’extirper de la précarité. Ses populations, dont certains vivent avec moins d’un dollar par jour, ne bénéficient pas des richesses de leur sous-sol. Une malédiction qui perdure depuis des décennies, que l’actuel président, le colonel Mamadi Doumbouya, souhaite briser. Fini l’exportation des minerais bruts. Place à la transformation de la bauxite!
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Depuis son accession au pouvoir le 5 septembre 2021, il a érigé la transformation de cette roche sédimentaire blanche, rouge ou grise, au rang de priorité. Première décision phare: exiger des compagnies minières étrangères la construction de raffineries modernes de bauxite pour favoriser un partage équitable des revenus, afin de stimuler l’économie du pays. «En dépit du boom minier du secteur de la bauxitique, force est de constater que les revenus escomptés sont en deçà des attentes, nous ne pouvons plus continuer à ce jeu de dupes qui perpétue une grande inégalité dans nos relations», avait-il déclaré aux directeurs des entreprise minières, lors d’une rencontre organisée le 8 avril 2022.
Revenus annuels de 500 millions de dollars
En Guinée, la Société minière de Boké (SMB-Winning), un consortium franco-sino-singapourien qui représentait plus de 58 % de la production en 2018, la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), gestionnaire du gisement de Sangarédi, détenu à 49 % par l’État et à 51% par un consortium regroupant Rio Tinto Alcan, Alcoa et Dadco (25 % de la production), et la Compagnie des bauxites de Kindia (CBK), filiale de Rusal (6 % de la production), sont les grands acteurs du secteur.
Paradoxalement, l’une d’entre elles, la CBG, s’était engagée à construire des raffineries, en vertu d’une convention signée depuis 1953 avec l’Etat guinéen. Idem pour la société minière chinoise TBEA Group, qui était censée construire depuis 2018 une fonderie d’aluminium d’une capacité de 200.000 tonnes par an. Des conventions qui, visiblement, ont été rangées dans les tiroirs. «Certaines de ces compagnies n’ont même pas produit d’étude de faisabilité», révélait le chef d’Etat guinéen, avant de marteler que, désormais, leur application est «non négociable». Pour lui, la transformation locale de la bauxite «devient incontournable, c’est un impératif et sans délais».
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Joignant l’acte à la parole, il leur fixe un deadline pour déposer leurs propositions de projets auprès du ministre des Mines et de la géologie, au plus tard le 31 mai 2022. Des dossiers qui devaient présenter un chronogramme précis de construction de raffineries d’alumine. Un délai qui n’a pas été respecté par ces entreprises.
Début mars, le locataire du palais Sékhoutouréya, les relance et leur accorde un délai supplémentaire de deux semaines pour qu’elles soumettent leurs plans de transformation ainsi que les études de faisabilité relatives à ces projets. D’après l’agence Bloomberg, qui cite un mail transmis le 4 mars par les autorités guinéennes, le ministre des Mines a prévu des rencontres avec les mineurs de bauxite pour discuter des plans communs ou individuels concernant la construction de raffineries d’alumine au niveau local.
L’exportation annuelle de millions de tonnes de bauxite représente une importante manne financière pour la Guinée. Elle rapporte environ 500 millions de dollars à l’État guinéen, selon l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Un montant qui pourrait être multiplié par cinq, si le pays parvient à installer des raffineries de ce minerai, d’après plusieurs experts, surtout si l’on sait que le marché mondial de l’aluminium est en plein essor.
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Toutefois, cette volonté de transformation locale se heurte à plusieurs obstacles, notamment la faible production électrique du pays. Dans un rapport publié en 2020, la Banque mondiale révélait que moins de la moitié de la population avait accès à l’électricité. Autrement dit, si l’Etat guinéen n’investit pas dans la création de centrales pour résorber ce déficit, le risque est grand de voir la multiplication des délestages, du fait des importantes volumes d’énergie nécessaires pour le fonctionnement des raffineries.
Burkina et Côte d’Ivoire, mêmes ambitions
Au Burkina, l’heure est aussi à la transformation de l’or. Une ressource minière qui représente plus de 16 % du PIB et 80 % des exportations, grâce à une production estimée à près de 70 tonnes par an. L’or, issu de 17 mines industrielles, est devenu le premier produit d’exportation du pays, devant le coton, l’ «or blanc». Ses recettes d’exportation étaient passées de 1.294 milliards de francs CFA en 2018 à 1.420 milliards (près de 2,2 milliards d’euros) en 2019, selon l’ancien ministère des Mines et des carrières, Oumarou Idani.
Lors d’une interview diffusée fin janvier 2023 à la télévision nationale (RTB), le président Ibrahim Traoré a annoncé la construction d’une raffinerie pour assurer la transformation de la production nationale d’or, augmenter la contribution de ce secteur dans l’économie locale, et créer plus d’emplois.
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En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, l’exécutif a annoncé fin janvier 2023 la construction de trois nouvelles unités de transformation de fèves brutes, en partenariat avec les Emirats Arabes Unis et la Chine. D’une capacité de broyage de 120000 tonnes de fèves par an, elles permettront à Abidjan de dépasser les taux actuels de transformation de 35 à 40% de sa production. L’objectif du pays étant de transformer 100 % de son « or brun » à l’horizon 2030. Et, pourquoi pas, produire ses propres chocolats et autres produits dérivés, au même titre que les multinationales qui ont pignon sur rue aux abords de la Lagune Ebrié.
La Guinée, le Burkina et la Côte d’Ivoire ont donc compris l’impact de la transformation de leurs ressources minières sur leurs économies. Des pays qui, pendant des décennies, ont misé sur l’exportation de minerais bruts pour alimenter leur trésorerie. Puissent-ils inspirer d’autres comme la République Démocratique du Congo, un des plus grands producteurs de cobalt, ou encore le Niger, avec ses immenses réserves d’uranium. Pour, qu’enfin, cette malédiction, tant décriée, se transforme en bénédiction.