Lapsset, Lopito, Abidjan-Lagos: ces corridors tracent la voie de l’intégration économique de l’Afrique

Le 02/11/2024 à 14h01

L’ouverture des frontières en Afrique est incarnée par les nombreux corridors de transport, véritables supports de libéralisation, d’intégration et d’ouverture des économies africaines. Trois grands corridors régionaux, structurants et intégrateurs ne manqueront pas de changer la physionomie des infrastructures logistiques de plusieurs pays. Si certains de ces projets n’en sont qu’à leur début, d’autres en revanche sont bien avancés.

Le déficit en infrastructures portuaires, de transport et de logistiques, notamment la région subsaharienne n’est un secret pour personne et constitue un handicap majeur au développement du continent, à son intégration, à l’accélération des échanges commerciaux intra-africains et au développement des routes d’importation et d’exportation.

Face à cette situation, de nombreux projets supranationaux ont été initiés par certains pays. Ceux-ci se matérialisent aujourd’hui par la mise en place de grands projets de corridors logistiques qui vont changer la physionomie de certaines régions et contribuer à accélérer leur développement. Il s’agit notamment du mégaprojet de Lamu Port, South Sudan, Ethiopia Tansport (Lapsset), du corridor ferroviaire Atlantique de Lobito (Corridor de Lobito), du corridor autoroutier Abidjan-Lagos…

Le corridor Lapsset: moteur d’intégration en Afrique de l’Est

Initié en mars 2012, le projet de corridor de transport Port de Lamu-Soudan du Sud-Éthiopie (Lapsset) est un mégaprojet de transport devant relier le Kenya, pays côtier, à ses voisins enclavés: Ethiopie, Sud Soudan et Ouganda. Il est certainement le corridor le plus complet et le plus structurant actuellement en cours de réalisation au niveau du continent africain. Le corridor comprend un port en eau profonde à Lamu, des chemins de fer, des autoroutes, des oléoducs et pipelines, des aéroports…

Le port en eau profonde de Lamu au Kenya, avec un tirant d’eau de 18 m, est le nœud gordien du corridor. Il sera doté de 23 postes d’amarrage une fois terminé et coûtera 3,5 milliards de dollars. L’infrastructure s’étendra sur une superficie de 400 hectares et abritera, à termes, une zone économique spéciale et une raffinerie de pétrole à Bargoni. La première phase du port de Lamu est déjà opérationnelle depuis son inauguration en mai 2021. Ce port fera du Kenya la plaque tournante logistique pour l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique.

L’autre volet du corridor a trait à la construction de lignes de chemins de fer devant relier Lamu-Isiolo-Juba, Lamu-Nairobi-Isiolo et Lamu-Isiolo-Addis-Abeba. Cette ligne à voie unique de plus de 2.500 km à voie standard, comprend trois segments. Le rail devrait représenter 90% du trafic de transport de marchandises entre le port Lamu, le Soudan du Sud et l’Ethiopie. À terme, des services quotidiens de transport de marchandises seront assurés par 74 trains à l’horizon 2030. Des trains de transport de voyageurs sont également prévus. Le coût total de la construction de ce chemin de fer est estimé à 13,80 milliards de dollars.

La voie ferrée du projet Lapsset permettra à terme de rejoindre le corridor d’Afrique de l’Ouest Douala-Lagos-Cotonou-Abidjan en passant par le Bénin, le Togo et le Ghana. Le corridor compte aussi une composante autoroutière avec de nombreux axes: Lamu-Isiolo-Juba (Soudan du Sud) et Isiolo-Addis-Abeba (Ethiopie) et Lamu-Garsen (Kenya).

Ces corridors ferroviaire et autoroutier seront complétés par des composantes aéroportuaires avec la réalisation de trois aéroports internationaux et trois sites de villégiatures. Ceux-ci seront implantés à Lamu, Isiolo et sur les bords du Lac Turkana situés sur les territoires du Kenya et de l’Ethiopie. Ces infrastructures visent à contribuer à dynamiser le secteur du tourisme au niveau de cette région d’Afrique de l’Est.

En outre, ce mégaprojet comprend des oléoducs reliant le Kenya au Soudan du Sud et à l’Ethiopie. L’un va transporter du brut sud-soudanais vers le port de Lamu pour permettre son exportation et/ou son raffinage sur place. L’autre transportera du raffiné à partir de Lamu au profit de l’Ethiopie. Ces oléoducs nécessiteront un investissement de 1,5 milliard de dollars.

Enfin, il est prévu de relier les pays par un câble de fibre optique et d’autres petits projets d’infrastructures sont également prévus dans les pays de la région. Tous ces composants vont contribuer à désenclaver les pays de la région et accroitre leur intégration économique.

Le coût total du projet est estimé à 25 milliards de dollars. Outre l’apport des pays concernés, notamment le Kenya, de nombreux bailleurs de fonds étrangers (banques, institutions financières, agences de développement…) vont contribuer à la réalisation de ce mégaprojet.

Selon les projections, le corridor Lapsset contribuera à la croissance économique du Kenya, principal bénéficiaire du projet, avec des projections allant de 8% à 10% du PIB.

Le Corridor ferroviaire Atlantique de Lobito, la révolution logistique en marche

Le corridor ferroviaire Atlantique de Lobito, communément appelée corridor de Lobito, va révolutionner la logistique au niveau de la région Afrique centrale. Il s’agit d’une ligne de chemin de fer d’une longueur de 1.289 km devant relier port de Lobito sur l’Atlantique à la ville angolaise de Luau, située à la frontière avec la RDC. La ligne ferroviaire s’étendra par la suite sur 450 km supplémentaires en RDC pour relier Luau à Kolwezi en RDC, via le réseau ferroviaire de la Société nationale des chemins de fer du Congo. En tout, cette ligne de chemin de fer devant relier Lobito en Angola à Kolwezi en RDC aura une longueur d’environ 1.700 km. Il est aussi prévu la construction d’une nouvelle ligne devant relier Luau à Chingola, une ville du nord de la province de Copperbelt en Zambie.

Il s’agit d’un projet stratégique pour le transport des métaux (cobalt, cuivre…) indispensables à la fabrication des véhicules électriques et des éoliennes depuis les sites d’extraction situés en RDC et en Zambie, deux pays enclavés, et transportés jusqu’au port de Lobito, en Angola. Au niveau de la RDC, le corridor relie les provinces minières de Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba et haut-Katanga.

La RDC est le premier producteur mondial de cobalt et le premier producteur africain de cuivre, deux minerais utilisés dans la fabrication de panneaux solaires ou de voitures électriques. La demande de ces minerais essentiels pour la transition énergétique devrait quadrupler d’ici 2040, selon l’Agence international de l’énergie. Du coup, de nouvelles routes d’exportation sont indispensables. Jusqu’à présent, les concentrés de cuivre de la RDC sont transportés vers la Zambie en vue d’une exportation ultérieure.

Ainsi, le corridor offre la route la plus courte reliant les principales régions minières de ces deux pays à l’océan. Une fois terminée, l’infrastructure de transport améliorera les possibilités d’exportation des trois pays, stimulera la circulation régionale des biens et des personnes et réduira le temps moyen de transport des minerais. En faisant baisser les coûts logistiques des produits transportés, le corridor de Lobito va améliorer la compétitivité de la région.

Actuellement, les minerais (cuivre, cobalt…) sont exportés via les ports de Dar es Salaam (Tanzanie), Beira (Mozambique), Walvis Bay (Namibie) ou après un long parcours à travers l’Afrique australe jusqu’à Durban en Afrique du Sud. Non seulement ce transport par camions entraine des congestions sur les axes routiers, mais rallonge les délais d’approvisionnement des chaines d’approvisionnement. Ainsi, en 2023, 90% des concentrés de cuivre de Kamoa-Kakula ont été expédiés à l’international à partir des ports de Durban et de Dar es Salam. Chaque aller-retour nécessitant environ 40 à 50 jours.

En attendant que tous les tronçons soient finalisés, la première expédition de cuivre effectuée par Trafigura via le corridor de Kolwezi en RDC vers le port de Lobito en Angola, a duré seulement six jours, justifiant l’efficacité de ce nouvel itinéraire pour les minerais de la province de Copperbelt congolaise.

Toutefois, une fois la ligne ferroviaire entièrement reconstruite, le consortium qui est en charge de sa gestion, menée par le trader de matières premières Trafigura et l’entreprise de construction portugaise Mota-Engil espère ramener la durée du trajet de Kolwezi en RDC à Lobito en Angola à moins de 36 heures.

C’est dire l’important gain en temps qu’offre le corridor. Mieux, avec au moins six trains de transport de minerais par jour d’ici les cinq prochaines années, ce corridor permettra l’approvisionnement du marché mondial en quantité et de manière compétitive.

Les travaux du corridor Lobito sont bien avancés. Le tronçon du chemin de fer entre Lobito et Luau à la frontière zambienne, construit par l’entreprise chinoise China Railway 20 Bureau Group Corporation, est déjà opérationnel depuis 2019.

Une concession de 30 ans est accordée au consortium Lobito Atlantic Railway mené par l’entreprise suisse Trafigura qui devrait investir 455 millions de dollars en Angola, en acquérant plus de 1.500 wagons ou locomotives et en réparant les ponts ou les voies.

Une autre enveloppe de quelque 100 millions de dollars ira à la RDC et le consortium n’exclut pas de prolonger la voie jusqu’en Zambie. A noter que la moitié du financement sera assuré par l’agence américaine US International development Finance Corporation (DFC).

De même, l’Angola a investi dans la modernisation du port de Lobito dont la gestion a été accordée en 2023 à l’entreprise française Africa Global Logistic (AGL). Cette dernière s’est engagée à investir 100 millions d’euros pour améliorer les capacités du port.

Parallèlement, l’Angola investit massivement dans l’agriculture et la distribution dans les provinces traversées par le chemin de fer: Benguela, Huambo, Bie et Moxico.

À noter que ce projet, dont le coût est estimé à environ 2,3 milliards de dollars, est soutenu par les Ètats-Unis et l’Union européenne. C’est le premier corridor économique stratégique lancé dans le cadre Partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux (PGII) du G7.

En mai 2023, les États-Unis et l’Union européenne ont annoncé soutenir le développement du corridor pour permettre de libérer l’énorme potentiel de la région dans le cadre du réseau Blue Dot destiné à être le contrepoids de l’initiative chinoise Belt and Road (Route de la soie). Ce soutien s’explique par la volonté des pays occidentaux de réduire la mainmise chinoise sur les métaux stratégiques de la région. Il a ainsi bénéficié des concours financiers de plusieurs bailleurs de fonds.

La Banque africaine de développement s’est engagée pour 500 millions de dollars, l’Italie a promis 320 millions de dollars, les États-Unis, via DFC, se sont engagés pour un prêt de 550 millions de dollars, la Banque de développement d’Afrique Australe (DBSA) s’est engagée pour 200 millions de dollars…

Selon les autorités angolaises, le renouveau du corridor pourrait augmenter le Produit intérieur brut (PIB) des trois pays -Angola, Zambie et RDC- de 177 milliards de dollars.

Face à cette situation, la Chine qui exploite des mines en RDC et en Zambie mise elle aussi sur la mise en place d’infrastructures de soutien logistique vers les ports tanzaniens. Elle est le principal bailleur de fonds du projet de modernisation des chemins de fer de la Tazara (chemin de fer Tanzanie-Zambie) qu’elle propose comme alternative au corridor de Lobito.

Le corridor autoroutier Abidjan-Lagos: 15,6 milliards de dollars d’investissement

C’est en 2014 à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, que les dirigeants de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Nigeria, du Togo et le ministre des Affaires étrangères du Bénin ont signé le traité relatif à la création du Corridor.

Longue de 1.081 km, cette autoroute de 6 voies (2x3), et même 2 fois 4 voies au Nigeria, est le projet majeur d’intégration sous-régionale, devant relier plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigeria. En détails, les principaux tronçons de cette autoroute sont: Abidjan (Côte d’Ivoire)-Takoradi (Ghana), 295 km; Takoradi (Ghana)-Akanu (Ghana), 466 km et Noepe (Togo)-Cotonou (Bénin)-Lagos (Nigeria), 320 km.

Sur cette autoroute côtière qui passera par les capitales -Abidjan, Accra, Lomé, Cotonou et Lagos- seront installés huit postes frontières. Quelque 40 millions de personnes vivent le long de cette autoroute, qui, selon la Banque africaine de développement (BAD), concentre près de 75% des activités commerciales de la région.

Après des retards dans l’exécution de ce projet annoncé depuis une décennie, le tracé est désormais validé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

L’autoroute devrait être réalisée sur une période allant de quatre à six ans. En attendant, une autorité supranationale du corridor, appelée Autorité de gestion du corridor Abidjan-Lagos (Alcoma) qui sera opérationnelle avant la fin de l’année 2024, prendra en charge le projet au nom des pays concernés.

Le coût du projet est estimé à 15,6 milliards de dollars. En mars 2022, en marge de l’Africa Investment Forum (AIF), la BAD a annoncé qu’avec ses partenaires, elle a mobilisé 15,6 milliards de dollars d’intérêt de financement.

Une fois réalisée, cette autoroute permettra de lever les entraves à la libre circulation des personnes et des marchandises. L’autoroute Abidjan-Lagos va constituer l’axe central du projet autoroutier de la Cedeao, sachant qu’elle s’étendra à terme jusqu’à Dakar, au Sénégal. En plus, cette autoroute Abidjan-Lagos complétera le corridor Enugu-Bamenda, qui relie le sud-est du Nigeria en Afrique de l’Ouest au sud-ouest du Cameroun, en Afrique centrale.

Par Moussa Diop
Le 02/11/2024 à 14h01