A cause de ses nuisances sur la santé de la population mondiale, la culture du tabac connait un frein au niveau mondial sous l’effet des règlementations étatiques de plus en plus contraignante. Selon les données de l’OMS, au niveau mondial, les superficies consacrées à la culture du tabac ont baissé de 15% depuis 2005.
Une régression qui pousse les multinationales du secteur à s’orienter vers le continent africain où les règlementations sont moins contraignantes. «Ces dernières années, la culture du tabac s’est déplacée vers l’Afrique en raison d’un environnement réglementaire plus favorable et d’une demande croissante», a déclaré dans une note adressée à la presse Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, célébrée le 31 mai de chaque année. Conséquence, les terres consacrées à la culture du tabac ont augmenté de près de 20% depuis 2005 en Afrique où elles sont la cause de 5% de la déforestation totale, alors qu’elles se rétrécissent dans le reste du monde.
Quatre pays africains figurent d’ailleurs dans le Top 10 mondial des pays consacrant le plus de surfaces agricoles à la production de tabac en 2022. Il s’agit du Zimbabwe (4e, 112.770 hectares), du Malawi (5e, 100.962 hectares), du Mozambique (6e, 91.469 hectares) et de la Tanzanie (10e, 80.678 hectares). Le Zimbabwe et le Malawi devancent même les Etats-Unis (7e, 95.730 hectares).
Parallèlement, la production de feuilles de tabac, qui a chuté de presque 14% au niveau mondial, a augmenté de 10,6% en Afrique. Au Malawi, le tabac contribue même à hauteur de 5% du Produit intérieur brut (PIB) du pays. En 2018, la production africaine représentait 11,4% (722 187 tonnes) de la production mondiale (6,3 millions de tonnes).
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Ainsi, au cours de ces dernières années, certains pays sont devenus des cibles privilégiées des multinationales du secteur, notamment ceux de l’Afrique australe et de l’Est qui pèsent plus de 92,5% de la production de feuilles de tabac en Afrique. L’Afrique de l’Ouest représente 3,40%, l’Afrique du Nord (2,06%) et l’Afrique centrale (2,00%) sont de petits producteurs.
En 2020, la production de tabac dépassait légèrement les 700.000 tonnes en Afrique. Toutefois, cette production est concentrée sur une poignée de pays. Les deux premiers producteurs africains – Zimbabwe et Mozambique- pèsent autour de 52% de la production continentale, alors que les 10 premiers producteurs ont représenté 92,50% de la production de feuilles de tabac en Afrique.
Si le Zimbabwe est un producteur historique avec 203.488 tonnes en 2020, le Mozambique suscite l’intérêt des multinationales et a vu sa production passer de 9.470 tonnes en 2000 à 158.532 tonnes en 2020, soit une évolution de 1574%. La Tanzanie, la Zambie et l’Ouganda ont enregistré des hausses respectives de 250%, 174% et 39%.
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Toutefois, les productions de certains pays ont reculé. C’est le cas de l’Algérie (-60,71%), l’Afrique du Sud (-55,90%), le Kenya (-41,28%), la Côte d’Ivoire (-20,87%).
Ainsi, si on ne considère que les 10 premiers producteurs de feuilles de tabac en Afrique, la production est passée de 422.200 tonnes en 2000 à 648.000 tonnes en 2020, soit une hausse de 53,60%. Une évolution qui s’explique uniquement par les hausses des superficies dédiées au tabac.
Evolution de la production de feuilles de tabac des 10 plus grands producteurs africains (en tonnes)
Rang | Pays | Production en 2000 (t) | Production en 2010 (t) | Production en 2020 (t) |
---|---|---|---|---|
1er | Zimbawe | 190 242 | 109 737 | 203 488 |
2e | Mozambique | 9 470 | 66 983 | 158 532 |
3e | Malawi | 98 675 | 172 922 | 93 613 |
4e | Tanzanie | 26 384 | 60 900 | 91 248 |
5e | Ouganda | 22 837 | 27 138 | 32 131 |
6e | Zambie | 9 533 | 94 325 | 25 774 |
7e | Afrique du Sud | 29 700 | 12 300 | 13 100 |
8e | Algérie | 7 153 | 7 604 | 11 496 |
9e | Kenya | 17 960 | 14 156 | 10 545 |
10e | Côte d’Ivoire | 10 200 | 9 527 | 8 071 |
Source: Atlas Sociologique Mondial
Seulement, cette orientation des investissements des multinationales vers l’Afrique a de nombreux impacts négatifs. En premier lieu, la culture du tabac nécessite des terres arables de qualité et beaucoup d’eau. Cette culture se fait au détriment des spéculations vivrières, entrainant une baisse de la production agricole destinée à l’alimentation humaine. Or, l’Afrique est la région où l’insécurité alimentaire est la plus sévère. Selon l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) 57,9% des Africains souffrent d’une insécurité alimentaire allant de modérée à grave.
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En outre, la culture du tabac nécessite engrais et insecticides, contrairement à de nombreuses cultures vivrières en Afrique où l’abondance des eaux pluviales suffisent souvent à garantir de bonnes récoltes. Ce faisant, ces cultures détruisent les écosystèmes, nuisent à la fertilité des sols, contaminent les cours d’eau et les eaux souterraine et polluent l’environnement. Conclusion élémentaire: l’insécurité alimentaire sévit dans les pays producteurs de tabac.
Outre le volet alimentaire, la culture du tabac tend à accroitre le nombre de consommateurs du fait de sa disponibilité. Selon les données de l’OMS, le nombre de fumeurs adultes sur le continent est passé, durant la période 2000-2028 de 64 à 73 millions, à cause de la hausse de la production et du marketing agressif de l’industrie dans certains pays africains. Une situation qui a aussi des conséquences néfastes sur la santé et le bien-être des populations africaines.
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Les cancers liés à la cigarette au niveau du continent constituent aussi un autre fléau qui milite en faveur de l’abandon de cette la culture en Afrique. Malheureusement, on en est encore loin. «Le tabac est responsable de 8 millions de décès par an, et pourtant les gouvernements du monde entier dépensent des millions pour soutenir les plantations de tabac», regrette dans un communiqué Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS.
Face à cette situation, des initiatives ont été lancées dont celles de Fermes sans tabac, soutenue par la FAO et le programme alimentaire mondial (PAM), pour aider les agriculteurs à abandonner la culture du tabac dont la rentabilité n’est pas évidente, cette culture nécessiante des investissements importants en fournitures et en services (semences, engrais, pesticides…), au profit des cultures vivrières.
Ainsi, selon l’OMS, «au cours des deux dernières années, une initiative menée au Kenya a aidé plus de 2.000 cultivateurs à se tourner vers d’autres cultures. Cela a permis d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, d’augmenter les revenus des agriculteurs, de rendre les activités agricoles plus saines et de réhabiliter l’environnement». Au Kenya et en Zambie, ce sont 5.000 agriculteurs qui sont soutenus dans le cadre de cette initiative. D’autres pays sont aussi ciblés dont l’Ouganda.
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«L’abandon du tabac au profit de cultures vivrières pourrait permettre de nourrir des millions de familles et d’améliorer les moyens de subsistance. «En choisissant de cultiver des aliments plutôt que du tabac, nous donnons la priorité à la santé, nous préservons les écosystèmes et nous renforçons la sécurité alimentaire pour tous», a expliqué Dr Tedros.