En cette période de fin d’année où plusieurs pays adoptent leur loi de finances pour l’année 2026, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) offre un panorama précieux de la pression fiscale sur le continent avec son rapport dénommé «Statistiques des recettes publiques en Afrique 2025» et ses résumés par pays.
Dans son édition 2025, l’OCDE dresse un état des lieux précieux de la capacité des États à mobiliser des ressources internes. C’est dans ce contexte que nous examinons le Top 10 africain des recettes fiscales en pourcentage du PIB, en décortiquant non seulement les niveaux de prélèvement, mais aussi les structures fiscales sous-jacentes et leurs implications.
Aux Seychelles, la TVA (34%) et les taxes touristiques financent 60% des recettes.. DR
Le ratio impôts/PIB, indicateur clé de l’effort fiscal et de la capacité administrative, révèle des écarts substantiels sur le continent. Ce ratio est un indicateur clé de la capacité d’un État à mobiliser des ressources internes pour financer ses politiques publiques (santé, éducation, infrastructures). Un ratio plus élevé suggère une plus grande capacité à générer des revenus autonomes, réduisant la dépendance à l’endettement ou à l’aide extérieure.
Il reflète l’ampleur de l’effort fiscal collectif et la formalisation de l’économie. Cependant, sa pertinence doit être nuancée: il ne dit rien sur l’efficacité de la dépense publique, l’équité du système fiscal (qui paie ?), ni la qualité de l’administration fiscale. Un ratio élevé peut coexister avec une forte évasion fiscale ou une croissance étouffée, tandis qu’un ratio faible peut masquer une économie informelle massive ou des choix politiques délibérés.
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L’analyse des rapport pays révèle un paysage très hétérogène, où quelques nations tirent leur épingle du jeu avec des ratios impôts/PIB bien supérieurs à la moyenne africaine, établie à seulement 16,1% en 2023. Ce Top 10, dominé par la Tunisie, illustre des stratégies fiscales distinctes et soulève des questions sur la capacité de mobilisation des ressources internes pour le développement.
Comme indiqué plus haut, la Tunisie conserve sa place de leader incontesté avec un ratio de 34,0% en 2023, bien que celui-ci marque un léger recul de 0,8 point par rapport au pic historique de 34,8% atteint en 2022. Une performance, supérieure de 17,9 points à la moyenne africaine, qui est le fruit d’une augmentation significative de 5,7 points depuis 2013. La principale source des recettes fiscales en Tunisie provient des cotisations de sécurité sociale à hauteur de 27%.
La deuxième plus importante source provient des impôts sur le revenu des personnes physiques à hauteur de 23%. Une structure, où les cotisations sociales pèsent près de 4 fois la moyenne africaine (7%), et où l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) est également plus élevé. Ce qui rapproche davantage des modèles de l’OCDE, bien que sa TVA (20%) soit moins prépondérante que sur le continent (27%).
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Arrivées en deuxième position, les Iles Seychelles affichent un ratio de 29,1% du PIB, en nette progression (+1,3 point en 2023) après un plus bas en 2022. Leur modèle fiscal tranche radicalement. La principale source des recettes fiscales aux Seychelles provient des taxes sur la valeur ajoutée (TVA) à hauteur de 34%.
La deuxième plus importante source est les impôts sur les biens et les services autres que la TVA (26%). Une forte dépendance aux taxes sur la consommation (TVA + autres taxes sur biens/services = 60% des recettes), combinée à un IRPP (13%) et des cotisations sociales (9%) relativement modestes, qui reflète une économie fortement tournée vers le tourisme et les services.
Le Maroc complète le podium avec un ratio de 28,5% du PIB, malgré une baisse de 1,4 point en 2023. Le royaume affiche néanmoins une solide progression de 2,6 points depuis 2013. Comme l’indique le rapport, «la principale source des recettes fiscales au Maroc est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à hauteur de 26%.
La deuxième plus importante source sont les cotisations de sécurité sociale (23%). Une structure qui présente un certain équilibre, avec un poids de la TVA proche de la moyenne africaine, des cotisations sociales significatives et des impôts sur les sociétés (17%) un peu moins prépondérants que la moyenne continentale (21%).
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Le dynamisme fiscal marocain est confirmé par les données nationales complémentaires où les recettes fiscales sont passées de 275,008 milliards de dirhams (MMDH) en 2023 à 313,061 MMDH en 2024, pour un taux de réalisation de 111,6%, et atteignaient déjà 319,102 MMDH fin novembre 2025 (96,8% des prévisions de la Loi de Finances).
Le classement se poursuit avec l’Afrique du Sud en 4ème position (26,5% du PIB). Malgré un léger recul en 2023 (-0,7 point), son ratio reste élevé. Sa structure est unique. La principale source des recettes fiscales est de 34% et provient des impôts sur le revenu des personnes physiques.
La TVA (24%) est la seconde source, tandis que les cotisations sociales sont marginales (1%), un cas isolé dans ce top 10. En 5ème position se trouve Maurice (23,1% du PIB), en progression (+0,8 point) et à son plus haut historique. Son modèle ressemble à celui des Seychelles, reposant massivement sur la TVA (34%) et les autres taxes sur biens et services (23%).
Le Lesotho est 6ème du classement avec un ratio de 22,7%, également à son plus haut (+0,9 point). Sa fiscalité est caractérisée par une très forte TVA (42%) et un IRPP significatif (40%), avec aucune cotisation sociale recensée selon les critères OCDE.
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Avec un ratio de 22,1%, la Namibie est classé 7ème avec une structure qui privilégie fortement l’IRPP (37%) et la TVA (34%).Avec un ratio stable mais en net recul (-4,4 points) depuis 2013, la Mozambique est classé 8ème avec un ratio de 21,3%. Le rapport note une prudence d’interprétation due aux fluctuations des recettes liées aux permis de pêche.
Sa principale source est l’impôt sur les sociétés (32%), suivi de la TVA (30%).Le Sénégal est 9ème avec un ratio de 19,6% du PIB. Une structure dominée par la TVA (33%) et les autres taxes sur biens et services (28%).Et enfin le Burkina Faso, 10ème avec un ratio de 19,5% du PIB, a une structure originale où TVA (29%) et autres taxes sur biens et services (29%) se partagent équitablement la première place.
Classement et structures fiscales des 10 pays africains aux plus hauts ratios recettes/PIB
| Pays | Ratio (en %) | Rang | Source principale (Part) | Source secondaire (Part) | Évolution 2013-2023 (pts) |
|---|---|---|---|---|---|
| Tunisie | 34.0 | 1er | Cotisations sociales (27%) | IRPP (23%) | +5.7 |
| Seychelles | 29.1 | 2ème | TVA (34%) | Autres taxes biens/services (26%) | -0.2 |
| Maroc | 28.5 | 3ème | TVA (26%) | Cotisations sociales (23%) | +2.6 |
| Afrique du Sud | 26.5 | 4ème | IRPP (34%) | TVA (24%) | +1.8 |
| Maurice | 23.1 | 5ème | TVA (34%) | Autres taxes biens/services (23%) | +4.2 |
| Lesotho | 22.7 | 6ème | TVA (42%) | IRPP (40%) | +4.1 |
| Namibie | 22.1 | 7ème | IRPP (37%) | TVA (34%) | +2.1 |
| Mozambique | 21.3 | 8ème | Impôts sociétés (32%) | TVA (30%) | -4.4 |
| Sénégal | 19.6 | 9ème | TVA (33%) | Autres taxes biens/services (28%) | +4.2 |
| Burkina Faso | 19.5 | 10ème | TVA (29%) | Autres taxes biens/services (29%) | +3.6 |
Source: OCDE.
Au-delà du classement
L’examen du Top 10 révèle des tendances structurantes et des contrastes profonds qui dépassent le simple ordre de classement. Premièrement, un écart abyssal se confirme avec la moyenne continentale, chacun des pays cités la surpassant significativement, d’un écart allant de 3,4 à 17,9 points de pourcentage. Un fossé qui souligne les immenses défis de mobilisation des ressources internes pour la majorité des économies africaines, une condition pourtant cruciale pour financer leur développement de manière autonome et soutenable.
Deuxièmement, aucune uniformité ne se dégage dans les structures fiscales, révélant des modèles économiques et des choix politiques distincts. On identifie notamment un modèle s’articulant autour de la sécurité sociale, illustré par la Tunisie et dans une moindre mesure le Maroc, qui repose fortement sur les cotisations sociales.
À l’opposé, un modèle axé sur la consommation prévaut dans des pays comme les Seychelles, Maurice, le Sénégal, le Burkina Faso et le Lesotho, caractérisé par une dominance écrasante de la TVA et des autres taxes sur les biens et services, souvent associé à des économies de services ou à la recherche d’une assiette large et administrativement plus aisée à collecter.
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Par ailleurs, des modèles plus rares dans ce haut du classement émergent, tels que celui centré sur le revenu des personnes physiques, comme en Afrique du Sud et en Namibie où l’IRPP constitue la principale ressource, ou celui reposant sur les bénéfices des sociétés, observable au Mozambique et souvent lié à la présence d’industries extractives ou de grands projets d’investissement.
Troisièmement, sur la dernière décennie, une tendance générale à la hausse des ratios se dessine, bien que les performances restent inégales. Alors que la moyenne africaine progressait de 1,4 point entre 2013 et 2023, la plupart des pays du top 10 ont enregistré des hausses plus marquées, à l’image de la Tunisie (+5,7 points), de Maurice et du Sénégal (+4,2 points chacun), ou encore du Burkina Faso (+3,6 points).
Cette dynamique démontre une capacité avérée à consolider la mobilisation des recettes sur le moyen terme. Le Maroc, avec une augmentation de 2,6 points sur cette période, s’inscrit dans cette tendance positive, malgré un repli ponctuel en 2023. Seuls les Seychelles et surtout le Mozambique font exception, avec des ratios en baisse, ce dernier ayant connu un recul significatif de 4,4 points, soulignant la volatilité possible des revenus liés à des secteurs spécifiques.
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Enfin, la TVA s’impose comme un pilier majeur, mais non universel, du financement public. Elle constitue la première source de recettes dans six des dix pays et la seconde dans deux autres, avec un poids moyen dans ces économies légèrement supérieur à celui observé dans la zone OCDE.
Cependant, les cas de la Tunisie et de l’Afrique du Sud démontrent qu’un ratio impôts/PIB élevé peut être atteint avec une moindre dépendance à cet impôt sur la consommation, grâce à une compensation par d’autres assiettes, telles que les cotisations sociales ou l’impôt sur le revenu des personnes physiques, indiquant ainsi des voies alternatives pour la construction d’un système fiscal mixte et potentiellement plus progressif.
Ainsi, le Top 10 des recettes fiscales en % du PIB dessine la carte des États africains les plus performants dans la mobilisation de leurs ressources internes. La Tunisie, grâce à son système incluant massivement les cotisations sociales, reste la référence.
Les Seychelles et Maurice illustrent la viabilité d’un modèle basé sur la taxation de la consommation dans des économies insulaires de services. Le Maroc, 3ème, se distingue par un modèle plus équilibré et une croissance soutenue de ses recettes en valeur absolue, comme en attestent les derniers chiffres de la Trésorerie Générale du Royaume.
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Ces performances restent néanmoins confrontées à des défis majeurs: l’étroitesse des assiettes fiscales, la lutte contre l’évasion et la fraude, la dépendance aux secteurs primaires et aux ressources extractives pour certains, et la nécessité d’une dépense publique efficace et légitime.
Comme le souligne implicitement la grande diversité des structures fiscales, il n’existe pas de modèle unique de réussite fiscale en Afrique. L’efficacité dépend de la capacité à adapter le système à la structure économique, aux institutions et au contrat social de chaque pays.
L’enjeu, pour ces champions africains de la fiscalité comme pour les autres, demeure la transformation de ces recettes en développement économique tangible et en amélioration du bien-être des populations. Le chemin vers une autonomie financière robuste est encore long, mais ce top 10 montre que des économies africaines parviennent à relever significativement le défi de la mobilisation fiscale.












