La Fédération des Sociétés d’Assurances de droit national Africaines (FANAF) a récemment publié ses chiffres pour l’année 2023, révélant une répartition significative des primes d’assurance vie et non-vie parmi les pays membres.
Les principaux constats qui sautent aux yeux sont la dualité du marché marqué par une minorité de pays (Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal) qui tirent la croissance, tandis que les autres peinent à décoller. Deuxième constat: des disparités régionales marquées. En effet, la répartition est très inégale, avec 4 pays (Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal, RD Congo) représentant près de 65 % du marché. Le troisième constat est relatif à la croissance sectorielle caractérisée par un marché de l’assurance en expansion, avec un total de 2.041,2 milliards de FCFA (3,43 milliards) collectés en 2023, dont 66,5 % en non-vie et 33,5 % en vie. Le quatrième constat est relatif au potentiel inexploité: certains marchés (RD Congo, Tchad, Centrafrique) ont des segments sous-développés (notamment l’assurance vie), suggérant des opportunités de croissance.
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Cela dit, la Côte d’Ivoire concentre 29,15 % des primes collectées en 2023 dans les 10 pays membres de la Fédération. Le pays surclasse ainsi ses pairs africains, dont le Cameroun et le Sénégal, pourtant solidement positionnés en deuxième et troisième places.
Comment expliquer cet écart malgré des primes quasi-identiques entre ces deux «challengers»? Quels facteurs structurels permettent à la Côte d’Ivoire de conserver son hégémonie, tandis que les autres pays peinent à rivaliser?
Cameroun et Sénégal: des marchés fragmentés
Avec respectivement 270,6 et 268,6 milliards de FCFA de primes collectées en 2023, le Cameroun et le Sénégal incarnent des marchés dynamiques mais structurellement contraints. Leur part de marché individuelle, autour de 13 % dans la zone FANAF, reflète une croissance solide, mais insuffisante pour concurrencer la Côte d’Ivoire.
L’un des freins majeurs réside dans la fragmentation de leurs écosystèmes assurantiels. Contrairement au marché ivoirien, dominé par une dizaine de grands acteurs aux offres diversifiées et synergiques, les secteurs camerounais et sénégalais sont éclatés entre de multiples petites entreprises. Une dispersion qui entrave les économies d’échelle, limite les investissements dans l’innovation et réduit la capacité à proposer des produits compétitifs à grande échelle.
Par ailleurs, leur cadre réglementaire, bien que formellement robuste, pâtit d’une application disparate et d’une bureaucratie ralentissant les processus d’agrément ou de lancement de nouveaux produits. Enfin, la dépendance excessive à l’assurance non-vie (75 % des primes au Sénégal) expose ces pays aux aléas économiques, contrairement à la Côte d’Ivoire, qui équilibre ses revenus entre vie (42 %) et non-vie (58 %), renforçant ainsi sa résilience sectorielle.
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La zone FANAF révèle des réalités contrastées au-delà du trio de tête. D’un côté, la RD Congo émerge comme un géant sous-exploité: ses 189,9 milliards de FCFA de primes collectées en 2023 masquent un déséquilibre criant, avec 94 % de revenus issus du non-vie, contre seulement 6 % pour l’assurance vie. L’absence de culture assurantielle et la méfiance historique envers les institutions financières étouffent le potentiel vie de ce marché pourtant peuplé de 100 millions d’habitants.
À l’inverse, le Burkina Faso (153,7 milliards de FCFA de primes collectées) et le Gabon (131,1 milliards) illustrent des stratégies de niche à double tranchant. Le premier mise sur l’assurance agricole, vitale pour son économie agraire, tandis que le second capitalise sur son secteur pétrolier. Cependant, cette spécialisation les rend vulnérables aux chocs climatiques ou aux fluctuations des cours mondiaux, limitant leur résilience.
Enfin, le Tchad (20,6 milliards) et la Centrafrique (6 milliards de primes collectées) incarnent les défis extrêmes de l’informel et de l’instabilité politique. Dans ces pays, plus de 80% de l’activité économique échappe au cadre formel, décourageant le développement de produits assurantiels structurants. Des réalités qui rappellent que la maturité d’un marché dépend autant de facteurs socio-économiques que de politiques sectorielles.
Les forces de la Côte d’Ivoire
La domination de la Côte d’Ivoire, qui capte 29,15 % des primes de la zone FANAF, repose sur un écosystème assurantiel intégré. Premièrement, le pays s’appuie sur une régulation proactive incarnée par la Commission Régionale de Contrôle des Assurances (CRCA), garante d’une supervision rigoureuse et transparente. Cette institution, perçue comme un modèle en Afrique francophone, cultive la confiance des consommateurs et des investisseurs grâce à un cadre prévisible et sécurisé.
Deuxièmement, l’innovation et la digitalisation ont propulsé le marché local : pionnier de la microassurance et des plateformes d’e-assurance, le pays a su séduire une clientèle jeune et informelle, avec 20 % des primes vie générées via des canaux digitaux en 2023, contre moins de 5 % au Cameroun. Des investisseurs comme AXIAN ont investi dans des start-ups locales comme WiASSUR, qui propose des solutions d’assurance numériques innovantes. Ce qui montre une tendance croissante vers la digitalisation pour améliorer l’accès aux produits d’assurance et réduire les coûts.
Enfin, Abidjan concentre les sièges de géants régionaux comme NSIA et Sunu Assurances, dont les réseaux panafricains et les synergies avec le secteur bancaire et les fintechs élargissent continuellement leur base client. Malgré un taux de pénétration relativement bas, le marché de l’assurance en Côte d’Ivoire connaît une croissance significative, ce qui attire des sociétés internationales comme Swiss Re, Sanlam et Allianz.
Une densité d’acteurs, couplée à une stratégie d’inclusion assurantielle (produits low-cost, partenariats public-privé), qui consolide un leadership autant quantitatif que qualitatif, faisant de ce pays un pôle incontournable pour l’innovation et les investissements en Afrique de l’Ouest.
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Disons que le leadership ivoirien dans la zone FANAF ne relève pas du hasard, mais d’une combinaison de choix stratégiques ciblés. Premièrement, le pays a fait de l’inclusion assurantielle un pilier de développement, via des produits low-cost adaptés aux revenus modestes et des partenariats public-privé étendus jusqu’aux zones rurales. Une approche qui a permis de toucher des segments négligés ailleurs, comme les travailleurs informels ou les petits agricoles.
Deuxièmement, l’expertise locale facilite la conception de produits sur mesure et renforce la confiance des clients. En parallèle, la stabilité macroéconomique du pays – croissance du PIB à 6 % en 2023, inflation contenue sous les 3 % – crée un environnement propice à la solvabilité des ménages et des entreprises, stimulant la demande. Ces trois leviers combinés (inclusion, expertise et stabilité) offrent un modèle reproductible, à condition que les « challengers » acceptent de réformer en profondeur leurs écosystèmes financiers et réglementaires.
Ainsi, si le Cameroun et le Sénégal affichent des performances honorables, le gap entre leur marché et celui de la Côte d’Ivoire tient à des écosystèmes moins intégrés, une innovation timide et des régulations moins agiles. Pour les autres pays, le défi réside dans la diversification des produits et la formalisation de leurs économies. En somme, la Côte d’Ivoire a réussi à transformer son marché en un laboratoire d’innovation régionale. Sans imitation de ce modèle, les challengers resteront à la traîne. La balle est désormais dans le camp des régulateurs et des acteurs locaux pour combler ce retard structurel.
Leadership, fragmentation et potentiel inexploité
Pays | Primes collectées (en milliards FCFA) | Part de marché (FANAF) | Secteur dominant | Particularités | Défis |
---|---|---|---|---|---|
Côte d’Ivoire | 594,8 | 29,15 % | Non-vie (58 %) / Vie (42 %) | Leadership régional, écosystème intégré, innovation digitale, stabilité économique. | Maintenir la croissance face à la concurrence régionale. |
Cameroun | 270,6 | ~13 % | Non-vie (majoritaire) | Marché fragmenté, dépendance au non-vie, régulation bureaucratique. | Consolidation des acteurs, diversification vers l’assurance vie. |
Sénégal | 268,6 | ~13 % | Non-vie (75 %) | Dynamisme limité par la fragmentation, faible digitalisation. | Réforme réglementaire, incitation à l’innovation. |
RD Congo | 189,9 | ~9 % | Non-vie (94 %) | Potentiel démographique inexploité, méfiance envers les institutions financières. | Développer l’assurance vie, éduquer le marché. |
Burkina Faso | 153,7 | ~7,5 % | Assurance agricole | Stratégie de niche vulnérable aux chocs climatiques. | Diversification des produits, renforcement de la résilience. |
Gabon | 131,1 | ~6,4 % | Secteur pétrolier | Dépendance aux hydrocarbures, risque de fluctuations des cours. | Élargir l’offre hors énergie, modernisation du cadre assurantiel. |
Tchad | 20,6 | ~1 % | Non-vie (majoritaire) | Économie informelle (80 %), instabilité politique. | Formalisation de l’économie, stabilisation politique. |
Centrafrique | 6,0 | ~0,3 % | Non-vie (majoritaire) | Contexte sécuritaire fragile, faible pénétration de l’assurance. | Sécuriser le marché, développer des produits adaptés à l’informel. |
Source : FANAF.