Maroc. Entretien avec Leila Benali, ministre de la Transition énergétique: «Le gazoduc Nigéria-Maroc permettra à l’Afrique de développer son propre gaz»

Leila Benali Ministre de la Transition énergétique et du Développement durable

Le 15/05/2025 à 11h17

VidéoLe gazoduc Nigéria-Maroc cristallise une ambition continentale portée par le Maroc. Dans cet entretien, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, détaille les avancées de ce chantier titanesque estimé à 25 milliards de dollars. Plus qu’un simple corridor gazier, c’est une vision politique, industrielle et géostratégique qui se dessine pour l’Afrique de l’Ouest, avec en ligne de mire l’intégration énergétique, l’accès à une énergie propre pour 600 millions d’Africains et l’émergence de nouveaux hubs industriels, notamment à Dakhla.

Le méga-projet du gazoduc Nigéria-Maroc, dont le coût est estimé à 25 milliards de dollars, vise à valoriser les ressources gazières africaines au bénéfice des Africains. «La plupart des études ont été finalisées», a assuré Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, lors d’un entretien accordé au site Le360.

Un projet continental, une ambition panafricaine

Selon la ministre, le gazoduc permettra d’alimenter en gaz naturel les projets électriques et industriels des treize pays concernés, dont le Maroc. «Le projet gazoduc Nigéria-Maroc est maintenant devenu, comme vous le savez, le projet Afrique Atlantique. On l’appelle maintenant Atlas», précise-t-elle. Il vise également, outre l’Afrique, à approvisionner l’Europe. Leila Benali souligne que le projet «donnera accès à plus de 600 millions de personnes à une énergie propre. Il s’inscrit dans la vision de Sa Majesté le Roi».

Le gazoduc desservira également les pays du Sahel, en leur assurant un accès à l’Atlantique. Et d’ajouter: «Il ne s’agit pas d’un projet énergétique classique. C’est avant tout une vision politique, une ambition de transformation économique, sociale et géopolitique de l’Afrique de l’Ouest, une région au potentiel immense, mais longtemps entravée dans son développement.»

Un corridor stratégique pour l’Afrique et le monde

Pour la ministre marocaine, l’Afrique représente «le dernier réservoir de capacité productive du monde». Elle explique: «Si l’on ne désenclave pas l’Afrique, si l’on ne désengorge pas cette partie de l’Ouest africain tournée vers l’Atlantique, et si l’on ne fluidifie pas ce corridor entre l’Afrique, l’Europe et le bassin atlantique, le monde ne pourra plus produire de PIB

C’est pourquoi, insiste-t-elle, le projet du gazoduc est stratégique à plusieurs échelles: «Il permettra de consommer et de valoriser le gaz africain, tout en soutenant les projets industriels et électriques de la région.»

Le Maroc comme locomotive énergétique

Leila Benali souligne l’ambition marocaine: «Le Royaume veut électrifier et industrialiser cette région, avec une énergie moins coûteuse, mais surtout sécurisée.» Le tracé du gazoduc a été défini, la majorité des études sont achevées, et «il ne reste que les études d’impact environnemental à finaliser».

Parmi les étapes restantes figurent la création de la SPV (Société de projet dédiée) et la décision finale d’investissement, que le Maroc espère obtenir «dans les mois à venir».

«Le Maroc souhaite affirmer sa souveraineté énergétique et préparer les molécules de demain, notamment l’hydrogène vert, transportable par pipeline»

Deux accords ont déjà été signés et finalisés par les ministres de l’Énergie des treize pays de la CEDEAO et de la Mauritanie, et doivent maintenant être ratifiés par les chefs d’État.

Un appel à manifestation d’intérêt lancé

Leila Benali a annoncé le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt concernant l’infrastructure gazière marocaine. «Le Maroc souhaite affirmer sa souveraineté énergétique et préparer les molécules de demain, notamment l’hydrogène vert, transportable par pipeline», a-t-elle déclaré. Et d’ajouter avec humour: «Si l’on n’arrive pas à construire des gazoducs, on ne construira pas non plus des pipelines d’hydrogène.»

Cet appel est «un point d’entrée», selon elle, dans une stratégie plus large. Le port de Nador y joue un rôle clé, en reliant le gazoduc Maghreb-Europe au futur gazoduc Nigéria-Maroc.

«Ce module intégré est essentiel, car certaines industries ont envisagé de fermer faute d’accès au gaz. Il est donc capital de garantir une pérennité énergétique par le biais du marché international», souligne la ministre.

Le GNL comme garantie de sécurité

«Le marché du gaz naturel liquéfié offre une sécurité d’approvisionnement que d’autres sources ne garantissent pas. Le but est de connecter cette infrastructure à Dakhla, en lien avec le gazoduc Afrique Atlantique. Mon rêve est de voir les régions du Sud, et Dakhla en particulier, devenir un hub d’industrie verte, lourde, mais durable, avec accès au gaz naturel, à l’hydrogène vert et à l’électricité propre», a-t-elle confié.

«L‘impact de l’infrastructure gazière marocaine pourrait représenter plus d’un point de PIB supplémentaire»

Concernant le secteur minier, la ministre a pointé «une véritable problématique de transformation locale des ressources: fer, minerais, etc.» et insiste sur le fait que cette infrastructure peut «enclencher une dynamique réelle de développement».

Elle s’appuie sur plusieurs études qui indiquent que «l’impact de l’infrastructure gazière marocaine pourrait représenter plus d’un point de PIB supplémentaire», si les 6 milliards de dirhams d’investissements (principalement privés) sont effectivement mobilisés.

«Nous insistons sur la transparence des procédures et la création de centaines de milliers d’emplois dans différentes filières industrielles», a-t-elle poursuivi.

Le Maroc dispose déjà de pipelines et «ne réinvente pas la roue». Leila Benali rappelle que cette feuille de route existe depuis plusieurs années, même si certains retards ont été enregistrés.

«Nous sommes aujourd’hui dans une phase d’accélération. Les six milliards de dollars d’investissement dans l’infrastructure gazière entre Nador et Dakhla visent à offrir une énergie abordable, mais surtout fiable et sécurisée, dans un marché international très liquide.»

Clôture de l’appel prévue pour juillet

En conclusion, la ministre a indiqué avoir fixé un délai de trois mois aux investisseurs pour répondre à l’appel à manifestation d’intérêt. «Nous allons clore l’exercice au mois de juillet et faire un point d’étape.»

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 15/05/2025 à 11h17