Maroc et Egypte, les stratégies pour attirer entre 26 et 30 millions de touristes en 2030

Le 01/05/2023 à 15h47

Les pays africains ne pèsent qu’environ 6% du tourisme mondial, un niveau faible comparativement aux énormes potentialités du continent. Pour accroitre de manière substantielle le nombre d’arrivées et de recettes touristiques et faire du secteur un des leviers de leur développement, de nombreux pays élaborent actuellement des stratégies volontaristes. A ce titre, l’Egypte et le Maroc, qui dominent depuis des années le tourisme africain, comptent accentuer leurs avances sur le reste du continent en mettant en place des plans à même de doubler arrivées et recettes. Décryptage.

Si le tourisme en Afrique a montré sa capacité à rebondir, comme ce fut le cas après les deux années du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, comme en attestent les évolutions des flux de touristes enregistrés en 2022, il n’en demeure pas moins que, par-delà ces chiffres, il faut repenser ce secteur pour en faire un véritable levier du développement du continent.

Et pour cause, si l’Afrique est le continent qui a enregistré les plus fortes progressions touristiques au cours de ces dernières décennies, partant de 14,7 millions de visiteurs en 1990 à 26 millions de touristes internationaux en 2000 et à plus de 84 millions en 2019, il n’en demeure pas moins que l’Afrique, malgré ses immenses et exceptionnelles ressources touristiques diversifiées, ne capte que peu de tourismes. En 2022, sur 917 millions de touristes recensés, le continent n’en a capté que 56,7 millions, soit 6% du flux touristique mondial.

L’Afrique a le potentiel pour séduire les visiteurs à la recherche de dépaysement, d’aventures et de rencontres authentiques… Et ce potentiel devrait attirer de plus en plus de visiteurs dans les années à venir. Selon les projections de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), environ 300 millions de touristes visiteront le continent africain en 2030.

Par conséquent, tous les pays du continent semblent désormais vouloir accorder un intérêt grandissant au secteur qui pourrait représenter un levier important du développement du continent. Déjà, et en dépit de son faible développement, cette activité économique représente en moyenne autour de 8,5% du PIB africain et un salarié sur dix dépend directement du secteur.

Pour certains pays, notamment les insulaires -Seychelles, Maurice, Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe-, il constitue entre 25 et 30% de leur PIB, voire plus. Pour d’autres pays touristiques majeurs du continent, l’Egypte et le Maroc notamment, le tourisme est une source importante de recettes en devises et de création d’emplois. Au Maroc, le secteur emploie directement 750.000 personnes et représente environ 30% des exportations de services.

C’est dire l’importance du secteur et le potentiel énorme de son développement au niveau du continent. Et pour saisir les opportunités, de nombreux pays du continent ont annoncé des stratégies de développement du secteur avec des horizons à moyen et long termes ambitieux. C’est le cas particulièrement de l’Egypte et du Maroc, les deux premières destinations touristiques du continent, mais aussi du Kenya, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal… Et de tous les pays insulaires dont le tourisme constitue le secteur sur lequel repose leur développement.

Toutefois, si de nombreux pays ont adopté des stratégies touristiques, force est de noter que l’Egypte et le Maroc semblent avoir pris des longueurs d’avance.

Egypte: un objectif de 30 millions de touristes et 30 milliards de dollars de recettes à l’horizon 2030

L’Egypte, première destination touristique africaine, au coude-à-coude avec le Maroc durant ces deux dernières années, a toujours fait du tourisme un levier important de son développement économique. Il faut dire que le pays ne manque pas d’atouts, notamment culturel et balnéaire. Les pyramides et l’Histoire des pharaons constituent un cachet particulier qui fait du pays un cas unique au niveau du continent.

L’Egypte souhaite augmenter le nombre de ses visiteurs de 25 à 30% par an et en attirer 30 millions à l’horizon 2030. Le ministère travaille actuellement sur l’étude des défis que rencontre le secteur afin d’atteindre cet objectif, le record en Egypte étant de 14,7 millions de touristes enregistré en 2010, en hausse de 17,5% par rapport à l’année précédente.

Il faut dire que l’Egypte ne manque ni de potentialités ni d’opportunités pour accueillir ce nombre de tourisme à l’horizon 2030. Et pour y arriver, les autorités égyptiennes ont élaboré un plan de développement du secteur. A ce titre, un programme intensif de 12 à 18 mois a été mis en place et s’articule autour de trois axes principaux: l’aviation, l’amélioration des services et l’amélioration du climat des investissements.

Concernant le volet aviation, une coordination avec les ministères du Tourisme et des antiquités et celui de l’Aviation civile est mise en place avec l’objectif de tripler le nombre de vols et de sièges. Les autorités égyptiennes misent aussi sur l’aviation à bas prix, notamment les low cost et les charters.

A ce titre, les autorités ont doté Air Cairo, la filiale low cost de la compagnie aérienne nationale EgyptAir, d’une flotte importante. Ayant bénéficié de son tout premier appareil en avril 2021, la compagnie basée à l’aéroport du Caire, compte actuellement 30 avions dépassant largement son ambition de 19 appareils à l’horizon 2024. Désormais, l’objectif est de porter la flotte de la compagnie low cost à 50 appareils et l’ouverture de plusieurs lignes vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. En plus, l’ouverture de l’aéroport international Sphinx vise à donner un élan aux vols à bas prix.

A noter aussi que pour faciliter l’arrivée des touristes, les autorités ont simplifié les procédures d’obtention de visas en les accordant à l’arrivée pour ceux venant des grands pays émetteurs dont la Chine.

En ce qui concerne l’amélioration des services, l’objectif est d’augmenter de 25 à 30% par an le nombre de chambre touristiques. Le pays aura besoin de 300.000 nouvelles chambres d’hôtels, nécessitant un investissement de 30 milliards de dollars. Il s’agit d’un objectif ambitieux sachant leur nombre ne croît que de 1% depuis 2018. L’accent sera surtout mis sur les chambres d’hôtel 3 étoiles dans les gouvernorats de Louqsor, Assouan, Qéna… où le déficit en infrastructures hôtelières est patent.

Le troisième axe identifié par la stratégie est l’amélioration du climat de l’investissement touristique.

Avec près de 133 sites archéologiques, 40 musées ouverts au publics, environ 480 centres de plongés et clubs de sports maritimes, 1.200 hôtels classés…. l’Egypte offre une expérience touristique inédite aux visiteurs des sites attirés par le tourisme balnéaire, culturel, de divertissement, de tourisme familial et d’aventures.

Maroc: 26 millions de touristes à l’horizon 2030

Le Maroc qui lorgne la première place de pays attirant le plus de touristes au niveau du continent, affiche également ses ambitions. Ainsi, les autorités ont concocté un plan de développement visant à attirer 17,5 millions de touristes à l’horizon 2026, l’équivalent de 120 milliards de dirhams de recettes en devises et la création de 200.000 nouveaux emplois directs et indirects.

Mieux, pour 2030, la ministre du Tourisme, de l’artisanat, et de l’économie sociale et solidaire, Fatim-Zahra Ammor, a annoncé, dans un entretien à la MAP, la volonté du pays d’attirer 26 millions de touristes, soit presque le double du pic de touristes accueillis en 2019.

Pour atteindre cet objectif, le Maroc compte sur ses nombreux atouts et un plan d’action 2023-2026 baptisé La lumière en action. Ce plan d’action s’articule autour de 4 piliers: le marketing, le transport aérien, le numérique et la distribution. Pour mener à bien cette vision, une enveloppe de 6 milliards de dirhams a été mobilisée et dédiée à l’accélération de la feuille de route 2023-2026.

Quant à la feuille de route 2026-2030, elle repose sur la restructuration de l’offre en passant d’une logique de destination pure à celle basée sur des filières offrant des expériences touristiques transverses. A cet effet, neuf filières thématiques seront développées. Il s’agit de «Ocean Waves» pour les sports nautiques, «Nature Trekking and Hiking» pour le tourisme vert, «City Break» pour les courts séjours urbains, «Beach&Sun» pour l’offre balnéaire, «Desert & Oasis Adventure», «Escapades dans le désert», «Tourisme d’affaires», «Circuits culturels» pour les expériences immersives, «Bord de mer» pour le tourisme interne estival, et «Nature et découverte» pour des expériences plus adaptées aux touristes locaux.

En plus, cinq filières traverses seront développées pour valoriser le patrimoine immatériel du Maroc. Il s’agit notamment de la gastronomie et produits du terroirs, des festivals et moussems, du développement durable, de l’artisanat et le savoir-faire local, et enfin, l’hébergement alternatif responsable et authentique.

A travers ces filières thématiques, l’objectifs est de mieux se coller aux nouvelles demandes des touristes, de plus en plus exigeants et de mieux se différencier face à la concurrence.

Outre ces volets, la vision stratégique marocaine s’appuis globalement sur six leviers de compétitivité qui vont contribuer à la réalisation des objectifs. Il s’agit d’abord du volet aérien indispensable pour tout développement du secteur touristique. A ce titre, la vision marocaine table, d’abord, sur le doublement de la capacité aérienne via la multiplication des liaisons «point-à-point» domestiques et internationales.

Une telle initiative nécessite la multiplication des partenariats avec d’autres compagnies aériennes et le renforcement de Royal Air Maroc en capacité. Et pour faciliter les voyages, en juillet 2022, le Maroc a instauré le visa électronique pour 49 nationalités. La durée de validité de ce visa est de 30 jours, avec possibilité de prolongation à 60 jours avec des entrées multiples. L’objectif étant d’encourager les arrivées de touristes en provenance de ces pays.

Ensuite, le renforcement de la promotion et de la distribution à travers des partenariats stratégiques avec les plus grands Tours opérateurs et voyagistes mondiaux et la forte présence lors des plus importants salons dédiés au secteur. En plus, un accent particulier sera mis sur l’investissement dans l’animation. En outre, afin d’accueillir dans de bonnes conditions les touristes dont le nombre devrait grossir d’année en année, l’offre hôtelière sera mise à niveau et le parc renforcé par de nouvelles capacités.

Evolutions attendues des arrivées et des recettes touristiques

PaysArrivées en 2022Arrivées attendues en 2030Recettes en 2022Recettes attendues
Egypte11,7 millions30 millions10,7 milliards de dollars30 milliards de dollars en 2030
Maroc10,9 millions26 millions9,08 milliards de dollars12 milliards de dollars en 2026

Source: données compilées à partir de diverses sources

(*) recettes attendus en 2026

En plus, au niveau de la qualité des services, l’accent sera mis sur le renforcement du capital humain et ce afin d’augmenter la satisfaction des touristes et rehausser leur taux de retour. En outre, l’Observatoire du tourisme sera renforcé afin d’en faire un véritable outil de pilotage et d’aide à la décision. Enfin, la gouvernance sera améliorée pour assurer la réussite de cette vision stratégique en permettant à plusieurs organes de contribuer au pilotage de la vision au niveau territorial, régional et central avec la Commission nationale interministérielle du Tourisme que préside le Chef du gouvernement.

Avec cette vision stratégique, l’objectif affiché est de positionner le Maroc parmi les 10 premières destinations touristiques mondiales.

Avec ces leviers, le Maroc dispose d’atouts considérables, notamment son offre diversifiée avec une présence dans tous les segments touristiques (culturel, balnéaire, sportif, tourisme d’affaires, tourisme nautique, aventure, loisirs, shopping…) peut aussi compter sur son open sky avec l’Europe pour améliorer sa connectivité vis-à-vis de ce premier marché émetteur de touristes à destination de l’Afrique, sa proximité géographique, sa stabilité politique, sa sureté et sa sécurité…

Le royaume compte aussi capitaliser sur la bonne image et le rayonnement offerts par les Lions de l’Atlas lors du mondial qatari en 2022 et qui constituent une véritable promotion pour la destination Maroc.

Outre les deux leaders touristiques africains, l’Egypte et le Maroc, d’autres pays affichent leurs ambitions. C’est le cas du Kenya qui ambitionne de faire passer le nombre de touristes visitant le pays de 2,05 millions en 2019 à 10 millions de visiteurs en 2027 en comptant sur le safari et ses fameux Big 5, les cinq mammifères emblématiques d’Afrique -lion, éléphant, léopard, buffle et rhinocéros- et son tourisme balnéaire.

Quant à la Côte d’Ivoire, elle a annoncé une vision ambitieuse «Sublime Côte d’Ivoire» dont l’objectif est de faire figurer le pays dans le Top 5 des destinations africaines.

Pour réaliser cet objectif, l’Etat a annoncé un programme d’investissement de 3.200 milliards de francs cfa dont 1500 milliards par l’Etat et touchant particulièrement les infrastructures (aérien, routes, hôpitaux…) et 1700 milliards portés par le privé et qui porteront sur les infrastructures touristiques (hôtels, salles de conférence…). Le secteur devrait contribuer à hauteur de 8 à 10% d PIB du pays à l’horizon 2025.

Plusieurs pays africains ont annoncé des visions stratégiques pour le secteur. Toutefois, pour de nombreux pays du continent, les plans d’actions pour atteindre les objectifs escomptés font souvent défaut. Il s’agit généralement de vœux pieux sans véritables visions stratégiques.

Au-delà, pour que les pays africains attirent davantage de touristes, il faut qu’ils apportent des améliorations dans les domaines sécuritaire, infrastructurel… En effet, la perception négative de l’Afrique en matière de sécurité constitue une faiblesse pour de nombreux pays africains. C’est particulièrement le cas pour l’Afrique du Sud qui a vu le nombre de ses arrivées touristiques s’établir à 9,25 millions de touristes en 2019, contre 10,47 millions en 2018, s’expliquant essentiellement par les violences qui se sont produites dans le pays en 2019 et qui ont concerné particulièrement les ressortissants d’autres pays africains. Cela est aussi le cas au niveau des pays du Sahel et même de l’Afrique de l’ouest de plus en plus sous la menace des djihadistes.

En ce qui concerne le volet sanitaire, les apparitions de virus (ebola, Crimée Congo …) dans un certain nombre de pays du continent de manières fréquentes constituent aussi des sources de découragement, notamment des Occidentaux.

Enfin, à ces facteurs s’ajoutent les carences en réseaux routiers et ferroviaires ainsi que l’insuffisance et la cherté des dessertes aériennes qui pèsent énormément sur le développement du secteur. C’est dire qu’il est essentiel d’accroître la connectivité aérienne au niveau du continent, y compris en développant les liaisons aériennes intercontinentales africaines des compagnies à bas coûts.

En dépit de ces facteurs qui constituent de véritables freins au développement du secteur touristique en Afrique, de nombreux signaux positifs permettent appréhender l’avenir avec beaucoup de confiance. D’abord, il y a un volontarisme politique renouvelé des dirigeants de nombreux pays au bénéfice de l’industrie touristique, comme le montrent les nombreuses visions et plans stratégiques adoptés par certains pays. Ensuite, il y a les importants investissements hôteliers qui se multiplient un peu partout au niveau du continent africain.

Par Moussa Diop
Le 01/05/2023 à 15h47