À la lumière des récents communiqués du FMI du 30 juin et du 3 juillet 2025, la Mauritanie et l’Algérie présentent des paysages économiques contrastés. Leurs performances, analysées à travers les programmes du FMI, soulignent des défis structurels distincts, des vulnérabilités budgétaires différenciées et des réformes aux rythmes inégaux.
Disons que ces diagnostics dessinent deux réalités économiques. D’une part, la Mauritanie incarne un modèle en construction où l’ancrage budgétaire, les réformes de gouvernance et la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) posent les bases d’une diversification inclusive et résiliente.
D’autre part, l’Algérie représente une économie sous tension où l’urgence budgétaire (déficit à 13,9% du PIB) et la dépendance structurelle aux hydrocarbures exigent des réformes audacieuses pour éviter un scénario de dette insoutenable.
Zoom sur la Mauritanie, dont le triple ancrage (budgétaire, monétaire, structurel) forge une résilience remarquable face aux chocs.
Mauritanie: résilience renforcée et réformes en marche
La Mauritanie démontre une robustesse économique remarquable face aux «incertitudes mondiales exacerbées et risques sécuritaires régionaux accrus», selon les termes du FMI. Une résilience qui repose sur un triple ancrage: budgétaire, monétaire et structurel.
L’ancrage budgétaire, soutenu par une «collecte d’impôts robuste», a permis de stabiliser la dette publique tout en isolant les dépenses des volatilités des matières premières, comme le souligne Kenji Okamura, directeur général adjoint et président par intérim du Conseil d’administration du FMI, «la consolidation budgétaire basée sur l’ancrage budgétaire [...] a renforcé la résilience de l’économie mauritanienne».
Une discipline qui a maintenu la croissance à 5,2% en 2024, portée par les investissements publics en infrastructures et le dynamisme du secteur privé, malgré un ralentissement prévu à 4% en 2025.
Sur le plan monétaire, la flexibilisation du taux de change et la baisse progressive des taux d’intérêt visent à «ancrer les anticipations d’inflation» tout en développant le marché domestique de la dette, renforçant ainsi la capacité d’absorption des chocs externes.
Les réformes structurelles accélèrent cette transition: l’adoption de «lois anti-corruption essentielles» par le Parlement consolide la gouvernance, tandis que la Facilité pour la Résilience et la Durabilité canalise 40,9 millions de dollars (sur 49,8 millions décaissés) vers la diversification «au-delà des industries extractives».
Okamura précise que ces programmes «soutiennent l’agenda climatique, le développement du capital humain et la réduction de la pauvreté», inscrivant la croissance dans une trajectoire inclusive et durable.
Algérie: vulnérabilités budgétaires et urgence des réformes
Selon le FMI, l’économie algérienne, minée par sa dépendance aux hydrocarbures, affiche des vulnérabilités macro-financières préoccupantes. La chute des cours du gaz et les quotas OPEP+ ont réduit la croissance à 3,6% en 2024 et creusé le déficit budgétaire à 13,9% du PIB– un niveau «record». Charalambos Tsangarides, chef de la mission du Fonds monétaire international (FMI) qui s’est rendu à Alger du 16 au 30 juin, alerte sur l’urgence d’un rééquilibrage. «Les vulnérabilités budgétaires sont importantes [...] Un ajustement progressif mais urgent est essentiel». Malgré des réserves de change substantielles (67,8 milliards de dollars), le modèle reste fragilisé par une «interdépendance financière étroite entre l’État, les entreprises publiques et les banques publiques», menaçant la soutenabilité de la dette.
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Dans ce contexte, la mission du FMI prescrit trois corrections immédiates: un ancrage budgétaire via la «rationalisation des dépenses fiscales» et une réforme des subventions pour dégager des marges en faveur des «ménages vulnérables», une «plus grande flexibilité du taux de change» pour absorber les chocs pétroliers et un cadre monétaire clarifié axé sur la stabilité des prix. Les réformes structurelles, bien qu’amorcées (loi organique budgétaire, supervision des entreprises publiques), peinent à transformer l’économie.
Si le secteur non-hydrocarbures a progressé de 4,2% en 2024, le FMI déconseille les «incitations fiscales généralisées» au profit de mesures plus radicales, notamment éliminer les «restrictions administratives», assouplir les marchés du travail et instaurer une «concurrence équitable» entre public et privé. Sans cette métamorphose, la diversification– pourtant prioritaire dans le Plan d’Action des autorités– restera un horizon lointain.
Banque centrale de Mauritanie.. DR.
Des silences et des évidences
Au-delà des indicateurs économiques, le FMI révèle des réalités stratégiques cruciales. La Mauritanie, explicitement exposée à des «risques sécuritaires régionaux accrus» dans un Sahel instable, compense cette vulnérabilité par un ancrage budgétaire rigoureux qui sert de rempart macroéconomique.
À l’inverse, l’Algérie subit l’impact des «tensions géopolitiques» via la volatilité des cours des hydrocarbures– une dépendance qui exige une flexibilité accrue des changes pour absorber les chocs externes. Sur le front climatique, les divergences sont frappantes: la Mauritanie intègre sa facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) comme levier central de transition verte, ciblant explicitement «l’agenda climatique» et la réduction de la pauvreté selon Kenji Okamura.
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L’Algérie, bien que pays émetteur majeur, ne priorise pas cette dimension dans le communiqué, focalisée sur l’urgence budgétaire– un silence révélateur des contraintes imposées par sa crise fiscale. En matière de gouvernance, les approches divergent aussi radicalement: Nouakchott mise sur des «lois anti-corruption essentielles» pour renforcer la crédibilité institutionnelle et attirer les investissements privés, tandis qu’Alger doit résoudre en priorité l’interdépendance financière étroite État-entreprises publiques-banques, où «l’amélioration de la gouvernance des entreprises publiques» est vitale pour contenir les risques macro-financiers.
Des contrastes qui soulignent que la résilience économique en Afrique du Nord se construit désormais sur trois piliers: capacité à transformer les risques sécuritaires et climatiques en opportunités de financement vert, rupture avec les modèles extractifs dépendants et gouvernance transparente dissociant clairement sphère publique et privée.
Ainsi, ces communications du FMI exposent une vérité incontournable: sans discipline budgétaire ancrée sur des recettes fiscales robustes, flexibilité monétaire face aux chocs de termes de l’échange et réformes structurelles libérant l’initiative privée, les économies dépendantes des ressources naturelles demeurent vulnérables aux turbulences globales.
Pour le Maroc, observateur avisé de ses voisins, ces enseignements confirment l’urgence stratégique de consolider trois piliers: diversification sectorielle accélérée (au-delà des phosphates et du tourisme), ancrage institutionnel anticyclique et intégration systématique des financements verts dans la planification nationale– trois remparts contre l’instabilité d’un monde en mutation.
Ancrage budgétaire vs Urgence des réformes : le FMI dessine les trajectoires de Nouakchott et Alger
Critères | Mauritanie | Algérie |
---|---|---|
Contexte économique | Résilience face aux incertitudes mondiales et risques sécuritaires. Croissance à 5,2% (2024). | Vulnérabilités macro-financières. Croissance réduite à 3,6% (2024). |
Ancrage budgétaire | Consolidation réussie : dette stabilisée via collecte d’impôts robuste. | Déficit record à 13,9% du PIB. Urgence de rationaliser les dépenses et réformer les subventions. |
Politique monétaire | Flexibilisation du taux de change + baisse des taux. Développement du marché domestique de la dette. | Besoin de « plus grande flexibilité du taux de change » pour absorber les chocs pétroliers. |
Réformes structurelles | - Lois anti-corruption adoptées. - FRD (40,9 M$) pour diversification verte et réduction de pauvreté. | Réformes timides : supervision des entreprises publiques insuffisante. Obstacles administratifs et concurrence limitée. |
Dépendance sectorielle | Transition « au-delà des industries extractives » (soutien au privé et infrastructures). | Dépendance hydrocarbures exacerbée par les quotas OPEP+ et chute des cours. Secteur non-hydrocarbures à +4,2%. |
Risques externes | Compensation des risques sécuritaires par l’ancrage budgétaire. | Vulnérabilité aux tensions géopolitiques via volatilité des hydrocarbures. |
Gouvernance | Crédibilité institutionnelle renforcée pour attirer les investissements. | Interdépendance État-entreprises publiques-banques : menace pour la soutenabilité de la dette. |
Perspectives 2025 | Ralentissement à 4%, mais trajectoire inclusive et durable. | Scénario de dette insoutenable sans « ajustement urgent ». Réserves de change élevées (67,8 Mds$) mais fragilité. |
Source: FMI.