Nearshoring: l’Afrique peut-elle convertir l’afflux des IDE en industrialisation durable?

Le 26/11/2025 à 08h52

Sous l’effet croisé des tensions géopolitiques, de la reconfiguration des chaînes de valeur et de la recherche de nouveaux relais de croissance, l’Afrique devient progressivement une destination explicite de délocalisation et de «nearshoring» pour les industries manufacturières et certains services. Alors que l’Asie voit ses coûts augmenter, le continent africain attire davantage d’investissements, notamment dans l’automobile, l’aéronautique, le textile, l’agro-industrie et les services externalisés.

Les chiffres confirment ce basculement, même s’il reste encore d’ampleur limitée à l’échelle mondiale. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les flux d’IDE vers l’Afrique ont reculé à 53 milliards de dollars en 2023, mais ils ont spectaculairement rebondi en 2024 pour atteindre un record de 97 milliards de dollars, soit 6% des IDE mondiaux contre 4% un an plus tôt. Parallèlement, l’Afrique ne représente encore qu’environ 2% de la valeur ajoutée manufacturière mondiale et 1,3% des exportations manufacturières, alors qu’elle pèse près de 3,2 % du PIB global. Le potentiel de montée en gamme reste donc considérable.

Sur le plan interne, la dynamique démographique crée à la fois une opportunité et une pression. La population en âge de travailler devrait dépasser le milliard d’individus avant 2030 et atteindre environ 1,1 milliard en 2035, avec plus de 20 millions de jeunes entrant chaque année sur le marché du travail. Sans changement de modèle, la Banque mondiale estime que le continent ne créera qu’environ 100 millions d’emplois formels pour cette cohorte d’ici 2035. La délocalisation d’activités manufacturières et de services peut être un levier puissant pour absorber cette main-d’œuvre, mais seulement si elle s’inscrit dans une stratégie d’industrialisation endogène.

Selon plusieurs études, la délocalisation vers l’Afrique reste un mouvement réel mais encore fragmenté, tiré par quelques pays pionniers (Maroc, Égypte, Éthiopie, Sénégal, Rwanda, Kenya, Afrique du Sud), et qui ne deviendra un moteur de transformation qu’au prix d’options politiques claires. Toutefois, le continue doit s’aligner sur les standards internationaux pour confirmer son attractivité en renforçant ses performances macroéconomiques, de politique industrielle ciblée veiller à l’approfondissement de l’intégration régionale et transition énergétique, le tout sous-tendu par une amélioration de la gouvernance et du climat des affaires.

Depuis la pandémie et la montée des rivalités géopolitiques, les grandes entreprises révisent en profondeur leurs stratégies de production. La logique du “China+1”, voire “China+N”, incite à diversifier les bases industrielles pour réduire les risques de rupture d’approvisionnement. Cette recomposition se conjugue avec la hausse des coûts salariaux en Asie et des pressions sociétales en Europe et en Amérique du Nord en faveur de chaînes d’approvisionnement plus résilientes et plus proches des marchés finaux.

Dans ce nouveau paysage, l’Afrique commence à apparaître non plus seulement comme un «réservoir de matières premières», mais comme une plateforme productive potentielle. La CNUCED souligne qu’en dépit d’une baisse conjoncturelle des IDE vers l’Afrique en 2023, le continent a connu une hausse spectaculaire de 75% des flux en 2024, particulièrement portée par de grands projets d’infrastructures et d’énergies renouvelables en Égypte, au Maroc ou en Afrique du Sud.

Cette montée en puissance reste toutefois fragile. Le rapport 2024 de la CNUCED rappelle que l’Afrique ne capte encore qu’une fraction des IDE mondiaux, et que ces flux sont très concentrés sectoriellement (énergie, mines, grands projets) plutôt que diffus dans le tissu manufacturier. La question centrale n’est donc pas seulement d’attirer des délocalisations, mais de s’assurer qu’elles contribuent à diversifier les économies et à renforcer la base productive locale.

Les atouts structurels de l’Afrique dans la compétition mondiale pour les délocalisations s’affirment autour de dynamiques profondes, qui redessinent progressivement les avantages comparatifs du continent. La démographie constitue sans doute le premier levier de repositionnement. L’Afrique demeure la seule grande région du monde où la population en âge de travailler continue de croître de façon soutenue. Tandis que l’Union européenne, le Japon ou la Chine voient leur main-d’œuvre vieillir et se contracter, le continent africain s’apprête à dépasser le seuil du milliard d’actifs dès la prochaine décennie.

D’ici 2050, plus de 600 millions de personnes supplémentaires viendront renforcer ce vivier. Cette évolution ouvre un horizon stratégique pour les multinationales, qui y trouvent à la fois une réserve abondante de futures compétences et un marché de consommation en expansion rapide.

Les institutions internationales, comme la Banque mondiale, rappellent cependant que cette dynamique n’est réellement porteuse qu’à condition d’être accompagnée de politiques publiques favorisant l’emploi productif. Sans transformation structurelle et montée en qualification, la croissance de la main-d’œuvre pourrait accentuer chômage, informalité et tensions politiques. Dans cette optique, la délocalisation vers l’Afrique ne saurait être efficace sans une articulation étroite avec les stratégies nationales de montée en gamme économique.

La dimension commerciale offre un autre levier de structuration. La mise en œuvre progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) reconfigure les perspectives offertes au secteur privé. Le commerce intra-africain, bien que modeste à l’échelle mondiale, connaît une progression régulière: en 2022, il représentait environ 15% des échanges du continent, en hausse de 18,6% sur un an selon Afreximbank. La CNUCED observe qu’en 2023, ce même flux s’est encore accru de 6%, ce qui montre que l’intégration régionale, même encore incomplète, commence à produire des effets tangibles.

Pour les investisseurs internationaux, cette dynamique ouvre la voie à une logique de production continentale intégrée. Une unité installée au Maroc, en Égypte ou au Kenya pourrait servir un marché de 1,4 milliard de consommateurs soumis à moins de barrières tarifaires et, progressivement, à moins de contraintes non tarifaires. La Commission économique pour l’Afrique estime d’ailleurs qu’une mise en œuvre complète de la ZLECAf permettrait d’augmenter de plus de 50% les échanges intra-africains, voire de les doubler avec une réduction effective des obstacles logistiques et réglementaires. L’émergence d’un marché continental intégré devient ainsi un argument fort pour localiser des investissements manufacturiers au plus près de la demande africaine.

La question des infrastructures et des capacités industrielles constitue enfin un élément déterminant, souvent perçu comme le principal frein à l’implantation d’activités productives. Ce constat, encore partiellement valide, doit être nuancé. Les transformations à l’œuvre sont rapides et s’inscrivent dans des trajectoires nationales plus affirmées. La Banque africaine de développement souligne, à travers son Africa Industrialization Index, que 37 pays ont enregistré des progrès notables sur la dernière décennie, même si les niveaux de performance demeurent très contrastés.

Les économies considérées comme les plus avancées présentent généralement une combinaison récurrente : un investissement soutenu dans les infrastructures logistiques, la structuration de zones économiques spéciales attractives et une politique industrielle clairement définie. Ces éléments créent les premiers pôles manufacturiers continentaux capables d’offrir des conditions d’accueil compétitives pour les chaînes de valeur mondiales en recomposition.

L’ensemble de ces dynamiques confirme que l’Afrique se trouve engagée dans une phase de repositionnement stratégique, où les délocalisations ne relèvent plus seulement d’un arbitrage sur les coûts, mais d’une anticipation des marchés émergents, des mobilités industrielles et des reconfigurations géoéconomiques.

Le Maroc illustre cette trajectoire. Soutenu par des ports de classe mondiale comme Tanger Med, un réseau autoroutier dense et une offre énergétique de plus en plus décarbonée, le pays est devenu une plateforme de choix pour l’automobile et l’aéronautique. L’industrie automobile représente près de 25% des exportations marocaines en 2021, avec plus de 90% de la production destinée à l’export, principalement vers l’Union européenne. La montée en puissance se poursuit: le constructeur Stellantis a annoncé en 2025 un investissement de 1,2 milliard d’euros pour plus que doubler la capacité de son usine de Kénitra à 535 000 véhicules par an, en ciblant notamment les véhicules électriques urbains. Dans l’aéronautique, Safran investit 200 millions d’euros dans une nouvelle ligne d’assemblage de moteurs Airbus, sa seule en dehors de la France, renforçant l’idée d’un “hub industriel” basé sur des activités à haute valeur ajoutée.

L’Éthiopie suit une stratégie différente mais complémentaire, fondée sur le développement de parcs industriels dédiés au textile, au cuir et à la pharmacie. Le programme «Ethiopia Competitiveness and Job Creation» soutenu par la Banque mondiale a permis la mise en place de parcs comme Bole Lemi ou Kilinto, qui ont attiré des investissements étrangers dans le vêtement et les produits pharmaceutiques. Bien que ce modèle soit confronté à des questions de conditions de travail et de viabilité sociale, il illustre la capacité d’un pays à se rendre attractif pour des délocalisations industrielles en combinant infrastructures dédiées, incitations fiscales et accès préférentiel aux marchés occidentaux.

Dans l’agro-industrie, la BAD finance des zones de transformation agro-industrielle spécialisées, notamment au Nigeria où 2,2 milliards de dollars doivent être mobilisés pour créer des zones de transformation dans 28 États, afin d’amener la transformation au plus près des zones de production agricole et de réduire les pertes post-récolte. Ce type de dispositif prépare le terrain à des délocalisations dans la transformation alimentaire et les intrants agro-industriels.

⁠Une dynamique contrastée

Malgré ces exemples, le continent ne constitue pas un bloc homogène et la géographie des délocalisations reste très sélective.En Afrique du Nord, le Maroc, l’Égypte et la Tunisie combinent proximité géographique avec l’Europe, politiques industrielles ciblées et bases humaines qualifiées. Leurs indices d’industrialisation, mesurés par la BAD et l’ONUDI, figurent parmi les plus élevés du continent, en particulier sur les dimensions valeur ajoutée manufacturière et complexité des exportations. L’essentiel des délocalisations industrielles y est tiré par l’automobile, l’électronique, l’aéronautique et, dans une moindre mesure, l’offshoring de services.

En Afrique de l’Est, des pays comme le Kenya, l’Éthiopie, la Tanzanie ou le Rwanda cherchent à capter les segments intensifs en main-d’œuvre (textile, assemblage léger, BPO) tout en misant sur l’intégration régionale au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). L’IMF relève que la région affiche des perspectives de croissance légèrement supérieures à la moyenne africaine, mais que les défis de financement, de dette et de stabilité politique restent importants pour transformer des implantations ponctuelles en véritables écosystèmes industriels.

En Afrique de l’Ouest, le potentiel est considérable, mais la trajectoire demeure plus hétérogène. Le Sénégal, par exemple, figure parmi les pays ayant enregistré les plus fortes progressions à l’Industrialization Index, grâce à la montée en gamme de ses exportations, y compris dans l’agro-industrie et certains biens manufacturés. Le Nigeria, de son côté, tente de transformer sa puissance démographique et pétrolière en base de délocalisation industrielle via des zones économiques spéciales et des projets d’infrastructures, mais se heurte à des contraintes structurelles fortes dans les domaines de l’énergie, de la logistique et du climat des affaires

En Afrique australe, l’Afrique du Sud reste un pôle industriel historique mais voit sa compétitivité entamée par des problèmes d’énergie, de logistique portuaire et de gouvernance. Dans le même temps, des pays comme le Mozambique ou la Namibie misent sur d’importants projets énergétiques (hydroélectricité, gaz, hydrogène) pour se positionner comme plate-formes futures d’industrialisation à plus forte intensité énergétique. Le projet hydroélectrique de Mphanda Nkuwa au Mozambique, soutenu par le groupe Banque mondiale, illustre cette stratégie orientée vers la sécurisation de l’énergie comme préalable à l’accueil d’industries électro-intensives.

⁠Ce que la vague de délocalisations ne résout pas

L’afflux d’IDE, même orienté vers des secteurs productifs, ne suffit pas à lui seul à transformer les économies africaines.

D’abord, la base industrielle demeure étroite. La BAD et l’ONUDI rappellent qu’en moyenne, la valeur ajoutée manufacturière africaine ne dépasse guère 10–11% du PIB, soit un niveau inférieur à celui des régions asiatiques à revenu comparable. Une part importante des IDE continue de se diriger vers les secteurs extractifs et les mégaprojets infrastructurels, limitant les effets d’entraînement sur les PME locales.

Ensuite, l’ancrage local reste trop faible. Dans l’automobile au Maroc ou dans le textile en Éthiopie, les indicateurs de contenu local progressent mais demeurent en deçà de leur potentiel. L’écosystème de fournisseurs domestiques et la capacité d’innovation restent limités, faute de financement patient, de dispositifs de R&D et de politiques de cluster structurées.

Troisièmement, les contraintes énergétiques et logistiques demeurent un frein majeur dans de nombreux pays. L’initiative “Mission 300” portée par la Banque mondiale et la BAD, qui vise à connecter 300 millions de personnes supplémentaires à l’électricité d’ici 2030, montre que l’accès à l’énergie demeure un chantier ouvert. L’IMF souligne par ailleurs que la consolidation budgétaire et la montée de la dette intérieure risquent de limiter les marges de manœuvre publiques pour investir dans les infrastructures physiques et sociales indispensables à l’industrialisation.

Cependant, la question sociale et environnementale ne peut être ignorée. Les études de la Banque mondiale sur les parcs industriels éthiopiens montrent que, si ces zones créent des emplois formels, les conditions de travail, les salaires et la stabilité de l’emploi posent des questions de soutenabilité sociale et de productivité à long terme. De même, l’attraction d’industries intensives en énergie ou polluantes dans des contextes de réglementations environnementales faibles fait peser des risques sur les trajectoires de transition climatique des pays africains.

Les recommandations de politique publique destinées à faire de la délocalisation un levier de transformation productive, plutôt qu’un simple transfert d’activités à faible coût, s’inscrivent dans une approche cohérente où stabilité macroéconomique, politique industrielle, intégration régionale, infrastructures et transition énergétique convergent. L’enjeu est de bâtir des chaînes de valeur africaines capables d’absorber, d’adapter et de diffuser les investissements internationaux.

La consolidation de l’environnement macroéconomique constitue un socle indispensable. Le Regional Economic Outlook du FMI rappelle que la croissance de l’Afrique subsaharienne devrait atteindre 3,6% en 2024 puis 4,2% en 2025, mais dans un climat marqué par la persistance des tensions financières et par des niveaux d’endettement élevés. Cette configuration rend essentielle la réduction du risque perçu par les investisseurs, ce qui passe par des cadres monétaires et budgétaires crédibles, une transparence accrue de la dette publique et une stabilité réglementaire dans les secteurs stratégiques tels que l’énergie, les douanes ou le marché du travail. La prévisibilité de l’action publique devient un critère déterminant dans les arbitrages d’implantation.

L’efficacité des politiques industrielles repose ensuite sur leur orientation ciblée et sur des conditions clairement définies. Les analyses convergentes de la Banque mondiale et de la BAD montrent que les zones économiques spéciales peuvent jouer un rôle structurant, à condition qu’elles ne demeurent pas des espaces isolés du tissu productif national. Leur performance dépend de leur capacité à favoriser des transferts technologiques, à générer de l’emploi formel et à encourager la montée en compétences. Les incitations fiscales doivent donc être liées à des engagements mesurables en matière de contenu local, de formation, d’innovation et de respect environnemental, afin que les bénéfices des investissements soient effectivement internalisés par les économies hôtes.

L’intégration commerciale régionale constitue un autre pilier de cette stratégie. La ZLECAf ne révélera tout son potentiel que si elle s’accompagne d’une réduction significative des obstacles non tarifaires, d’une harmonisation progressive des normes et d’une modernisation des procédures de commerce extérieur. La CNUCED et Afreximbank soulignent que le commerce intra-africain, encore faible en proportion, recèle un potentiel considérable de croissance. L’essor de chaînes de valeur régionales repose sur la fluidité logistique, la numérisation des douanes et la création de corridors performants, autant de conditions nécessaires pour rendre les délocalisations reproductibles, évolutives et compatibles avec les impératifs de compétitivité.

L’investissement dans l’énergie et la logistique représente une dimension structurante de l’attractivité continentale. Les programmes d’électrification comme Mission 300, les projets hydroélectriques d’envergure ou les centrales solaires pilotés par le groupe Banque mondiale et la BAD gagnent à être articulés à des stratégies industrielles explicites. La connexion des zones industrielles aux réseaux, l’adoption de tarifs incitatifs pour les usages productifs, l’intégration de solutions de stockage ou de réseaux intelligents renforcent la viabilité des implantations manufacturières. Parallèlement, la modernisation des ports, des corridors ferroviaires et des hubs logistiques demeure un facteur déterminant dans la décision des entreprises de s’installer durablement.

La montée en compétences s’impose comme un autre pivot central du contrat proposé aux investisseurs. Les expériences internationales montrent que les pays ayant réussi leur industrialisation ont systématiquement lié leurs trajectoires de développement à des politiques de formation professionnelle ambitieuses, associant entreprises, centres académiques et pouvoirs publics. Les institutions internationales, dont la Banque mondiale et le FMI, insistent sur la nécessité d’aligner les incitations à l’investissement avec des obligations en matière de formation, d’apprentissage et de création de centres de R&D. L’objectif est de faire en sorte que les délocalisations ne se limitent pas au transfert de chaînes d’assemblage, mais permettent l’appropriation de savoir-faire managériaux, techniques et numériques.

L’ancrage des stratégies industrielles dans une trajectoire bas-carbone constitue enfin une étape incontournable. Dans un contexte où les investisseurs sont soumis à des impératifs ESG croissants, la capacité des pays africains à proposer des zones industrielles alimentées par des énergies renouvelables devient un élément différenciant. Les initiatives de la BAD en faveur de pôles agro-industriels durables ou les projets d’hydrogène vert mis en avant par la CNUCED illustrent le potentiel d’une industrialisation compatible avec la transition énergétique. Une telle orientation permet non seulement d’attirer des investissements de nouvelle génération, mais aussi de repositionner le continent dans les chaînes de valeur mondiales en émergence autour des technologies propres.

L’ensemble de ces leviers traduit une vision de long terme visant à transformer les délocalisations en vecteur structurant d’industrialisation, en consolidant simultanément compétitivité, durabilité et souveraineté économique.

La délocalisation vers l’Afrique n’est plus un scénario théorique; elle est déjà à l’œuvre, comme en témoignent l’essor de l’automobile au Maroc, des parcs industriels en Éthiopie, des zones agro-industrielles au Nigeria ou des projets de composants électroniques et aéronautiques en Afrique du Nord. Le décollage très net des IDE en 2024, porté par une augmentation de 75% des flux et une part portée à 6% des IDE mondiaux, confirme que les investisseurs commencent à intégrer le continent dans leurs matrices de localisation.

Mais le contraste entre ce mouvement et la faiblesse persistante de la base manufacturière– à peine 2% de la valeur ajoutée industrielle mondiale– rappelle que le pari est loin d’être gagné. Sans politiques publiques ambitieuses, coordonnées et rigoureusement évaluées, l’Afrique risque de rester une périphérie de l’économie mondiale, spécialisée dans quelques niches à faible valeur ajoutée, vulnérable aux chocs externes et dépendante de décisions d’entreprises situées ailleurs.

À l’inverse, si les pays africains parviennent à articuler délocalisations, intégration régionale, montée en compétences et transition énergétique, la vague actuelle d’implantations pourrait devenir le socle d’une véritable stratégie d’industrialisation continentale. La fenêtre se situe à l’horizon 2030–2040: c’est dans ce laps de temps que se joueront, simultanément, la matérialisation de la ZLECAf, la consolidation des nouvelles chaînes de valeur mondiales et l’entrée de centaines de millions de jeunes Africains sur le marché du travail.

La politique économique a ici un rôle décisif: transformer la géographie des délocalisations en géographie de la valeur ajoutée, et faire de l’Afrique non plus seulement un lieu où l’on déplace des usines, mais un espace où se conçoivent, se fabriquent et se distribuent les produits et services de l’économie mondiale de demain.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 26/11/2025 à 08h52