Les premières décisions économiques du président Bola Tinubu sont loin de faire l’unanimité. Si l’élimination des subventions des carburants vieille de 30 ans était attendue, la très forte dépréciation du naira, la monnaie nigériane, l’était moins, même si elle faisait partie des réformes de la politique monétaire du pays.
Pour le chef de l’Etat nigérian, ces réformes sont certes douloureuses, mais nécessaires à la transformation de l’économie du pays et pour asseoir les bases de la prospérité de la population.
En attendant, ces mesures ont surtout contribué à appauvrir les Nigérians. D’abord, l’inflation qui était sur un trend légèrement baissier, comme partout dans le monde dans le sillage de la décrue des cours du pétrole et des produits alimentaires, a repris sa tendance haussière. Le Nigeria est confronté à une recrudescence de son taux d’inflation, quasiment stable depuis décembre 2022 où il s’affichait autour de 21,30%.
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La flambée des prix du litre d’essence, suite à la fin brutale des subventions, a causé une forte hausse des prix des carburants et par ricochet une augmentation sensible des tarifs des transports et des coûts de nombreux produits et services. Dans un pays au déficit en électricité chronique, de nombreuses entreprises recourent aux générateurs pour couvrir leurs besoins en énergie en misant sur le prix bas des carburants. En conséquence de quoi, ce sont les prix de tous les produits qui flambent et l’inflation a repassé au-dessus de la barre des 24% en juillet dernier.
Une situation qui a poussé la banque centrale nigériane à relever encore son taux directeur de 25 points à 18,75% pour faire face à cette inflation galopante.
Et comme si cette inflation ne suffisait pas, la Banque centrale du Nigeria a annoncé, le 14 juin dernier, l’adoption d’un taux de change unifié pour les devises, notamment le dollar américain, mettant ainsi fin à une politique monétaire qui se traduisait par des valeurs différentes pour le naira, dont une officielle qui était fixe, et plusieurs autres valeurs parallèles déterminées selon les segments et la loi de l’offre et de la demande.
Ainsi, depuis le 16 juin, le naira est négocié au taux du marché au lieu d’être fixé par rapport au dollar américain et à d’autres devises. Une mesure longtemps recommandée à la première économie africaine par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
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Et comme c’est toujours le cas dans ces conditions, cette révision du régime de change équivaut à une forte «dévaluation» de la monnaie du pays qui l’adopte. Les conséquences ne se sont pas faites attenndre: en deux jours, les 16 et 17 juin, le naira a perdu 41,03% de sa valeur, passant de 465,50 nairas pour 1 dollar à 656,50 nairas pour le même dollar. Depuis, cette dépréciation de la monnaie locale se poursuit.
Lors de la séance du 22 juin, le naira est descendu à 816,50 unités pour 1 dollar, soit une chute de 75,40% de sa valeur d’avant l’adoption du taux de change unifié. Depuis, la monnaie nigériane a commencé à récupérer une partie de ses pertes et s’échange lors de la séance du 18 août à 769,50 nairas pour 1 dollar, ramenant sa dépréciation vis-à-vis du dollar à 65,31%. Ainsi, du16 juin à la date du 18 août, le naira a perdu 39,30% de sa valeur.
Une «dévaluation» qui se traduit par un renchérissement des importations nigérianes exprimées en monnaie locale que les opérateurs répercutent sur les consommateurs et donc sur les ménages. Additionnés les uns aux autres, ces facteurs viennent aggraver la hausse généralisée des prix induite par la fin des subventions sur les carburants.
A noter que sur le marché parallèle, la monnaie nigériane se négocie autour de 890 nairas pour un dollar, et avait même atteint le seuil de 950 nairas pour le même dollar.
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Une situation qui réduit davantage le pouvoir d’achat des Nigérians en accroissant la paupérisation des couches les plus vulnérables.
Quant à la possibilité d’attirer davantage d’investissements étrangers, beaucoup n’y parient pas outre mesure. Et pour cause, plusieurs écueils découragent les investisseurs étrangers, hormis ceux du secteur pétrolier. Parmi les facteurs incriminés: l’insécurité, la corruption, le déficit énergétique... Autant de facteurs qui font que, malgré sa population forte de plus de 220 millions de consommateurs, le Nigeria a du mal à attirer davantage d’investissement.
Chose étonnante, ces deux décisions impopulaires n’ont pas soulevé de mécontentements populaires notables, alors que toutes les tentatives précédentes d’élimination des subventions où de «dévaluation» via le régime de change, s’étaient soldées par des manifestations parfois violentes contraignant le gouvernement à renoncer à la suppression des subventions. Un paradoxe qui pourrait s’expliquer par le fait que ces mesures figuraient clairement dans le programme du candidat Bola Tinubu et qu’il a été élu en défendant ces mesures impopulaires.
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En tout cas, la dévaluation du naira n’a pas impacté que les couches vulnérables. Même les plus riches du pays ont subi les mêmes conséquences. Les milliardaires nigérians ont tous vu leur fortune exprimée en dollar américain se réduire fortement.
Ainsi, selon le magazine Forbes, Aliko Dangote n’est plus l’homme le plus riche d’Afrique. Dans son classement à fin juillet dernier, Forbes avance que le Nigérian est détrôné par le Sud-africain Johann Rupert dont la fortune familiale est estimée à 11,8 milliards de dollars, contre 10,2 milliards de dollars pour Aliko Dangote.
La baisse de la fortune du fondateur de Dangote Cement s’explique essentiellement par la forte dépréciation du naira, sachant que la grosse partie de sa fortune provient de son vaisseau amiral Dangote Cement coté à la Bourse de Lagos.
Et ce sont tous les actifs de l’homme d’affaires au Nigeria, évalués en naira et exprimés ensuite en dollar, qui se sont fortement dépréciés dans le sillage de la baisse de la monnaie nigériane vis-à-vis du billet vert. Seulement, exprimée en monnaie locale, la fortune de Dangote continue de prospérer… lui qui n’est pas confronté aux mêmes problèmes que les 80 millions de ses concitoyens qui tirent le diable par la queue...