Nigeria. Pourquoi la raffinerie Dangote ne carbure toujours pas, malgré ses 20 milliards de dollars

La méga-raffinerie de Dangote est dotée d'une capacité de traitement de 650 000 barils/jour, soit la plus grande d'Afrique et la 6e mondiale.

Le 27/11/2024 à 14h11

Officiellement inaugurée il y a une année et demie, la raffinerie Dangote n’est entrée en production que ces deux derniers mois et a livré ses premières expéditions de carburants à des pays ouest-africains. La raison: l’installation, qui a coûté 20 milliards de dollars, est en butte à un grave problème.

La raffinerie Dangote, avec une capacité de 650.000 barils/j, est la 6e plus grande du monde. Cette installation est également la plus grande au monde qui soit à train unique n’utilisant qu’une seule unité de distillation du brut.

Cette méga-raffinerie produit de l’essence, du gazole, du kérosène et du fioul en quantité suffisante pour couvrir la consommation en produits raffinés du Nigeria, soit l’équivalent de 450.000 barils/jour.

Ainsi, la transformation du brut nigérian devrait favoriser le développement rapide de la raffinerie de l’homme d’affaires Aliko Dangote et surtout résoudre le paradoxe du Nigeria: premier producteur de pétrole d’Afrique le pays est contraint, jusqu’à récemment, d’importer la quasi-totalité de ses besoins en carburants.

Mieux, la raffinerie ambitionne de concurrencer les grandes raffineries européennes qui alimentent une grande partie des pays du continent. Cependant, l’infrastructure peine à bénéficier d’un approvisionnement suffisant en brut qui lui permettrait de fonctionner de manière optimale.

Le projet structurant a donc été bien accueilli au Nigeria et en Afrique, tant il permet d’assurer une certaine indépendance énergétique au Nigeria et à certains de ses voisins ouest-africains dépendants des importations de carburants du marché européen et qui ont souffert de pénuries après le déclenchement de la guerre Russie-Ukraine. Ainsi, 44% de la production de la raffinerie sont destinés au marché local et 56% exportés vers les pays africains. Un négoce qui permet au Nigeria de générer des devises.

Et partant du fait que le Nigeria est le premier producteur de pétrole africain, malgré la chute de sa production passée d’environ 2,1 millions de barils/j en 2018 à environ 1,3 million actuellement, du fait du vol par siphonage des pipelines, nul ne pouvait imaginer que cette raffinerie allait rencontrer de gros problèmes d’approvisionnement en brut.

Et pourtant c’est bien le cas. En effet, la Nigerian national petroleum corporation (NNPC), l’entreprise étatique qui gère le brut nigérian, a clairement expliqué qu’elle ne peut fournir plus de 300.000 barils/j de brut. Motif évoqué: la prévente de millions de barils de pétrole pour rembourser des prêts contractés auprès de ses fournisseurs étrangers.

«Nous avons besoin de 650.000 barils/j. La société pétrolière d’Etat a accepté de nous assurer un minimum de 385.000 b/J, mais qu’elle ne fournit pas», a souligné Edwin Devakumar, directeur de la raffinerie Dangote. Ce dernier n’a pas hésité à qualifier les quantités livrées par la NNPC de «cacahuètes.»

Pourtant, les 650.000 barils/j de brut nécessaires au fonctionnement de la raffinerie à plein régime sont inférieurs aux quantités siphonnées mensuellement dans le Delta et dans gazoducs du pays. Une guerre sans merci contre les auteurs de ces vols pourrait augmenter de manière conséquente la production du brut du Nigeria à plus de 1,8 million de barils/j et de résoudre le problème d’approvisionnement des raffineries locales, tout en éliminant les raffineries informelles.

Face au problème d’approvisionnement, Dangote a sollicité l’intervention de la Commission nigériane de régulation du pétrole en amont (NUPRC) afin d’obliger les producteurs de pétrole à approvisionner les raffineries locales en brut. Sans succès. En conséquence et pour fonctionner plus ou moins correctement, la raffinerie doit être approvisionnée à partir d’autres pays dont le Brésil, les États-Unis, la Libye…

Outre la quantité que la NNPC est disposée à fournir à Dangote, le prix du brut a aussi constitué une pierre d’achoppement entre l’homme d’affaires et l’Autorité nigériane de régulation du pétrole intermédiaire et en aval (NMDPRA). Cette dernière, jugeant que son brut est meilleur que celui des concurrents vu sa faible teneur en soufre, a souhaité logiquement bénéficier d’un prix favorable alors que Dangote espérait bénéficier d’un prix préférentiel.

Conséquence, depuis son inauguration en mai 2023, c’est n’est qu’en septembre 2024 que la raffinerie a opéré ses premières livraisons sur le marché nigérian. Un mois plus tard, les stations-services nigérianes ont commencé à distribuer de l’essence provenant de la raffinerie du milliardaire Aliko Dangote.

En clair, il a fallu 18 mois après son inauguration pour que les premiers litres de carburants soient distribués dans les stations du pays qui demeurent encore largement approvisionnées en produits raffinés à partir des importations.

«Je savais qu’il y aura un combat. Mais je ne savais pas que la mafia du pétrole était plus forte que la mafia de la drogue.»

—  Aliko Dangote

Cette situation fait le beurre de certains responsables nigérians en charge de l’exportation du brut et de l’importation du raffiné. Et pour cause, ce sont des montants colossaux qui changent de mains entre les acteurs pétroliers nigérians et les intermédiaires de manière opaque.

Résultat: rares sont les personnes qui souhaiteraient que cette situation change. Ce n’est pas pour rien que de nombreux responsables du secteur pétrolier nigérian soient impliqués dans des scandales de corruption. Désabusé, Dangote dira, en juin dernier lors d’une conférence sur l’investissement: «Je savais qu’il y aura un combat. Mais je ne savais pas que la mafia du pétrole était plus forte que la mafia de la drogue.»

En juillet dernier, afin d’atténuer les problèmes d’approvisionnement, les autorités ont annoncé permettre aux opérateurs locaux d’acheter du brut en monnaie locale, le naira. L’objectif est de réduire les sorties de devises servant à l’importation du brut, mais aussi pour augmenter la production locale et donc réduire les importations de carburants dans un contexte marqué par une pénurie de devises.

En offrant la possibilité à Dangote d’acheter du brut et à distribuer des produits raffinés en monnaie locale, les autorités espéraient que cela contribuera à réduire les sorties de devises et à réduire les prix des carburants produits localement grâce aux économies réalisées sur le transport du brut importé et des charges liées au risque de change. Toutefois, cette solution, aussi salutaire soit-elle, ne répond pas vraiment au problème d’approvisionnement.

Conséquence, la promesse faite par Dangote lors de l’inauguration de la raffinerie le 22 mai 2023, en annonçant «reproduire ce que (le groupe Danhote) a déjà réalisé sur le marché du ciment et des engrais, en faisant passer le Nigeria d’importateur à exportateur net», tarde à se concrétiser et risque d’être compromise, malgré un investissement colossal.

Tout dernièrement, la raffinerie a été obligée d’importer deux millions de barils de pétrole brut des États-Unis pour produire des carburants, avec les coûts de transport que cela occasionne. Ces importations ont permis à l’homme d’affaires de non seulement approvisionner le marché local en produits raffinés, mais aussi d’exporter vers la sous-région. Une première cargaison de 300.000 barils de produits finis a été expédiée vers plusieurs pays ouest-africains. Ce qui augure de bonnes perspectives, si jamais le problème d’approvisionnement en brut venait à trouver solution.

Mais la problématique d’approvisionnement en pétrole local risque de se corser davantage les semaines et mois à venir avec la réouverture de la raffinerie de l’État nigérian située à Port Harcourt, au cœur de la région pétrolifère du Delta. Celle-ci, d’une capacité de production de 210.000 barils/j, devra aussi être alimentée par le brut nigérian, lequel peine à approvisionner correctement la raffinerie Dangote. Les trois raffineries d’État, en arrêt depuis des années, sont également en cours de réhabilitation. Une fois remises sur les rails, il faudra les alimenter en brut. Se pose alors la question de savoir d’où la NNPC Ltd tirera tout ce pétrole pour alimenter les quatre raffineries de l’État et celle de Dangote.

C’est dire que la concurrence pour l’approvisionnement en brut sera rude au niveau local. Une situation qui a poussé l’homme le plus riche d’Afrique à se pencher vers d’autres pays dont le Sénégal, nouveau producteur de pétrole depuis juin dernier.

Et pour compliquer davantage la situation, d’autres pays de la sous-région se sont également lancés dans le raffinage de pétrole. C’est le cas particulièrement du Ghana. La société d’État ghanéenne Petroleum Hub Development Corp (PHDC), en partenariat avec un consortium privé, a lancé le 19 août 2024 à Jomoro, la première phase du «Petroleum Hub», un projet qui sera construit en trois phases entre 2024-2036.

À la clé, trois raffineries de pétrole, cinq unités pétrochimiques (engrais, lubrifiants et cosmétiques) et des installations de stockage et portuaires, d’une capacité globale de 900.000 barils/j (3 raffineries d’une capacité de traitement 300.000 b/j chacune), soit plus que celle de Dangote.

Cet ensemble constituera une plateforme qui concurrencera la raffinerie Dangote au niveau de la sous-région ouest-africaine, et même au-delà. La réalisation de ce hub pétrolier nécessite un coût global estimé à 60 milliards de dollars.

En clair, le chemin de la souveraineté en carburants du Nigeria est parsemé d’embuches. Au moment où de nombreux pays de la sous-région mettent l’accent sur les voies et moyens à même de réduire leur dépendance vis-à-vis des importations, suite aux conséquences néfastes du Covid-19 et de la guerre Russie-Ukraine, à travers des politiques souverainistes, il est regrettable qu’un tel investissement connaisse pareilles déconvenues.

Par Moussa Diop
Le 27/11/2024 à 14h11