Des petits (Gambie, Maurice, Botswana…) aux grands pays (Ethiopie, Tanzanie…), plus de 40 pays africains continuent, après plus de 60 ans d’indépendance, d’imprimer leur monnaie en dehors du continent. Pourtant, la monnaie est considérée comme un instrument de souveraineté d’un Etat, aussi bien du point de vue politique qu’économique et émise sous le contrôle d’une banque centrale.
Si une poignée de pays africains impriment leur propre monnaie (Afrique du Sud, Egypte, Algérie, Maroc, Nigeria, Ghana, Soudan, RDC, Kenya), plus des trois-quarts des pays africains impriment leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie à l’étranger.
Le nombre réel de pays africains faisant appel, au moins ponctuellement, aux services des imprimeurs étrangers, n’est pas connu du fait de l’opacité qui entoure ces opérations aussi bien de la part des pays émetteurs que des entreprises qui s’en chargent.
Toutefois, la dépendance des pays africains aux imprimeries des pays occidentaux, souvent d’anciennes puissances coloniales, est patente. Sur les 54 pays du continent, environ 43 pays dépendent totalement des imprimeries européennes et américaines. A ces pays s’ajoute aussi la région du Somaliland qui a autoproclamé son indépendance en 1991 et qui imprime sa monnaie au Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale de cette région somalienne (le reste du pays ayant été colonisé par l’Italie).
Les monnaies africaines sont globalement imprimées dans quatre pays européens -France, Royaume-Uni, Allemagne et Suède- et deux pays d’Amérique du Nord -Etats-Unis et Canada.
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Parmi les monnaies imprimées en Europe figure en bonne place le Franc CFA. Cette monnaie commune à 14 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, héritée de l’ère coloniale, est imprimée, depuis 1945, à Chamalières près de Clermont-Ferrand, en France, par l’imprimerie de la Banque de France.
Et en dépit des réformes, la monnaie continue à être imprimée en France, même si ce sont les banques centrales -la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao- et la Banque centrale des Etats d’Afrique centrale (BEAC)- qui émettent les ordres d’impression de billets et pièces dans le cadre d’un contrat passé avec la Banque de France. A noter que les dirigeants des pays de la Zone franc peuvent bien évidement décider de changer d’un commun accord le lieu de fabrication du franc CFA.
Le franc CFA n’est pas la seule monnaie africaine à être imprimée en France. On considère que 21 pays impriment totalement ou partiellement en France. En plus des pays de la zone CFA, on peut citer Madagascar, Comores, Djibouti, Tunisie, Burundi, Namibie, Zambie,… A quelques exceptions près, il s’agit de pays ayant été colonisés par la France.
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Outre la France, une vingtaine de pays du continent impriment leur monnaie au Royaume-Uni auprès du leader mondial de l’impression de monnaies, De La Rue. Il s’agit, entre autres, de l’Ethiopie, 4e puissance économique africaine et second pays le plus peuplé d’Afrique, de l’Angola, du Botswana, du Cap-Vert, de la Gambie, de la Guinée (franc guinéen), du Lesotho, de la Libye, du Malawi, de Maurice, du Mozambique, de l’Ouganda, du Rwanda, de Sao Tomé-et-Principe, des Seychelles, de la Sierra Leone, de la Tanzanie,… Là aussi, on note une véritable prédominance de pays anciennement colonisés par l’Angleterre.
Les autres pays où sont imprimées les monnaies africains sont l’Allemagne (Erythrée, Soudan du Sud , Eswatini, Tanzanie et Zambie), la Suède (Liberia), les Etats-Unis (Liberia, Tanzanie…) et le Canada (Mauritanie).
A noter que certains pays africains impriment leur monnaie dans différents pays. C’est le cas de la Tanzanie qui imprime ses billets de banques au Royaume-Uni, mais aussi en Allemagne et aux Etats-Unis. C’est le cas aussi de la Zambie qui a recours à l’Allemagne et à la France et du Liberia qui le fait en Suède et aux Etats-Unis.
Le fait d’imprimer sa monnaie dans différents pays permet d’éviter certains risques vis-à-vis du pays et/ou de l’imprimeur où la monnaie est imprimée.
Les grands imprimeurs de billets de banques auxquels les pays africains recourent sont le britannique De La Rue, l’allemand Giesecke+Devrient, la Canadian Banknote Company, les français Banque de France et Oberthur Fiduciaire et le suédois Crane.
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Le britannique De La Rue, imprimeur et fabricant de papier, d’encres spéciales et de dispositifs de traçabilité, est une référence mondiale, est la plus grande société de fabrication de billets de banque au monde. De La Rue produit de la monnaie au profit de 140 banques centrales.
Créé en 1821 par Thomas De La Rue, faisant partie de l’indice FTSE 250 de la Bourse de Londres, c’est un acteur majeur du secteur d’impression de la monnaie.
Pourquoi les pays africains optent pour les imprimeries occidentales pour imprimer leur monnaie? Plusieurs raisons l’expliquent.
En premier, l’impression de billets de banques nécessite des techniques et des technologies avancées pour limiter autant que possible les tentatives de falsification. Très peu d’acteurs mondiaux ont le savoir-faire nécessaire pour imprimer des billets de banque sécurisés et répondre de manière continue aux innovations que cela nécessite.
Ensuite, l’impression d’une monnaie coûte chère, très chère même. En plus des équipements, il faut acquérir des produits innovants (papiers, encre et autres éléments entrant dans la production des billets). Il faudrait, de plus, être en alerte continue pour suivre les innovations technologiques afin de faire face à la contrefaçon. Ainsi, si les pays et les imprimeurs sont peu loquaces sur le coût d’impression des billets de banque, la confection du billet vert américain en donne un aperçu.
En effet, la confection d’un billet du dollar américain coûte entre 6 et 14 centimes. Le coût variant selon la valeur du billet dont est fonction également les éléments incorporés pour rendre la falsification malaisée. Ce coût est si important que pour les petits pays de moins d’une dizaine de millions d’habitants, rentabiliser l’investissement peut être hypothétique. Partant, produire la monnaie auprès des entreprises spécialisées peut s’avérer moins coûteux.
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Toutefois, pour de grands pays comme l’Ethiopie et la Tanzanie, la dépendance vis-à-vis de l’étranger suscite étonnement et inquiétude. Une situation qui a poussé le Kenya, il y a quelques années, à imprimer sa monnaie dans le cadre d’une collaboration avec le leader mondial du secteur, le britannique De La Rue.
Par ailleurs, pour certains pays, la production de billets de banque à l’étranger peut s’avérer plus sûre et éviterait au pays une inflation qui serait consécutive au recours fréquent à la «planche à billets».
Ces pays peuvent aussi opter pour certains Etats du continent qui disposent des capacités nécessaires pour imprimer les monnaies pour de nombreux petits pays. Cependant, des problèmes de confiance se posent. En plus, même les pays qui disposent de leur propres imprimeries dépendent globalement des grands imprimeurs occidentaux qui leur livrent certaines matières premières: papier, encre,...
Reste qu’imprimer sa monnaie à l’étranger soulève des questions de souveraineté et de sécurité nationales. D’abord, il y a un risque de pénurie de billets en cas de problèmes au niveau de l’imprimerie en charge de l’impression de la monnaie. Ensuite, il y a les risques inhérents au transport de l’argent en billet à partir du pays où cette monnaie est imprimée.
L’on se rappelle des conteneurs de dollars libériens expédiés de Suède et qui ont disparu dans la nature en 2018. Au total, se sont 15 milliards de dollars libériens, soit l’équivalent à l’époque de plus de 100 millions de dollars, imprimés à l’étranger et destinés à la Banque central qui ont disparu entre le port et l’aéroport de la capitale Monrovia et la banque centrale du pays. Dans cette affaire, deux anciens gouverneurs de la Banque centrale du pays dont le fils de l’ancienne présidente Ellen Johnson Sirleaf ont été cités.
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Par ailleurs, l’impression de la monnaie à l’étranger peut faire perdre au pays une partie de sa souveraineté et l’exposer à des risques importants dont la pénurie de billets de banque. Le cas de la Libye en est un exemple. Suite au déclenchement de la révolution et de l’adoption de sanctions onusiennes contre le pays en 2011, le Royaume-Uni a empêché la livraison à la Libye de 1,86 milliard de dinars libyens imprimés au Royaume-Uni par De La Rue, empêchant le guide libyen de disposer de nouveaux billets de banque dont il avait grandement besoin. Si cette opération avait choqué tous les acteurs du secteur de l’impression de la monnaie, elle prouve bien qu’un gouvernement étranger peut retenir la monnaie (billets et pièces) d’un autre pays, même si c’est un cas très rarissime.
En plus, le fait d’imprimer à l’étranger peut aussi avoir des impacts négatifs sur l’économie d’un pays au cas où l’imprimeur, pour diverses raisons, imprime plus de monnaies que ne lui demande la banque centrale du pays émetteur. Ainsi, en fournissant plus de liquidités que demandées, en passant par d’autres canaux que ceux de la banque centrale, cela peut entrainer des tensions inflationnistes dans le pays.
Enfin, imprimer ses billets de banque à l’étranger donne la possibilité à l’imprimeur de connaitre tous les secrets entourant la confection des billes de banque d’un pays. Une situation qui pourrait faciliter la production de billets contrefaits par des puissances étrangères afin d’inonder un pays en billets de banque et faire chuter sa monnaie et entrainer par la même occasion une hyperinflation.
En conclusion, la dépendance des pays africains des imprimeries occidentales pour l’impression de leurs monnaies est indéniable. si l’impression de sa monnaie auprès d’imprimeurs occidentaux peut présenter des avantages, il n’en demeure pas moins que ces opérations présentent aussi des risques liés à la souveraineté et à la maitrise complète du processus d’émission de la monnaie.