Propriété intellectuelle en Afrique: trois pays au coude-à-coude

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Le 17/05/2024 à 15h48

L’Afrique continue de jouer un rôle de parent pauvre sur l’échiquier mondial de l’innovation et de la protection de la propriété intellectuelle. Les dernières statistiques de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) pour 2023 confirment ce constat tout en mettant en lumière les écarts entre les pays du continent.

Le système de l’OMPI pour la propriété intellectuelle révèle une réalité contrastée concernant l’activité d’innovation en Afrique. Quelques pays s’affirment comme des locomotives régionales, tandis que de nombreux autres restent à la traîne. C’est le cas pour l’Afrique du Sud, le Maroc et l’Égypte qui concentrent l’essentiel de l’activité de brevetage sur le continent et se disputent les premières places dans les différents systèmes (brevets PCT, marques du système de Madrid, dessins et modèles industriels de La Haye). En 2023, l’Afrique ne représente que 0,17% des demandes internationales de brevets déposées dans le monde, illustrant le retard persistant du continent en matière d’innovation brevetable. Cependant, certains signaux encourageants laissent entrevoir un potentiel de rattrapage progressif.

Système des brevets: l’Afrique du Sud en tête

Il faut savoir qu’à l’échelle mondiale, le nombre total de demandes internationales de brevet déposées en 2023 selon le système PCT était de 272.600, soit une légère baisse par rapport à 2022 (277.632). Selon les statistiques de l’OMPI, l’Afrique du Sud domine largement le classement africain avec 194 demandes internationales de brevets PCT en 2023, occupant la 33e place mondiale. Bien que modeste, cette performance reflète le poids économique et industriel du pays, moteur régional de l’innovation technologique.

Loin derrière, le Maroc (47 demandes, 51e mondial), l’Égypte (41 demandes, 56e) et Maurice (39 demandes) complètent le top 4 africain, tandis que le Kenya (22 demandes) réalise une nette progression par rapport à 2022, signe d’un renforcement de son écosystème d’innovation.

En 2022, le Top 3 africain était configuré comme suit : l’Afrique du Sud avec 215 demandes, l’Égypte avec 60 demandes, et le Maroc avec 39 demandes. En l’espace d’un an, le Maroc a non seulement dépassé son score de 2022 avec 47 demandes, mais l’Égypte a diminué de 32% ses demandes internationales de brevet selon le système PCT pour chuter à 41. L’on a ainsi assisté à un jeu de chaises musicales entre l’Egypte et le Maroc, sur le plan des dépôts de brevets PCT en Afrique.

Le contraste saisissant entre le leader sud-africain et les autres nations africaines illustre les profondes disparités en matière d’innovation et de valorisation des actifs immatériels. Tandis que l’Afrique du Sud semble tirer son épingle du jeu grâce à son secteur industriel et technologique avancé, de nombreux pays peinent à générer une activité d’innovation brevetable significative.

Demandes internationales de brevet par origine (système PCT)

OriginesNombre de demandes en 2023Rang africainRang mondialNombre de demandes en 2022
Afrique du Sud1941er33e215
Maroc472e51e39
Egypte413e56e60
Maurice394e57e21
Kenya225e66e5

Cette répartition témoigne des disparités économiques et technologiques entre pays africains. Les puissances régionales comme l’Afrique du Sud, le Maroc et l’Égypte dominent, bénéficiant d’un tissu industriel et de capacités de recherche plus développées. À l’inverse, les pays les moins avancés peinent à générer une activité d’innovation brevetable significative.

Système de Madrid: l’Égypte devant

Sur le plan des demandes d’enregistrement de marques internationales (Système de Madrid), le jeu de chaises musicales a été au profit de l’Egypte, qui devance le Maroc cette fois-ci. Avec 88 demandes d’enregistrement de marques internationales en 2022, loin devant l’Egypte (68), les demandes du Maroc ont baissé de plus de 26,14% d’une année à l’autre, pour s’établir à 65 en 2023. Ainsi, l’Égypte se classe en tête du continent avec 77 demandes en 2023 (54e mondiale), suivie du Maroc avec 65 demandes (55e). La Tunisie (12 demandes, 72e), Maurice (8, 75e) et l’Angola (6, 78e) ferment la marche continentale.

Malgré des volumes modestes, ces chiffres reflètent les efforts déployés pour stimuler l’innovation et la protection de la propriété intellectuelle, enjeux cruciaux pour la compétitivité économique. Néanmoins, l’écart avec les pays leaders reste considérable, soulignant la nécessité de poursuivre les réformes réglementaires et les incitations. Cette domination nord-africaine se confirme dans le système de La Haye régissant les dessins et modèles industriels.

Dans le domaine des dessins et modèles industriels (Système de La Haye), le Maroc confirme son leadership africain avec 3 demandes contenant 18 designs en 2023, malgré une légère baisse. L’Algérie, l’Égypte, le Cameroun et l’Afrique du Sud, avec une demande chacun, constituent les autres pays africains pionniers dans ce système.

Bien que très faibles, ces dépôts illustrent une prise de conscience naissante quant à l’importance de valoriser les créations de design au niveau international. Cependant, d’immenses efforts restent à fournir pour stimuler cette dimension de la propriété intellectuelle, créatrice de valeur ajoutée.

Le Maroc dans le top 5 de la plupart des classements continentaux

Selon les dernières statistiques de l’OMPI pour 2023, le Maroc se distingue comme une puissance innovante montante en Afrique. Présent dans le top 5 de la plupart des classements continentaux, le royaume se positionne dans le peloton de tête en matière de demandes internationales de brevets, d’enregistrements de marques et de dessins industriels.

Dans le système des brevets (PCT), le Maroc se classe 3ème en Afrique avec 47 demandes, se hissant au 51ème rang mondial. Pour les enregistrements de marques (système de Madrid), il occupe la 2ème place africaine avec 65 demandes, soit le 55ème rang planétaire. Enfin, dans le système des dessins industriels (système de La Haye), le Maroc domine largement le continent avec 3 demandes contenant 18 designs, le plaçant au 39ème rang international.

Ce qui n’est pas le cas pour l’Afrique du Sud. Le pays d’Afrique australe, bien que leader africain dans le système des brevets avec 194 demandes, n’apparaît pas dans le top 5 continental des demandes d’enregistrement de marques internationales du système de Madrid.

L’Égypte, par contre, apparait dans les trois tableaux, à l’instar du Maroc. Cependant, là ou le Maroc se classe 2ème africain à deux reprises (système des brevets PCT avec 47 demande et système de Madrid avec 65 demandes) et 1 fois premier (système de La Haye avec 3 demandes d’applications et 18 demandes de designs), l’Égypte se classe 3ème africain à deux reprises (système des brevets PCT avec 41 demande et le système de La Haye avec 3 demandes d’applications et 3 demandes de designs) et 1 fois premier (système de Madrid avec 77 demandes).

Cette remarquable percée, malgré des volumes globaux modestes, illustre les efforts déployés pour stimuler l’innovation et valoriser la propriété intellectuelle. Stratégie payante pour le Maroc qui progresse d’année en année, renforçant son environnement propice à la créativité et à la compétitivité économique.

Toutefois, ces chiffres contrastent avec la faiblesse générale de l’activité de brevetage en Afrique (0,17% des demandes mondiales). Ils soulignent les défis persistants auxquels fait face le continent pour combler son retard technologique et institutionnel. L’exemple marocain démontre néanmoins qu’avec une vision stratégique et des politiques publiques adéquates, l’émergence d’un écosystème d’innovation durable est possible, même dans les pays en développement.

Quelques signaux encourageants émergent

Néanmoins, quelques signaux encourageants émergent. Le Kenya et Maurice, par exemple, enregistrent une nette progression de leurs demandes de brevets en 2023, illustrant les efforts déployés par certaines nations pour rattraper leur retard. L’Inde, quant à elle, fait figure de modèle avec une hausse fulgurante de près de 45% de ses dépôts de brevets, témoignant du dynamisme croissant de son écosystème d’innovation.

Pour l’Afrique, l’enjeu est de taille : stimuler l’innovation et la créativité afin de renforcer sa compétitivité économique et son attractivité pour les investissements étrangers. Cela passe inévitablement par le renforcement des cadres juridiques et réglementaires, la formation d’une main-d’œuvre qualifiée, l’amélioration de l’accès au financement pour les innovateurs et entrepreneurs, ainsi que la promotion d’une culture de l’innovation ancrée dans les mentalités.

Si les défis sont immenses, l’Afrique ne manque pas d’atouts, à commencer par son dynamisme démographique et son potentiel de main-d’œuvre qualifiée. En exploitant judicieusement ses ressources humaines et naturelles, en s’inspirant des success stories émergentes et en adoptant des politiques volontaristes, le continent pourrait bien surprendre et se hisser progressivement au rang des nations innovantes du 21ème siècle.

Par Modeste Kouamé
Le 17/05/2024 à 15h48